Le gouvernement français a donné vendredi l'ordre aux CRS de faire évacuer
les travailleurs qui occupaient le dépôt pétrolier stratégique de Fos-Lavéra
près de Marseille. Des attaques similaires se sont produites au dépôt de
Cournon d'Auvergne dans le centre de la France et d'Ambès sur la côte
sud-ouest.
Les travailleurs des ports, du transport et de l'énergie, rejoints par
les lycéens dans tout le pays, sont en grève pour protester contre la
politique d'austérité extrêmement impopulaire du président Nicolas Sarkozy.
L'envoi des briseurs de grève est intervenue après une semaine de
mobilisations de masse contre les coupes dans les retraites mises en place
par Sarkozy et qui incluent un allongement de deux ans de l'âge légal de
départ à la retraite et un allongement correspondant de la période de
cotisation. Une nouvelle journée d'action était organisée samedi 16 octobre
contre les coupes de Sarkozy et une nouvelle journée de grève est prévue
mardi 19 octobre.
Le recours à la répression d'Etat contre les travailleurs fait clairement
ressortir les questions politiques au coeur de la lutte. La défense des
retraites signifie une confrontation politique entre la classe ouvrière et
l'Etat. Pour réussir, cette lutte doit être menée de façon consciente comme
un combat politique visant à renverser le gouvernement de Sarkozy.
En attaquant les occupations des dépôts pétroliers, Sarkozy cherche à
détruire le levier le plus efficace des travailleurs contre les coupes, à
savoir la menace d'une pénurie nationale de carburant. Sarkozy était
lui-même présent à la réunion de jeudi après-midi qui a décidé de l'action
policière ainsi que le premier ministre François Fillon, le ministre de
l'Intérieur Brice Hortefeux, le ministre du Travail Eric Woerth ainsi que
des membres haut placés du personnel de Sarkozy.
Les CRS sont intervenus en force au dépôt de Fos, arrivant dans cinquante
autocars. Les syndicats ont conseillé aux travailleurs de ne pas offrir de
résistance et l'occupation du dépôt par la police « s'est déroulée sans
incident » selon des sources policières.
L'Union française des industries pétrolières (UFIP) qui représente les
compagnies pétrolières a dit que « plusieurs centaines » seulement de
stations service étaient à court de carburant et que moins de 10 pour cent
des 12 500 stations service du pays étaient touchées. Mais les reportages
continuent de parler de ruées sur les stations service et de longues files
d'attente. Les pipelines qui approvisionnent les principaux aéroports
parisiens ne fonctionnent plus. L'aéroport d'Orly a 17 jours de stocks et
Roissy a des stocks « au moins jusqu'à la fin de ce week-end. »
Il semble que les opérations des CRS de vendredi ne suffiront pas à
restaurer l'approvisionnement de carburant. Les travailleurs ont occupé sept
autres dépôts pétroliers avant-hier bien que deux de ces occupations aient
été évacuées par la suite. Selon des reportages de France Inter, des
enseignants ont rejoint les piquets de grève des installations pétrolières à
Bordeaux.
De plus, les deux dernières raffineries toujours en marche sur les douze
que compte la France se sont mises en grève vendredi, mettant à l'arrêt
total l'industrie de raffinage de la France. Un tel arrêt de toute
l'industrie ne s'était pas vu depuis la grève générale de mai-juin 1968.
Les porte-parole du gouvernement et du patronat n'ont pas dit quelle
quantité de pétrole actuellement dans les dépôts a déjà été raffiné et
quelle quantité est encore à l'état de brut. Mais l'UFIP a demandé au
gouvernement l'autorisation de puiser dans les stocks de réserve des
opérateurs pétroliers et d'avoir accès aux stocks stratégiques de la France.
Selon les reportages de l'AFP, les stock stratégiques représentent 17
millions de tonnes de pétrole, soit 99 jours de consommation, dont 60 pour
cent de pétrole raffiné et 40 pour cent de brut.
Des sources du syndicat CFDT- Energie (Confédération française et
démocratique du travail) disent que si les autorités «dégainent les stocks
stratégiques à l'échelle nationale, les grévistes se mettront à bloquer en
masse les dépôts de carburants: ça ne changera rien, » ajoutant que tout
« ne fait que commencer. »
La grève en cours dans les installations pétrolières témoigne de
l'immense pouvoir de la classe ouvrière et qui peut paralyser l'économie si
elle s'engage dans une lutte déterminée. Mais l'intervention des CRS
souligne un danger important: les sections combatives de la classe ouvrière
peuvent être isolées puis vaincues par l'Etat.
La question qui se pose à la classe ouvrière est celle de la préparation
d'une grève générale illimitée à échelle nationale appelée dans le but de
renverser le gouvernement Sarkozy. Ceci requiert aussi une rébellion des
travailleurs contre les syndicats officiels et la création de nouvelles
organisations démocratiques de lutte.
La direction du syndicat CGT (Confédération générale du travail) joue un
rôle traître, cherchant à désamorcer et disperser le mouvement d'opposition
tandis qu'il négocie avec Sarkozy la trahison des revendications des
travailleurs.
