Les tribunaux de première instance de
Londres et d'autres villes britanniques ont commencé à infliger les peines les
plus sévères possible aux personnes accusées d'être impliquées dans les émeutes
qui en début de semaine dernière ont balayé Londres et d'autres grandes villes
de l'Angleterre.
Les jeunes face à la police anti-émeute dans les rues du district de Croydon[Photo: Raymond Yau]
Les tribunaux de Londres, de Birmingham et
de Manchester fonctionnent jour et nuit pour juger le nombre important de
personnes arrêtées lors de rafles policières continues. Environ 2.000 personnes
ont été interpellées dans le pays depuis que samedi 6 août, après une
manifestation pacifique contre la fusillade par la police de Mark Duggan, 29
ans, les premiers troubles ont d'abord éclaté dans le district de Tottenham,
près de Londres.
Plus d'un millier de personnes ont été
arrêtées rien qu'à Londres, dont 600 ont été à ce jour inculpées. Ces chiffres
sont susceptibles de croître étant donné qu'une chasse aux sorcières est en
cours pour traquer ceux qui sont accusés d'avoir été impliqués dans les
émeutes. Des séquences de films qui montrent la police enfonçant des portes
d'entrée et arrêtant des gens passent en boucle sur les chaînes de
télévision ; à Birmingham on fait circuler dans le centre ville des
camionnettes (« digi-van ») montées d'un écran géant de près de 6
mètres de haut montrant des photos de vidéo surveillance (CCTV) de personnes
suspectées de participation aux émeutes .
De longues peines de prison ont déjà été
imposées, dont la plupart pour des infractions mineures. A Manchester, un homme
est détenu et inculpé pour avoir « volé dans un kiosque à journaux des
articles d'une valeur totale d'une Livre Sterling ».
Une infirmière dentaire de 20 ans, accusée
de vol dans un supermarché, a été condamnée à trois mois d'emprisonnement par
un tribunal de Londres. Un étudiant de Londres de 23 ans qui a été reconnu
coupable du vol de six bouteilles d'eau d'une valeur de 3,50 Livres Sterling a
été condamné à six mois d'emprisonnement. Comme c'est le cas de beaucoup
d'autres, il avait un casier judiciaire vierge.
Un autre jeune homme de vingt ans de
Manchester a écopé d'une peine de prison de six mois après avoir reconnu avoir
transporté des sacs dans le but de collecter des chaussures de sport laissées
dans les rues après les émeutes.
Des enfants d'à peine 11 ans sont passés en
comparution immédiate. Un jeune garçon de 12 ans, accusé d'avoir volé une
bouteille de vin, a été placé sous contrôle judiciaire pour neuf mois et
condamné à payer les frais s'élevant à 50 Livres Sterling.
Les médias et la police exigent un
changement de la loi pour que des peines d'emprisonnement plus dures puissent
être infligées aux « enfants pilleurs ». Le journal Daily Mail
s'est plaint, « On libère les enfants pilleurs et on les autorise à
rentrer chez eux et à retrouver leur famille - et, en raison de leur âge, la
loi impose que leur identité soit protégée. »
La mort de trois hommes, mardi à Birmingham,
supposés avoir été renversés par une voiture alors qu'ils gardaient une station
essence pour tenter de la protéger des pillards, a servi de justification à
cette répression de masse.
Un semblant de
procédure régulière a lieu, alors que des tribunaux fantoches prononcent une
« justice expéditive » pour satisfaire les médias et la police. Le
quotidien Evening Standard a décrit comment cela se passe au tribunal de
Westminster, l'un de ceux qui siègent 24 heures sur 24 dans la ville.
« Les dossiers du tribunal sont parcourus en 15 minutes avant les
audiences », tandis que « les accusés sont présentés à la cour alors
même que leurs avocats se trouvent encore dans les cellules occupés avec
d'autres clients. »
Le Guardian a révélé que « sur
les 1,7 millions d'affaires jugées l'année passée par les tribunaux d'instance,
seuls 3,5 pour cent ont été condamnés à la prison. » Ces derniers jours,
ceux qui ont été reconnus coupables d'avoir participé à des émeutes ont été
écroués à « un taux variant entre 50 et 60 pour cent. »
Pourtant, de nombreuses affaires sont
transférées des tribunaux d'instance aux cours d'assises parce que les juges
affirment que les compétences maximales qui sont à leur disposition pour les
condamnations sont insuffisantes. Les tribunaux d'instance ne peuvent condamner
les gens qu'à des peines qui ne peuvent dépasser six mois ou à une amende de
5.000 livres Sterling. Pour un cambriolage, une cour d'assises peut imposer une
peine allant jusqu'à 10 ans de prison ferme.
Un avocat au tribunal de Westminster a dit
au Guardian que dans beaucoup de cas les gens qui seraient normalement
libérés sous caution étaient systématiquement placés en détention provisoire.
« Les décisions semblent être prises sans y regarder de plus près et sans
prendre en considération les éléments spécifiques à chaque cas. J'ai vraiment
l'impression qu'il y a des pressions politiques. »
Selon l'analyse du journal, sur plus de 150
audiences conduites par les tribunaux, la majorité des accusés qui sont « pour
la plupart jeunes, de sexe masculin et chômeurs, » sont placés en
détention provisoire en dépit du fait qu'ils ont plaidé coupable à des
infractions relativement légères.
