Sous la pression grandissante des marchés financiers, le premier ministre
espagnol, Jose Luis Zapatero, a annoncé la tenue d’élections anticipées le
20 novembre, quatre mois avant la date prévue de mars 2012. Selon toute
probabilité, le parti conservateur, le Parti populaire (PP), remportera les
élections pour retourner au pouvoir après sept ans dans l’opposition. Le
Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Zapatero a déjà subi de fortes
pertes dans des élections locales de mai et reste à la traîne dans les
sondages.
Le PP est issu de la dictature fasciste de Franco qui était arrivée au
pouvoir en 1939 avec le soutien de Hitler et de Mussolini après trois ans de
guerre civile, et qui ne s’est effondrée qu’en 1975 à la mort de Franco. Le
PP refuse toujours à ce jour de condamner la dictature de Franco et ses
crimes.
En annonçant des élections anticipées qui résulteront probablement dans
son éviction avec le passage du pouvoir gouvernemental au PP droitier, le
PSOE suit un schéma qui est bien ancrée en Europe.
Les sociaux-démocrates obtiennent le pouvoir en tirant parti de
l’opposition populaire contre la droite conservatrice. Ils poursuivent
ensuite une politique qui n’est en rien différente de celle de leurs
prédécesseurs. Tout comme les conservateurs, ils opèrent servilement comme
les instruments du capital financier. Basés sur leurs liens étroits avec la
bureaucratie syndicale et le soutien d’une multitude de groupes
pseudo-gauches, ils organisent des attaques contre la classe ouvrière qui
rencontreraient probablement une résistance bien plus farouche si elles
venaient des conservateurs.
Finalement, après s’être tout à fait discrédités, ils rendent un dernier
service à l’élite financière en créant les conditions les plus favorables à
une victoire électorale des conservateurs en procédant à une dissolution
prématurée du parlement.
En Allemagne, le gouvernement Schröder, coalition entre le Parti
social-démocrate et les Verts, avait gelé les salaires, réduit les
allocations chômage et créé un énorme secteur à bas salaires, et envoyé,
pour la première fois depuis 1945, des soldats allemands combattre dans des
guerres étrangères en Yougoslavie et en Afghanistan. En 2005, il organisa
brusquement des élections anticipées et céda le pouvoir à Angela Merkel et
aux chrétiens-démocrates.
En Italie, la coalition de centre-gauche de Romano Prodi réajusta le
budget par le biais de coupes massives dans les dépenses sociales, défiant
une vaste une opposition populaire. Il imposa l’extension des bases
militaires américaines. En 2008, deux ans à peine après avoir triomphé de
l’alliance droitière de Silvio Berlusconi, il facilita le retour au pouvoir
de Berlusconi.
Au Portugal, le premier ministre social-démocrate, Jose Socrates, mit en
œuvre un programme d’austérité dévastateur pour le compte du capital
financier avant de démissionner en mars, ouvrant la voie au conservateur
Pedro Coelho.
En Grèce, le premier ministre George Papandreou du parti social-démocrate
PASOK, se dirige vers une sortie précoce.
Le président américain Barack Obama suit une trajectoire similaire.
Depuis que l’hostilité contre George Bush et les Républicains l’a propulsé à
la Maison Blanche en 2008, il a intensifié la guerre en Afghanistan, démarré
une nouvelle guerre en Libye et imposé des coupes s’élevant à plusieurs
milliers de milliards de dollars aux dépens des travailleurs, des retraités
et des pauvres, se révélant être ainsi un agent inconditionnel de Wall
Street.
Les événements en Espagne ont suivi le même schéma. Le PSOE remporta les
élections en 2004 suite à une opposition générale à l’implication de
l’Espagne dans la guerre en Irak. Il a été en mesure de garder sa majorité
parlementaire en 2008 du fait d’une situation économique favorable.
Toutefois, lorsque le boom s’est effondré dans le secteur du bâtiment en
raison de la crise financière internationale, le gouvernement Zapatero a
réagi par des attaques brutales contre la classe ouvrière.
Il a supprimé les allocations familiales, abaissé drastiquement les
salaires dans le secteur public, réduit les retraites et relevé l’âge de
départ à la retraite. L’année dernière, lorsque les contrôleurs aériens ont
fait grève contre les réductions de salaire, Zapatero a, pour la première
fois depuis Franco, déployé l’armée contre les grévistes en les menaçant de
longues peines d’emprisonnement. Le PSOE était soutenu par les syndicats qui
avaient contribué à élaborer les coupes sociales en limitant l’opposition à
d’impuissantes protestations.
Le gouvernement Zapatero a aussi poursuivi la politique étrangère de son
prédécesseur conservateur. Tandis qu’il retirait les troupes espagnoles de
l’Irak, il augmentait le contingent en Afghanistan et participait à la
guerre impérialiste contre la Libye.
Les conséquences sociales de cette politique sont désastreuses. Le taux
de chômage officiel est de 21,3 pour cent en Espagne. Un jeune sur deux âgé
de moins de 25 ans est sans emploi.
En fin de compte, la décision que Zapatero doit partir a été prise par
l’élite financière qu’il a fidèlement servie pendant sept ans. Il a rempli
son devoir.