Dans un entretien au Monde, le secrétaire général de la CGT Bernard
Thibault a fait une critique molle de l'opération des CRS à Fos, regrettant
que cela empêche la négociation d'un accord entre le syndicat et le
gouvernement. L'attaque contre les travailleurs n'est pas, a dit Thibault,
«la méthode qui permettra de sortir de l'impasse sur la réforme des
retraites. » Insistant sur le fait que le but de la CGT n'est pas d' arrêter
l'activité économique, il a ajouté, «L'objectif de cette mobilisation c'est
bien d'obtenir des discussions pour un autre avenir de nos retraites. »
Cette position est une capitulation totale puisque Sarkozy a dit
clairement qu'il ne reculera pas. Lors d'un conseil des ministres le 13
octobre il a promis de façon provocatrice qu'il «mettra des réformes sur la
table jusqu’à la dernière minute de mon quinquennat. »
Les dispositions les plus importantes de cette « réforme » des retraites,
le report de l'âge de départ à la retraite et l'allongement de la période de
cotisation, ont déjà été votées. De plus la décision de Sarkozy d'envoyer
les CRS contre les travailleurs de Fos souligne le fait qu'il ne veut pas
négocier un compromis mais plutôt détruire les mobilisations des
travailleurs qui remettent en question sa capacité à imposer ses attaques.
Le World Socialist Web Site propose que les travailleurs en lutte contre
les attaques de Sarkozy forment des comités d'action indépendants des
syndicats. Le but de ces comités sera d'élargir la lutte à toutes les
sections de la population active ainsi qu'aux étudiants, lycéens et aux
jeunes, d'appeler les travailleurs d'Europe et du monde entier à des actions
de solidarité, et de construire un mouvement de grève générale contre le
gouvernement.
Le but de cette mobilisation politique de la classe ouvrière ne peut être
le remplacement de Sarkozy par un autre gouvernement bourgeois conduit par
le Parti socialiste et soutenu par ses alliés soi-disant de « gauche » tels
le Parti communiste et le Nouveau parti anticapitaliste, mais au contraire
la mise en place d'un vrai gouvernement de travailleurs, engagé dans une
politique socialiste.
Le parti socialiste (PS) est un parti pro-patronal dont la politique
n'est pas fondamentalement différente de celle de Sarkozy. Le discours à la
télévision mercredi dernier de la secrétaire du PS Martine Aubry est un
exemple des efforts, usés jusqu'à la corde, du parti pour dissimuler son
soutien aux coupes dans les retraites et à l'austérité sociale derrière un
semblant d'opposition à Sarkozy.
Aubry a demandé à Sarkozy de «suspendre» le débat au Sénat sur les coupes
dans les retraites et de renégocier l'ensemble du projet avec les syndicats.
Mais elle a réitéré le soutien du Parti socialiste à «l'augmentation de la
durée de cotisation. » Mais comme la période de cotisation sera allongée à
41 annuités et plus, et que la période d'apprentissage ou d'études
universitaires des travailleurs n'entre
pas dans la période de cotisation, ce changement allongera dans la
pratique l'âge de départ à la retraite bien au-delà de la limite de 60 ans
que le PS prétend défendre.
Le journal Le Parisien a fait remarquer que 63 pour cent de la population
ne croit pas en la promesse d'Aubry de restaurer l'âge légal de départ à la
retraite à 60 ans. En début d'année, elle avait appelé à ce qu'il soit
reporté à 61 ou 62 ans, exactement ce que recommande Sarkozy.
L'attitude véritable du Parti socialiste à l'égard des luttes des
travailleurs est révélée par Patrick Menucci, représentant du PS à
Marseille. Il a critiqué les travailleurs grévistes du port de Marseille les
accusant de «se cacher derrière cette revendication très populaire pour
défendre les intérêts très catégoriels. »
La positions du Parti socialiste le place en opposition aux sentiments
populaires qui dominent en France. Illustrant le large soutien populaire qui
existe en France pour la lutte contre Sarkozy, les lycéens ont continué à
manifester dans tout le pays. Selon le syndicat lycéen UNL, près de 900 des
4 302 lycées de France étaient en grève, et 550 d'entre eux étaient bloqués.
Dans les villes de France les lycéens ont organisé des manifestations. Plus
de 1 000 étudiants ont défilé à Tours, Reims, Metz, Nantes, La Rochelle,
Lyon, Orléans et Versailles. Des étudiants ont bloqué des lignes de chemin
de fer dans plusieurs villes dont Rennes, Reims et Agen.
Le ministre des Transports Dominique Bussereau a annulé un voyage à La
Rochelle, où il devait prendre la parole devant le conseil général de
Charentes-Maritimes, après avoir eu connaissance que des jeunes avaient
organisé une manifestation devant le bâtiment du conseil.
Le syndicat de police Alliance a dénoncé « des scènes de guérilla
urbaine » et a réclamé des « moyens de défense » plus durs. Plusieurs
reportages ont fait état de troupes de CRS lançant des gaz lacrymogènes lors
des manifestations de lycéens, la police déclare avoir arrêté 264
« casseurs » dans tout le pays. Mais la préfecture de police de Paris s'est
engagée à abandonner l'usage des flashballs après qu'un lycéen de Montreuil
a été gravement blessé par un tir de flashball au visage mercredi.
Des centaines de lycéens se sont rassemblés devant la mairie de Montreuil
pour protester contre les tirs de la police.
A Paris, des lycéens se sont dirigés vers le Sénat où les derniers
éléments de la «réforme» des retraites sont débattus, puis sur Matignon,
résidence du premier ministre. Il y a aussi eu des reportages disant que
plusieurs centaines de lycéens se sont introduits dans la Bibliothèque
nationale (Bibliothèque François Mitterrand.)
La police a dit avoir interpellé 94 manifestants dans des manifestations
de la banlieue parisienne. Elle a aussi fait état de sept policiers blessés,
mais le plus gravement touché n'a pas été blessé par des manifestants mais
par un conducteur de camion, excédé par les embouteillages, qui a tenté de
foncer sur les manifestants.