Exploitant sans honte le
désastre humanitaire causé par six semaines d'inondations, le Fonds monétaire
international (FMI) refuse d'accorder au Pakistan des fonds promis en 2008 dans
le cadre d'un prêt tant qu'Islamabad n'aura pas appliqué des changements de
politiques considérables – changements qui réduiront encore plus les
revenus des travailleurs appauvris du pays.
Au début de l'été, le Pakistan
était censé recevoir une tranche de 1,3 milliard de dollars faisant partie d'un
prêt total de 11,3 milliards. Mais le FMI en a reculé la date du transfert
après qu'Islamabad ne fut pas parvenu à atteindre divers objectifs de
performances fixés par le FMI.
Après cela, plus de 20 millions
de personnes et 79 des 124 districts administratifs du Pakistan ont été touchés
par les inondations de la vallée de l'Indus.
Le bilan actuel donné par le
gouvernement de 1700 morts est faible comparé au tsunami de 2004 dans l'océan
Indien ou au tremblement de terre de janvier dernier à Haïti. Mais des millions
de gens affamés et sans abri restent à la merci des maladies et, par bien
d'autres aspects, cette catastrophe pakistanaise dépasse de loin ces tragédies.
En début de semaine, Maurizio
Giuliano du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires
humanitaires a qualifié les inondations d’« une des pires
catastrophes humanitaires de l'histoire des Nations unies, en termes de nombre
de personnes auxquelles il faut porter assistance et aussi de région concernée ».
Selon Giuliano, au moins dix
millions de personnes sont actuellement sans abri. Une grande partie de
l'infrastructure physique du pays, dont environ 1000 ponts et 4000 kms
d'autoroutes, a été détruite et 23 pour cent au moins des récoltes de fin d'été
et début d'automne du pays ont été détruites.
Les eaux ne s'étant pas encore
totalement retiré, en particulier dans le sud du Sind, et les pertes des foyers
et des entreprises commençant tout juste à être comptées, les estimations des
dégâts ne sont que des approximations. Cependant, ces estimations
gouvernementales, se montant à 43 milliards de dollars, représentent déjà près
d'un quart du PIB annuel du Pakistan.
De plus, les inondations auront
un effet durable sur l'économie du Pakistan, notamment sur la disponibilité et
le prix de la nourriture et du coton, lesquels sont vitaux pour l'industrie
textile pakistanaise, qui constitue sa plus importante source de revenus à
l'exportation. Et cela se produit dans une situation où, même avant les inondations,
un Pakistanais sur quatre, soit 45 millions de personnes, souffrait de
malnutrition.
La semaine dernière, l'agence de
notation Moody's Investor Service a changé son avis sur les cinq plus
grandes banques du Pakistan, de stable à négatif, en raison des inquiétudes sur
le fait qu'elles pourraient être fragilisées par des prêts peu
performants. Nondas Nicolaides, un responsable des analyses à Moody's,
a déclaré au Financial Times britannique que « Ce seront surtout les
secteurs agricoles et textiles [qui seront touchés par les inondations], mais
nous nous attendons à ce qu'un effet indirect se développe sur le système
bancaire. »
Dans une crise sociale et
économique aussi grave, les responsables pakistanais espéraient que le FMI
pourrait être persuadé d'assouplir ses critères pour accorder la sixième
tranche du prêt conclu en 2008. Mais lorsqu'ils ont rencontré les
dirigeants du FMI à Washington dix jours durant à la fin août et au début de ce
mois, ils ont été sèchement éconduits.
Selon un article publié le 8
septembre dans Dawn, les autorités du FMI ont adopté « une position
très ferme » durant les négociations, affirmant « Que le conseil de
direction du FMI n'a pas l'intention d'étudier la demande de fonds
supplémentaires du Pakistan tant que celui-ci n'aura pas fait des progrès tangibles »
quant à l'application des restructurations économiques dictées par le FMI.
Les négociations se sont
terminées avec le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, déclarant
cela publiquement dans des termes pratiquement aussi directs.
Strauss-Kahn a indiqué que la
délégation pakistanaise, dirigée par le ministre des Finances Abdul Hafeez
Shaikh, a promis d'appliquer les diktats du FMI – y compris la
suppression des subventions sur le prix de l'énergie et l'imposition d'une taxe
générale sur les ventes. Mais il a déclaré que le FMI n'accorderait pas un
centime des 2,6 milliards de dollars restant à verser sur le prêt de 11,3 accordé
en 2008 tant qu'Islamabad n'aura pas effectivement réalisé sa promesse
d'appliquer les réformes exigées.
Le directeur général du FMI a
déclaré que la performance du gouvernement du Pakistan serait évaluée à nouveau
à la fin de l'année pour déterminer si les réformes avaient été menées à bien
et que seulement dans ce cas une nouvelle tranche serait transférée à
Islamabad.
« Notre dialogue avec le
Pakistan sur l'actuel arrangement en attente avance », a déclaré Strauss-Kahn, « et
les autorités ont exprimé leur intention d'appliquer des mesures pour terminer
la cinquième révision du programme dans le courant de l'année. »
« Nous resterons en contact
étroit durant l'avancée de ces efforts. La réalisation de la cinquième révision
[des objectifs fixés par le FMI] nous permettra de débourser 1,7 milliard
supplémentaire. »
Le directeur général du FMI a
dit qu'il recommanderait au conseil de direction du FMI de prêter au Pakistan
450 millions de dollars issus du Programme d'assistance d'urgence en cas de
catastrophe naturelle pour aider Islamabad à porter secours aux victimes des inondations.