Après que dix millions de travailleurs ont participé à une grève générale
en automne dernier, que des milliers de jeunes gens ont manifesté contre le
gouvernement et que les sociaux-démocrates ont perdu les élections
municipales au printemps, l’élite financière et ses représentants dans les
médias ont conclu que Zapatero n’avait plus la force nécessaire pour
perpétrer de nouvelles attaques.
Malgré les mesures drastiques de réduction des coûts, les marchés
financiers ont intensifié la pression sur l’Espagne. Les taux d’intérêt des
obligations gouvernementales ont dépassé les six pour cent. Vendredi
dernier, peu de temps avant que Zapatero n’annonce les élections anticipées,
l’agence de notation Moody’s a menacé de dégrader la note de crédit du pays.
La semaine passée, El Pais, qui est depuis des décennies le plus
important quotidien à soutenir le PSOE, a annoncé qu’il ne soutiendrait plus
Zapatero.
Si M. Zapatero souhaite rendre un dernier service à son
pays, il devrait démissionner dès que possible, » pouvait-on lire dans
l’éditorial du journal dont le riche investisseur américain Nicolas
Berggruen est devenu l’année dernière l’actionnaire majoritaire.
Le patron de la deuxième banque espagnole, BBVA, a aussi exigé la
démission de Zapatero. « L’Espagne a besoin d’un gouvernement fort et
efficace, » a déclaré Francisco Gonzalez. « Nous devons nous séparer de la
ligue qui ne n'a pas d'intérêt pour nous, les Grecs, les Portugais et les
Irlandais, et rejoindre des pays tels la France, la Hollande et
l’Allemagne. »
Des cercles influents au sein du PSOE se distancent également de leur
chef de gouvernement. L’ancien ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez
Rubalcaba, qui mènera la liste du PSOE à la place de Zapatero, a démissionné
de ses fonctions en juillet.
La subordination totale de tous les partis, y compris de la « gauche »
traditionnelle, aux dictats du capital financier a politiquement mis à
l'écart la classe ouvrière. Les élections à venir en Espagne sont une farce
exempte de tout contenu démocratique. Elles ont été annoncées à la dernière
minute afin de prendre l’électorat par surprise.
Certes, les électeurs peuvent choisir entre plusieurs candidats, mais la
politique du futur gouvernement a déjà été déterminée. La rigueur et les
réductions dans les dépenses sociales se poursuivront, indépendamment du
fait que le PP gagne les élections ou que le PSOE, contrairement aux
attentes, réussisse à revenir.
C’est là un phénomène international et pas uniquement espagnol. Des
élections sont organisées et des gouvernements changent sur ordre de l’élite
financière, toujours dans le but d’imposer aussi efficacement que possible
une politique brutale et impopulaire.
Zapatero est le dernier premier ministre social-démocrate en place dans
un des principaux pays de l’Union européenne. Mis à part l’Espagne, les
sociaux-démocrates ne sont plus au pouvoir qu’en Autriche, en Slovénie et en
Grèce. Mais, ceci ne signifie nullement qu’on n’aura plus besoin d’eux à
nouveau.
En Italie, une grande partie de l’élite financière plaide en faveur d’un
retour au gouvernement des partis de centre-gauche parce que le régime
Berlusconi est trop miné par des dissensions internes pour appliquer les
dures mesures de réduction des coûts. Un nouveau gouvernement de
centre-gauche mènerait des attaques contre la classe ouvrière de manière
plus agressive encore que ne l’avait fait le gouvernement Prodi. La
« gauche » bourgeoise a depuis longtemps abandonné tout semblant de réformes
sociales et se distingue à peine de ses adversaires conservateurs.
Alors que les gouvernements changent à la demande de l’élite financière
en discréditant l’ensemble du système politique, des préparatifs sont en
cours en coulisses pour davantage de régimes autoritaires dans le but de
réprimer la résistance de la classe ouvrière. A cet égard, les liens
ininterrompus du PP espagnol avec le régime fasciste de Franco devraient
constituer un avertissement.
Ce qui est nécessaire pour contrer les exigences d’austérité de
l’oligarchie financière et pour défendre les droits démocratiques et les
acquis sociaux de la classe ouvrière c’est une rupture avec les
sociaux-démocrates et les syndicats et l’établissement de nouvelles
organisations démocratiques de lutte ainsi qu’une direction socialiste
révolutionnaire de la classe ouvrière.
Ceci implique une lutte impitoyable contre les courants politiques qui
ont émergé des partis staliniens et des organisations petites bourgeoises,
jadis de gauche, telles Izquierda Unida (Gauche unie) en Espagne, Die Linke
(La Gauche) en Allemagne et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en
France. Elles défendent les syndicats qui collaborent avec les gouvernements
dans l’application des coupes sociales. Malgré des critiques occasionnelles,
elles présentent les sociaux-démocrates comme un « moindre mal » qu’il
faudrait soutenir lors des élections en cherchant à empêcher tout
développement politique indépendant de la classe ouvrière.
Le Comité international de la Quatrième Internationale est aujourd’hui la
seule organisation à représenter les intérêts de la classe ouvrière. Il a
lutté durant des décennies contre les illusions placées dans les
sociaux-démocrates européens et les Démocrates aux Etats-Unis en s’opposant
aux forces pseudo-gauches qui soutiennent ces partis bourgeois
réactionnaires. Le Comité international est le seul à construire des partis
révolutionnaires de la classe ouvrière – les Partis de l’Egalité socialiste.
(Article original paru le 3 août 2011)