Les dossiers confidentiels de l'armée américaine rendus
publics vendredi par le site web WikiLeaks documentent exhaustivement le
caractère criminel de l'invasion et de l'occupation de l'Irak menées par les
États-Unis.
WikiLeaks a publié près de 400.000 rapports d'enquête militaires, rédigés
par des soldats de bas rang après des opérations de combat ou de
reconnaissance, qui décrivent les pertes de vies humaines dues aux actes de
l'armée des États-Unis, aux attaques des insurgés antiaméricains ou au conflit
civil fratricide déclenché par l'occupation américaine. Les rapports couvrent
la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, et ne fournissent
donc pas d'information concernant les massacres perpétrés durant l'invasion
initiale par les États-Unis en mars 2003.
Certains journaux et médias ont pu avoir accès aux documents plusieurs
semaines à l'avance, y compris le Guardian de Londres, le New York
Times, le magazine de nouvelles allemand Der Spiegel, le quotidien
français Le Monde et Al Jazeera, le diffuseur de langue arabe basé au
Qatar. Vendredi soir, ceux-ci ont publié de longs extraits sur leurs sites web
du matériel dévoilé.
Le Guardian porte son attention sur l'ampleur du carnage, dont
l'existence de 15.000 civils tués dans des incidents qui n'avaient pas été
initialement rapportés par l'armée américaine (qui niait publiquement même
faire le décompte des morts civiles, alors qu'elle en conservait un dossier
détaillé). L'article du journal commence par les mots suivants : « Un
sinistre portrait de l'héritage des États-Unis et de la Grande-Bretagne en Irak
a été dévoilé par une immense fuite de documents militaires américains qui
décrivent en détail la torture, des exécutions sommaires et des crimes de guerre. »
Le quotidien ajoute ensuite : « Les rapports de guerre, consultés
par le Guardian, contiennent un horrible dossier regroupant des cas où
des soldats américains ont tué d'innocents civils à des points de contrôle, sur
les routes irakiennes et durant des raids dans des résidences. On dénombre
parmi les victimes des dizaines de femmes et d'enfants. Les États-Unis ont
rarement fait part de ces morts publiquement . »
Le Guardian décrit aussi le fait que l'armée des États-Unis n'a pas
fait enquête sur la torture et les meurtres des forces irakiennes, recrutées
dans la construction du régime fantoche à Bagdad. Le quotidien déclare :
« De nombreux rapports de mauvais traitements contre les détenus, souvent
appuyés par des preuves médicales, décrivent des prisonniers attachés, un bandeau
sur les yeux et pendus par les poignets ou les chevilles, et recevant des coups
de fouet, des coups de pied et de poing ou des décharges électriques. Six
rapports se terminent par le décès manifeste d'un détenu. »
Un autre article du Guardian porte attention au rôle de la Wolf Brigade, une
unité de forces spéciales irakienne créée par l’armée américaine et
dirigée par le Colonel James Steele, dont l’expérience de
contre-insurrection, torture et meurtre comprend son rôle comme conseiller de
l’escadron de la mort soutenu par les États-Unis au Salvador au cours des
années 80.
Selon le journal : « La Wolf Brigade a été créée et supportée
par les États-Unis dans une tentative d’utiliser des éléments de la garde
républicaine de Saddam Hussein, cette fois dans le but de terroriser les
insurgés. Les membres portent généralement des bérets rouges, des verres fumés
et des cagoules puis partaient faire leurs raids en convoi de Toyota
Lancruisers. Ils ont été accusés d’avoir battu des prisonniers, les avoir
torturés avec des perceuses électriques et parfois d’avoir exécuté des
suspects ».
Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Manfred Nowak, a dit au
programme télévisé de la BBC Today
que le gouvernement américain a l’obligation de mener enquête sur les
allégations que l’armée américaine remettait des prisonniers aux gardiens
de prison irakiens pour qu’ils se fassent torturer et exécuter, non
seulement pour « traîner les auteurs de ces crimes en justice, mais aussi
pour que la situation des victimes puisse être corrigée et les réparations adéquates
faites ». Omettre de le faire, a-t-il dit, violerait les obligations des
États-Unis sous la loi internationale.
Cette violation des droits de l’Homme continue sous
l’administration Obama, comme le confirment les documents, avec un
rapport mentionnant que l’armée américaine a reçu en décembre dernier une
vidéo montrant un officier de l’armée irakienne exécutant un prisonnier à
Tal Afar, en Irak du Nord. Selon le journal de l’armée américaine, « l’enregistrement
montre approximativement 12 soldats de l’armée irakienne. Dix soldats de
l’AI (armée irakienne) parlaient entre eux pendant que deux soldats
retenaient le détenu. Le détenu avait les mains liées… l’enregistrement
montre les soldats de l’AI amener le détenu dans la rue, le jeter au sol,
le frapper et lui tirer dessus ».
Les journaux concluent « qu’aucune investigation n’est
nécessaire », car aucun soldat américain n’a été impliqué dans la
torture ou les meurtres. Il s’agit de l’application d’une
politique officiellement adoptée par l’armée américaine en 2004 sous un
ordre militaire connu sous le nom de FRAGO 242.
