Le gouvernement Obama est en voie d'exiger
explicitement la chute du président Bachar al-Assad de Syrie alors que des
puissances régionales rivales intriguent pour se positionner dans le pays
déchiré par la crise.
Des responsables gouvernementaux,
s'exprimant anonymement, ont déclaré à certains milieux médiatiques qu'Obama
publierait un communiqué dès cette semaine pour appeler, au bout de cinq mois
d'affrontements sanglants entre les forces de sécurité et les adversaires du
régime, à la fin des 11 années de règne d'Assad. Certains avaient prédit que
l'annonce paraîtrait jeudi.
Au lieu de cela, la secrétaire d'Etat
américaine, Hillary Clinton, s'est montrée prudente, refusant de se laisser
induire à exiger le retrait du président syrien. A une question posée lors
d'une interview jeudi à la chaîne de télévision CBS News sur les raisons pour
lesquelles Washington n'avait pas « fait un demi pas de plus » pour
dire « Il doit partir », Clinton a hésité.
« Et bien, je pense que nous avons été
très clair dans ce que nous avons dit sur sa perte de légitimité, »
a-t-elle dit. « Mais, il est important qu'il ne s'agisse pas seulement de
la seule voix américaine. Et nous voulons veiller à ce que ces voix émanent du
monde entier. »
Clinton a alors adressé requête non pas à
Assad, mais aux puissances de l'Europe occidentale : « Ce que nous
devons vraiment faire pour mettre la pression sur Assad c'est sanctionner
l'industrie pétrolière et gazière. Et nous voulons voir l'Europe faire plus
d'avancées dans cette direction. »
Entre-temps, la Maison Blanche d'Obama a
diffusé son propre communiqué jeudi et qui s'est aussi abstenu de réclamer un
« changement de régime » syrien. A la place, le communiqué décrit la
conversation qui a eu lieu jeudi sur la Syrie entre Obama et le premier
ministre turc Recep Tayyip Ergodan. « Les deux dirigeants ont souligné
l'urgence de la situation en réitérant leur profonde préoccupation concernant
l'usage de la violence par le gouvernement syrien contre les civils et leur
conviction de la nécessité de répondre à l'exigence légitime d'une transition
démocratique du peuple syrien, » précise le communiqué de la Maison
Blanche.
Mercredi, Washington a annoncé une légère
augmentation des sanctions américaines contre la Syrie, visant la banque
commerciale d'Etat de la Syrie (Commercial Bank of Syria) et le premier
opérateur de téléphonie mobile syrien, Syriatel.
Le communiqué diffusé jeudi par la Maison
Blanche se fait l'écho du contenu de ce que les médias turcs ont appelé un
« ultimatum » lancé par le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet
Davutoglu, qui était en déplacement mardi à Damas où il a eu un entretien de
six heures avec Assad.
L'ambassadeur turc
s'est ensuite rendu dans la ville de Hama qui avait été occupée par les forces
de sécurité syriennes, et qui auraient utilisé des chars contre les détracteurs
du régime, tuant un grand nombre de personnes. S'exprimant à Ankara, Davutoglu
a dit que la visite avait confirmé le retrait des unités militaires et des
chars syriens de la ville. Hama, un point chaud central dans l'actuelle série
de troubles, avait été le théâtre en 1982 de la répression sanglante d'une
révolte islamiste. Dirigée contre le père de l'actuel président et son
prédécesseur, Hafez al-Assad, la répression avait provoqué la mort de 10.000 à
20.000 personnes.
Le premier
ministre Erdogan a qualifié le retrait de victoire de l'intervention
diplomatique turque. « Notre ambassadeur est allé à Hama et a dit que les
chars et les forces de sécurité avaient commencé à quitter Hama, » a-t-il
dit lors d'une intervention télévisée. « C'est extrêmement important pour
montrer que nos initiatives ont eu des résultats positifs. »
Même après l'intervention turque, des
reportages ont fait état de nouveaux actes de répression militaire, y compris
dans des villes situées près de la frontière turque.
Davutoglu a toutefois semblé minimiser ces
actions en refusant de les interpréter comme un défi des exigences de la
Turquie. « Il est difficile de s'attendre à un retrait dans de telles
conditions lorsque la tension s'est tellement exacerbée, » a dit aux
journalistes le ministre des Affaires étrangères à Ankara.
L'intervention de la Turquie a fait suite
aux dénonciations dimanche dernier de la répression du régime d'Assad par le
roi Abdallah d'Arabie saoudite dans ce qui a été décrit comme un discours
public sans précédent au peuple syrien.
Abdallah a qualifié les actions du régime
d'Assad d'« inacceptables » et a exigé la fin de « la machine de
mort et de l'effusion de sang. » Il a aussi demandé au régime syrien
d'accorder des « réformes étendues rapidement. »A la fin de ses
remarques, le roi saoudien a annoncé qu'il rappelait l'ambassadeur saoudien de
Damas. Le Koweït et Bahreïn ont rapidement fait de
même.
Le discours et les initiatives diplomatiques
de la part des émirats ont été salués publiquement par Washington qui a
probablement encouragé ces actions. Les Etats-Unis ne se soucient visiblement
pas de la franche ironie de ces trois puissances qui ont collaboré dans la
répression sanglante du mouvement de masse en faveur de réformes démocratiques
au Barheïn, où est basée la Cinquième flotte américaine, et qui se présentent
maintenant en défenseurs de la démocratie en Syrie.
