Le gouvernement a donné l’ordre vendredi matin d’envoyer
les CRS pour débloquer le site des Dépôts Pétroliers de Fos (DPF), occupé par
des travailleurs. Les travailleurs bloquaient ce site pour protester contre la
réforme des retraites et la privatisation partielle des ports français. La CGT
a appelé les travailleurs à ne pas opposer de résistance face aux forces de
l’ordre.
Le WSWS a contacté deux représentants des Unions Locales de
la CGT de Martigues et Fos-sur-Mer (près de Marseille) pour obtenir davantage
de renseignements.
La veille de l’intervention, les syndicats avaient
appelé à un rassemblement pour le blocage du site de stockage de pétrole de Fos-sur-Mer.
Les syndicats présents étaient la CGT, la CFDT, et FO. Les travailleurs
n’étaient pas seulement des agents portuaires ; il y avait aussi des
cheminots, des agents territoriaux, des métallurgistes et des travailleurs des
raffineries.
Les DPF sont une installation hautement stratégique, le lieu
de stockage et de manutention de produits pétroliers, c'est-à-dire essences
super-carburants, gas-oil, méthanol, fuel domestique et fuel lourd. Depuis
1969, c'est 6 millions de mètres cubes de pétrole qui arrivent ici chaque année
par tankers pour le pétrole brut, ou par pipeline depuis les raffineries proches
de l'Etang de Berre pour le pétrole raffiné.
Le pétrole est stocké dans 40 bacs, très éloignés les uns
des autres, pour éviter un immense embrasement en cas d'accident sur l'un
d'entre eux. Il repart ensuite par camion, par train, par mer et aussi par pipeline.
DPF est au cœur d'un réseau de plus de 3000 km
d'oléoducs qui approvisionnent les raffineries françaises (Feyzin), allemandes
(raffinerie MIRO de Karlsruhe), suisses (raffinerie PETROPLUS de Cressier),
mais aussi les ODC (Oléoducs de Défense Commune) qui assurent des provisions de
stocks stratégiques de l’Etat.
L’information donnée par la presse, selon laquelle il
y aurait eu une cinquantaine d’autocars CRS pour débloquer le site de Fos-sur-Mer,
est fausse, selon les témoignages des syndicalistes. Les forces de
l’ordre auraient été beaucoup moins nombreuses en intervenant sur le
site, qui n’était quasiment plus occupé par la CGT.
D’après le représentant CGT de
Martigues : « après la journée d’action pour bloquer le
dépôt, la CGT a quitté le camp et il est resté une quinzaine de personnes,
libres de faire ce qu’elles voulaient ».
Le représentant de l’Union Locale de Fos-sur-Mer a
dit : « Cinquante cars, c’est absurde. Moi, je suis passé une
heure et demie après l’intervention des CRS, et il n’y avait
qu’une dizaine de cars ».
Les CRS n’avaient pas besoin d’intervenir en
force, parce qu’il n’y avait pas de volonté de la part de la CGT et
des autres syndicats de garder ce site stratégique pour lutter contre les
attaques du gouvernement sur les acquis sociaux de la classe ouvrière. Ce qui a
été confirmé par le représentant de la CGT Martigues : « Le blocage
du dépôt n’avait pas pour but d’être retenu ad vitam æternam ».
Ceci est une déclaration remarquable. La pénurie
d’essence se fait ressentir dans tout le pays, et cela pose aussi des
problèmes pour alimenter d’autres pays en pétrole, comme la Suisse et
l’Allemagne. La menace d’une paralysie de l’économie
française et européenne est l’une des principales armes des travailleurs
contre les attaques sociales en France et à travers l’Europe.
Pourtant, la CGT ne fait pas de la question de
l’occupation d’un site important de stockage de pétrole une
question stratégique pour la classe ouvrière. Elle donne l’impression
d’être combative, mais cela n’est pas le cas. En fait, le
secrétaire de la CGT, Bernard Thibault, a insisté à plusieurs reprises
qu’il ne veut pas bloquer l’économie française, et qu’il
cherche simplement à renégocier les attaques sociales contre les retraites et
les emplois menées par le président Nicolas Sarkozy.
Par contre, l’occupation d’une usine est un défi
ouvert jeté à la bourgeoisie. La CGT empêche cela de se produire, car elle
n’a aucun intérêt à ce que les ouvriers rentrent dans un conflit
politique avec le gouvernement. C’est pour cela que la CGT a lâché les
travailleurs occupant les DPF, abandonnant ainsi un site important aux CRS.
Les deux représentants CGT n’ont pas tenu le même
discours à savoir s’il y avait eu une tentative de mobiliser les
travailleurs aux alentours, après l’intervention des CRS. Le représentant
à Fos-sur-Mer a dit : « Oui, bien sûr, la CGT avant et après les
mobilisations tente de mobiliser l’ensemble des travailleurs ».
Le représentant CGT de Martigues a expliqué qu’il
n’y avait pas à mobiliser les travailleurs, qu’il ne fallait pas
s’arrêter à l’intervention des CRS. Le syndicaliste de Martigues dit
sur les revendications défendues par la CGT suite à l’intervention des
CRS : « Cela reste identique, lutter pour une autre réforme, les
emplois et les salaires, les mobilisations ne vont pas s’arrêter après le
vote du Sénat sur la réforme des retraites ».
Il s’appuie sur l’expérience de 2006 avec le
CPE. Le premier ministre Dominique de Villepin avait fait passer la loi sur le
CPE qui précarisait les jeunes travailleurs. Avec le soutien de Nicolas Sarkozy,
les syndicats avaient permis le retrait du CPE. Les syndicats et les partis de gauche,
y compris la LCR, voyaient une victoire importante pour les travailleurs. Or,
ce fut une victoire partielle qui fit rapidement place à une défaite :
Sarkozy a bénéficié en partie du prestige de cette victoire, l’aidant à
devenir président en 2007 pour accélérer les attaques sur la classe ouvrière.
Lorsqu’un syndicaliste dit qu’il souhaite une
autre réforme, cela signifie que la CGT est d’accord sur le principe
d’une attaque du gouvernement sur les retraites, mais qu’elle
n’est pas d’accord sur certains détails — comme la question
de la pénibilité, qu’elle compte utiliser pour diviser la classe ouvrière
en accordant des privilèges à certaines couches des travailleurs.
La CGT, en étant favorable à une nouvelle réforme des
retraites, signale qu’elle ne souhaite pas mener une lutte politique
indépendante par les travailleurs pour défendre leurs acquis sociaux. Le
blocage des usines et les manifestations ne seront pas efficaces si la classe
ouvrière reste dans la perspective étroite imposée par les syndicats, qui
défendent l’ordre établi.
C’est pour cela que le WSWS appelle à la création
de comité d’action de défense des acquis sociaux, qui permettront
d’étendre les luttes industrielles et de politiser le conflit sur une
perspective internationaliste. A l’inverse de la stratégie proposée par
la CGT, les ouvriers doivent créer des comités de bases dans les lieux de
travail et les quartiers, et se préparer à bloquer les usines. Comme l’a démontré
la décision de l’Etat de briser l’occupation des DPF, le
durcissement des luttes sociales mettra la classe ouvrière face à une lutte
politique avec le gouvernement Sarkozy, qu’elle devra renverser avant de
pouvoir lutter pour un gouvernement ouvrier.