Mais avec une bonne partie du
Pakistan en ruine – et avec près d'un tiers du budget du pays déjà
consacré au remboursement des dettes – cela ne constitue qu'une maigre
consolation.
La position de Strauss-Kahn a
été soutenue par la Banque mondiale, qui tout comme le FMI est une organisation
sous contrôle des États-Unis, dominée par les Occidentaux.
Dans une déclaration du 1er
septembre, après avoir rencontré le ministre des Finances Shaikh, le président
de la Banque mondiale Robert B. Zoellick a souligné le besoin pour Islamabad
d'appliquer des réformes libérales avant tout. « Nous avons besoin, a dit
Zoellick, de répondre fortement à cette crise, mais nous devons le faire sans
perdre de vue les réformes économiques importantes. »
Il s'est ensuite lancé dans une
menace contre le gouvernement pakistanais et la population du Pakistan,
déclarant « La réponse des donateurs pour les inondations dépendra
également de la capacité du gouvernement à faire ce qu'il a promis sur ce point. »
Les secours à apporter aux
millions de victimes des inondations du Pakistan constituent ainsi pour les
institutions financières impérialistes une arme qu'ils brandissent pour pousser
à des réformes libérales qui faciliteront l'extraction du profit par les
capitaux nationaux et, encore plus, internationaux.
Comparé à l'ampleur du désastre,
le Pakistan n'a reçu qu'une aide au compte-gouttes de la part des gouvernements
du monde. La banque mondiale, pour sa part, a accordé 1 milliard de dollars à
Islamabad pour financer à la fois les aides immédiates et la reconstruction à
long terme. Mais tout cet argent a été pris dans d'autres programmes existants
de la Banque mondiale pour le Pakistan.
Les réformes exigées par le FMI
et la Banque mondiale incluent :
— La transformation d'une
taxe générale sur les ventes en une TVA à 15 pour cent. Cette nouvelle taxe
transférant le fardeau des entreprises sur les travailleurs.
— L'élimination complète
des subventions sur le prix de l'énergie. Jusqu'ici, le gouvernement s'était
engagé à augmenter le prix de l'électricité d'au moins 25 pour cent en trois
phases de 6 mois à partir du 1er octobre. (La Banque mondiale et la
Banque pour le développement de l'Asie avaient estimé plus tôt dans l'année
qu'une augmentation de 49 pour cent serait nécessaire pour réaliser la promesse
du gouvernement de mettre fin à toutes les aides sur l'électricité.)
— L'autonomie totale de la
banque centrale du pays et l'arrêt des prêts de la banque au gouvernement.
La coalition dirigée par le
Parti du peuple pakistanais qui forme le gouvernement actuel du Pakistan a
signé à plusieurs reprises des promesses au FMI sur cette politique de droite
et sur d'autres comme des privatisations accrues. Elle l'a encore fait la
semaine dernière.
Après la réunion à Washington,
le ministre des Finances Shaikh a déclaré, « je veux réaffirmer
l'engagement du gouvernement du Pakistan envers le programme de réforme
économique, lequel inclurait une austérité fiscale ; une mobilisation des
ressources domestiques ; une réforme des structures de gouvernance, y
compris des entreprises du secteur public ; et un environnement favorable
au secteur privé. Nous nous sommes engagés pour ce programme parce que c'est la
voie à suivre pour garantir une reprise forte et se remettre sur la trajectoire
de la croissance. »
Le gouvernement pakistanais se
rend cependant compte qu'il est assis sur une poudrière sociale. C'est pourquoi
il renâcle à mener des changements de politique économique dont l'effet
immédiat serait d'alimenter l'inflation et de réduire la production.
L'application de la TVA a été repoussée à plusieurs reprises et est
actuellement prévue pour le 1er octobre, récemment le gouvernement a
annulé l'augmentation des prix de l'électricité prévue pour le mois prochain.
Même avant les inondations de
cet été, les journaux pakistanais regorgeaient de commentaires sur les troubles
sociaux dus à la faim montante et à l'inégalité sociale ainsi qu'à la
désaffection de la population pour un gouvernement civil qui a fondamentalement
poursuivi la politique de la dictature militaire à la solde des États-Unis qui
l'avait précédé. Cela inclut entre autres la collaboration de plus en plus
rapprochée avec les États-Unis dans la guerre en Afghanistan et contre les
milices pachtounes alliées aux talibans au nord-ouest du pays.
Ces inondations qui ravagent la
vie de millions de Pakistanais ont aussi clairement mis en évidence
l'incompétence, l'indifférence et la corruption du gouvernement et des élites
dirigeantes dans leur ensemble, ce qui renforce encore plus les craintes de ces
élites qu'il n'y ait un soulèvement social.
Mais, tout comme l'élite
pakistanaise s'est montrée prête dans la poursuite de son alliance mercenaire
avec l'impérialisme des États-Unis à plonger une grande part du pays dans la
guerre civile, elle finira par se plier aux pressions du FMI et de la Banque
mondiale et à appliquer des réformes économiques aux conséquences sociales
incendiaires dans les mois qui viennent.