Les mesures répressives prises en Egypte par la junte
militaire soutenue par les Etats-Unis et ses partisans politiques de
l'« opposition » officielle sont un sérieux avertissement à l'adresse
des travailleurs et des jeunes en Egypte. Les forces de la contre-révolution se
mobilisent pour tenter d'écraser le mouvement déclenché par le renversement par
la classe ouvrière du président Hosni Moubarak en février dernier.
Lundi 1er août, la junte a envoyé des blindés contre un sit-in
pacifique sur la place Tahrir en expulsant des centaines de familles de martyrs
tués par le régime durant les premiers jours de la révolution. A peine trois
jours plus tard, des groupes islamiques réactionnaires, dont les Frères
musulmans, les Salafistes et al-Gamaa al-Islamiya ont organisé une protestation
« pro-stabilité » en soutien au dirigeant de la junte, le commandant
en chef des forces armées, Mohamed Hussein Tantawi.
Ces mesures jouissent du soutien de l'impérialisme occidental
et de ses fantoches locaux. Ce n'est que récemment que le gouvernement Obama a
entamé un « dialogue ouvert » avec les Frères musulmans. Dans le même
temps, l'Arabie saoudite, un bastion de la réaction au Moyen-Orient, injecte de
l'argent en Egypte.
La junte a été capable de prendre des mesures profondément
impopulaires parce qu'aucun parti ne lutte pour rassembler la classe ouvrière
contre Tantawi et ses partisans. Ceux qui défendent le plus ouvertement la
junte sont les groupes islamistes droitiers qui soutiennent explicitement la
totalité des mesures anti-démocratiques prises par celle-ci, telle
l'interdiction du 23 mars de faire grève et de manifester. Tous les partis de l'establishment
cependant - les libéraux, les Islamistes et la pseudo-gauche - soutiennent en
fait la junte.
La classe ouvrière égyptienne se trouve à un carrefour. La
seule voie pour aller de l'avant est un renouvellement de la lutte
révolutionnaire. Les travailleurs sentent qu'ils ont besoin d'un règlement de
compte plus complet avec le régime et que des changements plus profonds qu'un
simple retrait du chef de l'Etat sont requis. La question centrale à laquelle
est confrontée la classe ouvrière est : sur quelle perspective doit se
baser la lutte ?
Les travailleurs égyptiens ont entamé la lutte politique le 25
janvier, inspirés par la lutte des travailleurs tunisiens qui avaient contraint
le président Ben Ali soutenu par les Etats-Unis à la démission. Alors que les
grèves s'amplifiaient et paralysaient l'Egypte - et ce, en dépit de la
répression de Moubarak approuvée par le gouvernement américain et qui a coûté
la vie à plus d'un millier de manifestants - Washington a été obligé de
conclure un accord avec l'armée égyptienne pour remplacer Moubarak par un
conseil militaire dirigé par Tantawi.
Les impérialistes et l'establishment politique égyptien
se sont précipités pour contenir la classe ouvrière et pour l'assujettir à l'Etat.
En cela, ils se sont appuyé notamment sur les partis pseudo-gauches de la
classe moyenne égyptienne qui ont ouvré pour désarmer politiquement les
travailleurs en promouvant la junte comme un gouvernement légitime et en
répandant des illusions sur ses projets de réaliser une « transition
démocratique. »
Ainsi, Hossam al-Hamalawy, membre influent des Socialistes révolutionnaires
(SR), affirmait dans un commentaire publié le 4 février par le quotidien
britannique TheGuardian que la junte « finira par organiser
la transition vers un gouvernement 'civil'. » Les autres groupes de la
pseudo gauche égyptienne partageaient cette opinion et ont créé des partis tels
le Parti démocratique des Travailleurs (PDT) et le parti de l'Alliance
socialiste pour s'intégrer dans le nouvel establishment politique. Ils
ont accepté le nouveau cadre politique créé par les militaires en conférant une
légitimité aux élections organisées par la junte.
Quelques semaines plus tard, les Etats-Unis et l'OTAN ont déclaré
la guerre au régime libyen du colonel Mouammar Kadhafi, soi-disant pour
protéger des manifestants pro-démocratie. Cette agression impérialiste contre
un petit pays sans défense avait été soutenue par l'ensemble de l'establishment
politique en Egypte, dont des groupes se faisant passer comme étant de
« gauche » ou même « socialistes. »
Après seulement quelques mois, toutefois, des masses de
travailleurs et de jeunes en Egypte - désillusionnés par la répression, les
mesures d'austérité et la politique pro-impérialiste de la junte - ont protesté
et exigé une « deuxième révolution. » Ce slogan reflétait la
réalisation critique que les affirmations selon lesquelles la junte réaliserait
une « transition démocratique » étaient fausses. Le régime militaire devait
être renversé. Le 8 juillet, au milieu d'une nouvelle vague de grèves
militantes, des millions de personnes descendaient dans les rues du Caire,
d'Alexandrie, de Suez et d'autres villes à travers l'Egypte pour exiger la
chute de la junte militaire.