Le Guardian écrit que les rapports de l’armée, même s’ils
sont macabres, sous-estiment de manière significative le nombre de morts dues
aux actions militaires américaines, même en les comparant aux statistiques
produites par le Iraq Body Count
(IBC), qui sont très au-dessous des estimations, basées sur des études
démographiques, d’un million ou plus d’Irakiens tués. Le journal
écrit : « Un exemple clé de l’échec des forces armées
américaines face à l’enregistrement du nombre de morts et de blessés
civils qu’elles ont infligé apparaît dans deux batailles urbaines
majeures contre des insurgés à Fallouja en 2004. Plusieurs édifices ont été
réduits à des amoncellements de débris par des frappes aériennes, des obus de
chars d’assaut et des obusiers et il y a eu des centaines de morts de civils.
Ceci est un fait bien établi. IBC a identifié entre 1226 et 1362 morts reliées
à ces événements en avril et en novembre. Mais, les rapports d’événements
pour usage interne des Etats-Unis qui viennent d’être publiés ne
rapportent aucun mort ou blessé civil. »
Le Guardian et Der Spiegel
ont publié des bilans des morts et des blessés de tous types infligés pendant
une seule période de 24 heures pendant l’automne 2006, la période où la
guerre civile était la plus intense et lorsque les tueries sectaires entre les sunnites
et les chiites étaient à leur sommet. Le Guardian
a choisi le 17 octobre 2006, jour où 146 personnes ont été tuées; Der Spiegel a examiné le 23 novembre
2006, où 318 personnes sont mortes. Chacun a donné comme titre « Une
journée en enfer » à leur résumé. Il n’y a pas de ce genre de
reportage dans le New York Times.
Le Guardian et Der Spiegel ont
en particulier souligné un incident notoire dans lequel des hélicoptères de
combat Apache de l’armée américaine avaient piégé deux insurgés qui
tentaient de se rendre. Lorsque le pilote a communiqué avec sa base pour avoir
des instructions, un avocat de l’armée lui a dit qu’« ils ne
peuvent se rendre à des aéronefs et qu’ils sont toujours des cibles ».
Les deux hommes se sont sauvés, mais l’hélicoptère les a chassés et les a
mitraillés au sol pour finalement les tuer.
Dans son analyse des
rapports de l’armée, Al Jazeera a classifié tous les moments dans
lesquels les soldats ont tiré et tué des civils irakiens à des points de
contrôle le long des autoroutes — arrivant à un total de 681, plusieurs
d’entre eux des femmes et des enfants. Plusieurs de ces meurtres ont eu
lieu dans des massacres de familles entières, le pire impliquant 11 personnes
dans une camionnette, incluant quatre enfants.
La différence est grande entre l’approche des médias européens et
arabes et celle du New York Times, approche qu’a
ensuite suivi la plus grande partie des médias américains. Les médias hors
Amérique ont tous insisté, comme il se doit, sur l’horreur du bain de
sang qui a suivi l’invasion menée par les Américains et sur l’importance
du matériel publié pour documenter les crimes de guerre.
Le New York Timescherche a détourné l’attention
des preuves de la criminalité du gouvernement Etats-Unis, combinant les
diversions — comme la suggestion que les documents offrent de nouvelles
preuves de l’implication de l’Iran en Irak — et les questions
secondaires — la première page portant sur le rôle des sous-contractants
privés — avec une campagne de salissage contre le fondateur de Wikileaks,
Julian Assange. (Voir “New York Times tries
character assassination against WikiLeaks founder Assange”)
Les médias américains ont en général combiné la vilification de WikiLeaks
avec des tentatives de miniser la signification du matériel publié. Les
couvertures du New York Timeset
du Washington Post commencent avec l’assertion qu’il
y peu d’informations qu’on ne connaissait pas déjà dans les documents
de l’armée, une assertion qui semble contredite par les condamnations
publiques du Pentagone et de la secrétaire d’État Hillary Clinton de la
publication des documents.
Un autre thème de la couverture que l’on trouve dans les médias américains
est celui que le matériel publié par WikiLeaks justifierait la prolongation de
la présence américaine en Irak, car il démontre que la police et l’armée
irakienne, sous le contrôle du premier ministre Malili, sont des forces
criminelles qui ne respectent pas la loi.
C’est ainsi que le Washington Post écrit : « Mais
l’aspect le plus troublant des rapports publiés est peut-être le portrait
qui est fait du gouvernement irakien ayant pris le contrôle de l’appareil
de sécurité alors que les forces américaines se retirent. » Et le New York Timessuggère lui que plus
de détails sur les conflits entre Kurdes et arabes au Nord de l’Irak
pourrait soutenir l’idée qu’il faut des troupes américaines dans
cette région en tant que gardiens de la paix. »
Malgré la censure et la distortion des médias américains, la vérité sur la
nature criminelle des guerres américaines en Irak et en Afghanistan atteint un
public de plus en plus grand. De par le monde, le gouvernement américain est
perçu comme suivant les méthodes des nazis, tant par sa violence que par ses
mensonges systématiques et éhontés.
WikiLeaks a rendu un immense service à toute la pulation. Il a mis en ligne
des documents fournissant le matériel pour amener ultérieurement les présidents
américains Barack Obama, George W. Bush,et les dirigeants de l’armée, des agences du renseignement et du
secrétariat d’Etat responsables de la politique étrangère devant les
tribunaux pour crimes de guerre.G