Alors que des groupes d'opposition syriens
et des gouvernements occidentaux ont fait état de 1.600 à 2.000 Syriens tués -
dont près d'un cinquième sont du personnel de sécurité - durant les cinq mois
de répression et d'affrontements, ce n'est pas la souffrance du peuple syrien
qui motive Washington et les autres pouvoirs régionaux à adopter une ligne plus
dure contre Assad mais bien plutôt des intérêts stratégiques.
Avec 260 millions de dollars investis en
Syrie en 2010, la Turquie détient des intérêts majeurs en Syrie qu'elle est
déterminée à sauvegarder et à développer. Il existe aussi des préoccupations de
longue date qui ont souvent dominé des relations turco-syriennes
conflictuelles, notamment des préoccupations relatives au séparatisme kurde.
Selon le quotidien turc Zaman,
Erdogan a tenu la semaine dernière une réunion consacrée à la sécurité avec sa
hiérarchie militaire nouvellement nommée pour discuter du
« terrorisme » et de la situation syrienne.
Le journal a cité un rapport secret préparé
par l'Organisation nationale de renseignement turc, estimant que quelque 1.500
parmi les 3.800 combattants supposés du Parti des travailleurs du Kurdistan
(PKK) actifs dans le Sud-Est de la Turquie, près de la frontière syrienne, sont
soit des Kurdes syriens soit sont basés en Syrie. Tout en reconnaissant que le
régime d'Assad a mené sa propre répression du mouvement kurde, des responsables
des services de sécurité turcs se sont plaints de ce que la Syrie a refusé
d'extrader vers la Turquie des membres capturés du PKK.
Ils se sont aussi plaints de ce que l'Iran,
tout en bombardant les bases de l'aile iranienne du PKK, le Parti pour une vie
libre du Kurdistan (PJAK), dans le Nord de l'Irak, a refusé de pratiquer tout
échange de renseignement avec la Turquie.
Les implications de ces plaintes sont que la
Turquie considère l'instabilité en Syrie comme une menace pour sa sécurité
nationale interne. Elle est également hostile à l'influence de l'Iran en Syrie
qu'elle cherche à supplanter.
La monarchie saoudite qui est restée
silencieuse des mois durant sur les événements en Syrie, même lorsqu'elle a
aidé la monarchie de Bahreïn à organiser sa propre répression sanglante,
regarde également les événements survenus en Syrie par le prisme de son
hostilité à l'influence iranienne dans la région. Sa subite intervention
publique peut être motivée par une combinaison de pression exercée par
Washington et une tentative opportuniste de déplacer l'équilibre du pouvoir en
sa faveur dans des conditions où Assad pourrait être contraint de partir.
L'Iran quant à lui a cherché à renforcer le
régime d'Assad, son seul Etat allié dans le monde arabe, tout en cherchant à
gagner un soutien arabe contre une intervention américaine dans la crise
syrienne. Le président de la Commission de la sécurité nationale et de la
politique étrangère du parlement iranien Majlis, Alaeddin Boroujerdi, a
rencontré jeudi au Caire le secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil
al-Arabi, et loué la déclaration de ce dernier appelant à un « dialogue
sérieux » en Syrie.
Boroujerdi a aussi déconseillé à la Turquie
d'adopter un ton menaçant vis-à-vis de la Syrie, en avertissant que les
Etats-Unis étaient en train d'accroître leur intervention dans la région parce
qu'ils avaient perdu leur « base » en Egypte après les soulèvements
qui ont renversé le président Hosni Moubarak.
Dans sa réaction aux événements syriens,
Washington est freiné par sa crainte que la chute d'Assad pourrait provoquer le
chaos dans l'ensemble de la région et créer un régime moins inféodé aux
intérêts des Etats-Unis. S'exprimant au terme d'une visite la semaine dernière
en Irak, le chef d'état-major des armées des Etats-Unis, l'amiral Mike Mullen,
a exclu toute intervention directe de l'armée américaine en Syrie.
« En ce qui concerne la Syrie, nous
critiquons la violence et la violence doit cesser aussi rapidement que
possible, » a dit Mullen aux journalistes. « Il n'y aucune indication
de quelque sorte que ce soit que les Américains. seront impliqués directement
dans cette affaire. »
Washington, tout comme les pouvoirs
régionaux, tente d'exploiter la crise pour promouvoir ses propres intérêts dans
la région. Les exigences que Clinton a adressées aux puissances européennes
donnent un exemple de la diplomatie intéressée de Washington. Alors que les
investissements américains en Syrie sont négligeables, les entreprises
pétrolières européennes détiennent des intérêts significatifs dans le pays qui
exporte environ 150.000 barils par jour vers l'Europe. Les exportations
pétrolières comptent pour près de 30 pour cent des revenus du régime d'Assad.
C'est en raison des intérêts de profit des
groupes énergétiques européens, comme Total en France et le géant Anglo-Dutch
Royal Dutch Shell, que l'Union européenne traîne des pieds pour imposer des
sanctions majeures contre le régime syrien.
A l'occasion d'une réunion la semaine passée
des ambassadeurs européens en Allemagne, Reuters a rapporté qu'une décision
avait été prise pour l'élaboration d'un texte présentant plusieurs options pour
« entamer le processus d'examen de la question » des sanctions. Il
doit être présenté lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union
européenne le 2 et 3 septembre prochain en Pologne, a dit un responsable de
l'UE à l'agence de presse.