La Police Métropolitaine a dit mardi que
grosso modo la moitié de ceux qui ont comparu devant le tribunal à Londres
étaient âgés de 18 ans ou moins. Sur les 224 cas, 133 (55 pour cent) avaient
entre 18 et 24 ans. Il est significatif de noter que c'est le groupe d'âge qui,
sur le plan national, est confronté à des taux de chômage et de pauvreté tout
particulièrement élevés. Les chiffres publiés au trimestre dernier ont montré
qu'un jeune sur cinq (745.000) de la tranche d'âge entre 18 et 24 ans était
sans emploi.
Le premier ministre David Cameron et le
dirigeant du Parti travailliste, Ed Miliband, sont d'accord pour souligner que
les émeutes sont exclusivement le fait de « gangs » de rue
« criminels » et « immoraux » et qui doivent être réprimés
par la « pleine force » de la loi. Jeudi, une session d'urgence du
Parlement a autorisé la police à agir en toute impunité et a conçu une série
de sanctions punitives contre les personnes accusées d'implication dans les
troubles, dont le retrait des prestations sociales et l'expulsion des logements
sociaux.
Ce faisant, l'establishment politique
encourage les forces les plus réactionnaires et les plus sadiques.
N'importe quelle calomnie peut dorénavant
être répétée dans les médias contre les jeunes de la classe ouvrière sans
quelle soit remise en question - certains médias réclament même ouvertement des
représailles violentes.
Ecrivant vendredi dans le Daily Mail,
Richard Littlejohn a décrit ceux qui ont été interpellés comme étant « une
horde de loups sauvages et miséreux des banlieues. » Il a dit, «Dans
certains milieux on commence enfin à comprendre que nous avons affaire à
présent à la troisième, voire la quatrième génération de la sous-classe
urbaine. »
Se faisant l'écho de ceux qui ont appelé à
recourir à l'armée pour « restaurer l'ordre » dans la rue, Littlejohn
se plaint en disant, « La police a les pieds et les poings liés par la
législation et elle est terrifiée d'être accusée de racisme. Et donc, il n'est
guère surprenant qu'au lieu de matraquer ces pilleurs comme des bébés phoques,
ce qu'ils méritent, les policiers sont tout d'abord restés en retrait en
observant la situation pendant que les magasins étaient dévalisés et les maisons
incendiées. »
Plus tôt, sa collègue du Mail, la
chroniqueuse Melanie Phillips avait rédigé une diatribe tout aussi brutale dans
laquelle elle attribuait les émeutes aux « résultats par trop prévisibles
de trois décennies de l'expérience libérale qui a quasiment détruit toutes les
valeurs sociales fondamentales. » En répétant l'affirmation de Cameron que
la Grande-Bretagne était prise en otage par une section « malade » de
la société, elle a identifié la cause de cette « maladie » comme
étant « l'Etat providence », l'« intelligentsia libérale »
et le « multiculturalisme », dans cet ordre.
Dans le Daily Express, le
commentateur politique Chris Roycroft-Davis a également attaqué une
« soi-disant intelligentsia » dont la « manipulation
sociale » a changé « notre nation » « au point de la rendre
méconnaissable. »
Il a réclamé une « puissante explosion
de colère de la part des millions d'hommes et de femmes qui savent ce que c'est
que la moralité, » et qui « doivent être en droit de reconquérir la
rue, de répondre à la violence par la violence. Si une partie de la populace
devait être blessée alors ce sera leur propre faute. »
Considérons les implications de telles
déclarations.
Il y a trois semaines à peine le fasciste
norvégien Anders Breivik commettait un meurtre de masse en déposant une bombe
dans le centre d'Oslo puis en abattant un grand nombre d'enfants qui
participaient à un camp du Parti travailliste norvégien.
Le « manifeste » que Breivik a
fait circuler pour justifier ses actions utilisait des termes identiques à ceux
utilisés par Phillips et les autres - dénonçant l'« élite libérale »,
le « multi-culturalisme » et « la dépendance sociale » qui
détruiraient soi-disant la société norvégienne.
Breivik citait Phillips, parmi de nombreux
autres chroniqueurs britanniques, comme l'une de ses sources d'inspiration, et
avait reproduit l'intégralité de l'un de ses articles parus en 2009 dans le Mail.
Il faut tirer lesleçons de tout cela. Les diatribes de Breivik, de Phillips et des
autres indiquent l'existence d'une couche fasciste cultivée à l'intérieur de la
Grande-Bretagne et de l'Europe qui à la fois craint la classe ouvrière et lui
est profondément hostile, notamment sa jeune génération.
Cette couche a été encouragée par les
guerres d'agression criminelles en Irak, en Afghanistan et en Libye et par la
rhétorique antimusulmane qui les a accompagnées ; elle a été encouragée
par la décrépitude et la faillite totale de la social-démocratie qui a adopté
la politique économique et sociale de la droite.
Cette couche est tout à fait consciente de
la détresse sociale aiguë qui se cache derrière les émeutes et elle sait que
l'effondrement du système capitalise exacerbera ceci considérablement, en
provoquant inévitablement une opposition de masse de la classe ouvrière.
Ses exigences d'une répression de masse
contre les jeunes sont le premier jalon sur la voie de l'imposition de formes
dictatoriales de gouvernement par lesquelles elle espère riposter face à de
tels développements.