Tous les partis bourgeois, y compris les forces
pseudo-gauches, étaient terrifiées et hostiles à la revendication de la classe
ouvrière pour une « deuxième révolution. » Ils rejoignirent les
sit-in sur la place Tahrir afin de contrôler et d'étouffer le mouvement.
Le rôle le plus le plus déterminant a été joué par les forces
du soi-disant Front socialiste - les Socialistes révolutionnaires, le Parti démocratique
des Travailleurs, le parti de l'Alliance socialiste et le Parti socialiste
égyptien. Le 27 juillet, ces groupes formèrent un « Front populaire
uni » avec des groupes libéraux et islamistes et qui serait basé sur une
interdiction de toute discussion politique quant aux différences du futur
caractère de l'Etat égyptien.
Ayant ainsi aidé les Islamistes à se faire entendre sur la
place Tahrir, les forces pseudo-gauches ont affirmé être surprises et étonnées lorsque
les Islamistes ont amené au Caire des milliers de leurs partisans ruraux et
scandé des slogans réactionnaires. Ils décidèrent ensuite de se retirer de la
place Tahrir en laissant les familles des martyrs seules face aux blindés de
l'armée.
Le rôle contre-révolutionnaire joué par les groupes
pseudo-gauches doit être un avertissement à la classe ouvrière. Ces groupes
n'ont rien à voir avec une politique révolutionnaire ou avec le socialisme. Ils
recourent cyniquement à un discours de gauche et à des termes marxistes dans le
but d'empêcher la montée d'un mouvement indépendant de la classe ouvrière.
Le 9 juillet, les Socialistes révolutionnaires ont publié un
communiqué intitulé « Pas de deuxième révolution mais une révolution
permanente jusqu'à la chute du régime. » Il y est dit : « Ce qui
se passe à présent sur la place et dans les rues en Egypte n'est pas une
deuxième révolution mais une extension de la révolution du 25 janvier. »
La signification évidente était qu'il était possible de pousser la junte à
organiser une « transition démocratique » au moyen de « sit-in
et de grèves. »
Cette déclaration résume le rôle réactionnaire et hypocrite joué
par les Socialistes révolutionnaires. En opposant une révolution permanente à
une « deuxième révolution » - à savoir, à la revendication des
travailleurs pour une lutte révolutionnaire pour le renversement de la junte -
ils falsifient de la manière la plus crue le contenu politique de la
perspective de la Révolution permanente. Dans l'histoire du mouvement marxiste,
le terme « révolution permanente » a toujours été lié à
l'indépendance de la classe ouvrière et à sa lutte pour le renversement de la
bourgeoisie et la prise du pouvoir sur la base d'un programme socialiste.
Formulée pour la première fois par Marx et Engels, développée ensuite
par les marxistes de la social-démocratie européenne, pour être articulée par
Léon Trotsky de la façon la plus lucide et clairvoyante, la théorie de la
révolution permanente a été concrétisée dans la Révolution d'Octobre 1917, qui porta
la classe ouvrière au pouvoir en Russie. La révolution permanente dit que la
bourgeoisie n'est plus en mesure de mener une révolution démocratique. Au lieu
de cela, les tâches sociales et démocratiques de la révolution ne peuvent être
accomplies que par la classe ouvrière après avoir gagné le soutien de la
paysannerie et des pauvres ruraux en prenant le pouvoir, en établissant un Etat
ouvrier et en luttant pour étendre la révolution socialiste partout dans la
région et le monde.
Malgré la tentative des Socialistes révolutionnaires
d'associer la révolution permanente à une ligne politique de collaboration de
classe - précisément le contraire de son vrai sens - cette théorie a été
totalement confirmée par les événements qui se sont produits cette année en
Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Premièrement, la classe ouvrière est
apparue comme la force principale. Deuxièmement, la bourgeoisie libérale en
Egypte et en Tunisie, de même que ses partisans petits bourgeois de
« gauche », se sont précipités pour soutenir les piliers militaires
des anciens régimes en se rangeant derrière eux à l'encontre la classe ouvrière
insurgée.
Le
Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI), qui seul se base
sur la perspective et le programme du trotskysme, est la seule force politique
à appeler à l'indépendance politique de la classe ouvrière égyptienne et à une
révolution socialiste pour le renversement de la junte égyptienne et son
remplacement par un Etat ouvrier. A la différence, les groupes pseudo-gauches formulent
les intérêts des couches affluentes de la classe moyenne hostiles aux
travailleurs et voulant à tout prix défendre la junte.
Les
travailleurs et les jeunes d'Egypte ont déjà montré leur force en inspirant des
millions de travailleurs partout dans le monde - depuis les grévistes
s'opposant aux mesures d'austérité au Wisconsin jusqu'aux travailleurs et aux
jeunes se mobilisant contre la pauvreté et l'inégalité sociale en Israël. Afin
de faire avancer la Révolution égyptienne, il est nécessaire de construire une
section du CIQI en Egypte, ainsi que des sections en Tunisie, en Israël et à
travers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Seul un tel parti, basé sur une
perspective socialiste internationale peut vaincre l'offensive
contre-révolutionnaire, mettre un terme à la mainmise de l'impérialisme et
mener à bien la lutte pour une démocratie et un socialisme authentiques.