Le
Monde,
le quotidien de référence en France, a publié samedi sur son site internet des
commentaires sur le mouvement de grève contre la politique d’austérité du
président Nicolas Sarkozy émis par Philippe Corcuff, un sociologue
universitaire et membre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Comme d’autres
« philosophes » cités par Le Monde, Corcuff a exprimé son
hostilité à une grève de masse contre Sarkozy.
En mettant
ces éléments de l’avant, Le Monde pose un geste calculé, à un
point critique de la lutte, pour démoraliser et désorienter le mouvement de
grève.
Malgré un
soutien de masse pour un élargissement des grèves et des manifestations contre
les coupes, les syndicats ont écarté tout nouveau mouvement national de grève
jusqu’à ce que le Parlement adopte la « réforme » des retraites
de Sarkozy. L’action déterminée des travailleurs pétroliers et du
transport ont causé une accablante pénurie de carburant, mais les syndicats
isolent délibérément leurs grèves.
Utilisant
le moment de répit que lui ont accordé les syndicats, Sarkozy se sert de la police
anti-émeute pour démanteler les piquets de grève et les blocages des
travailleurs des raffineries, brisant des grèves à Grandpuits, Fos et
d’autres lieux de travail.
La
réaction de Corcuff est une honteuse capitulation devant Sarkozy et la classe dirigeante
française. Tandis que les travailleurs font face à une lutte politique contre
l’Etat, Corcuff et ses collègues interviennent via Le Monde pour
prôner une politique de reddition.
Corcuff
dit que les travailleurs doivent se concentrer sur des actes de contestation
« ludiques ». Il craint que si les travailleurs posent des actes plus
forts qui sont critiqués dans la presse, « cela pourrait relégitimiser le
discours de Sarkozy sur la sécurité ».
Ses
propositions font écho à la ligne de la CGT (Confédération générale du
travail). La CGT dirigée par les staliniens a dit qu’elle ne mènerait que
des actions « symboliques » contre le recours du gouvernement à la
police anti-émeute pour rouvrir la raffinerie en grève de Grandpuits, près de
Paris.
Corcuff soutient
entièrement la traîtrise des syndicats. Le Monde a averti que
d’autres blocages économiques « vont provoquer une cassure avec la
population », citant Corcuff : « Le sentiment d'être
soutenu par la population est très important pour les syndicalistes ».
La réalité
est à l’opposé de la perspective démoralisée de Corcuff. La situation est
caractérisée par une opposition de masse aux coupes — 70 pour cent dans
les récents sondages — et un large soutien aux grèves dans la population.
La manière la plus sûre de dissiper le soutien populaire en faveur des
travailleurs est de temporiser et de faire preuve de réticence à mener la lutte
jusqu’au bout.
L’opinion
à laquelle se soumettent Corcuff et les syndicats n’est pas celle du
grand public, mais de la bourgeoisie et de ses porte-parole des médias. Ce
n’est cependant pas, avant tout, le résultat d’une analyse fautive
ou d’une mauvaise appréciation de la situation. Au contraire, les
syndicats — et leurs acolytes au sein du NPA — sont bien au courant
du sentiment grandissant de révolte dans la classe ouvrière, et ils répondent
avec frayeur et hostilité. Tous leurs efforts sont consacrés à trouver le
meilleur moyen pour affaiblir et torpiller le mouvement de masse.
Dans une
autre entrevue accordée au Monde, la professeure Cynthia Fleury prône
plus ouvertement l’intervention d’éléments des classes moyennes
pour mettre fin à l’opposition de masse à Sarkozy. Selon Le Monde,
Fleury est spécialiste des « outils de régulation de la démocratie »
— ou de son étouffement, pour être plus précis.
Affirmant
malgré toutes les preuves du contraire que la population est
« d’accord sur la finalité : la réforme des retraites »,
elle ajoute que « la rue, qui gouverne par son pouvoir de veto » est
devenue une forme de « souveraineté dite négative », dont le contrôle
est « le grand challenge des démocraties modernes ». Fleury conclut
qu’une « nouvelle démocratie » peut émerger de
« l'apparition de majorités qualifiées dans le débat public, qu'il s'agisse
de syndicalistes, de professeurs, etc. »
Elle
affirme que l’opposition ne vient pas de la « plèbe ».
« [C]'est fini ça », soutient-elle. « [C]e n'est pas une
"foule", ce n'est pas une "masse", ce sont des individus
éduqués, organisés, une force de proposition. »
Des
éléments tels que Fleury et Corcuff parlent pour des sections privilégiées et
arrogantes des classes moyennes, qui voient l’opposition sociale venant
de la classe ouvrière avec crainte et mépris. Convaincus de la nécessité des
coupes sociales, ils sont profondément hostiles à la lutte ouvrière contre
Sarkozy parce qu’ils se rendent bien compte qu’elle mènerait
rapidement à une confrontation entre les travailleurs et la bureaucratie
syndicale. Cela démasquerait tant les syndicats que la politique de
collaboration de classe du NPA.
C’est
effectivement avec hostilité et appréhension que Corcuff voit la perspective
d’un mouvement des travailleurs pour une grève générale indépendante des
syndicats. Dans le dernier billet de son blogue (« Pour une guérilla
sociale durable et pacifique »), il explique : « Le niveau de
convergences et de radicalisation au sein de l'intersyndicale nationale ne
laisse pas espérer la possibilité d'un mot d'ordre national de grève
reconductible interprofessionnelle. On peut le regretter, mais on doit en tenir
compte. »
Corcuff
n’explique pas pourquoi le refus syndical d’organiser des
débrayages de masse signifie que les travailleurs doivent suivre les ordres des
syndicats et s’abstenir d’en organiser eux-mêmes. Il se contente
d’écrire : « L'enjeu principal n'est-il pas... de préserver...
la cohabitation inéluctable du pôle des prudents et du pôle des
radicaux ? »
De tels
commentaires démasquent le Nouveau parti anticapitaliste et ses adeptes comme
de purs charlatans. Toute lutte sérieuse contre le capitalisme et l’Etat
capitaliste implique une lutte politique contre ceux qui prônent la
collaboration de classe, comme la CGT. Le soi-disant
« anticapitalisme » de Corcurff ne dépasse toutefois pas ce premier
prérequis à une lutte contre le système de profit.
Certes,
Corcuff ne rechigne pas à utiliser l’expression « grève
générale ». Il insiste toutefois pour lui attacher un sens nouveau et
complètement vain, de sorte que même un droitier comme Corcuff puisse utiliser
cette expression lors d’entrevues à la presse bourgeoise. Pour Corcuff,
une grève générale signifie « une exigence de généralisation à partir
d'expériences concrètes ». Il ne daigne pas expliquer ce que signifie ce
jargon.
Le World
Socialist Web Site a appelé les travailleurs à former des comités
d’action pour coordonner un mouvement indépendant de grève contre
Sarkozy. Les comités s’efforceraient d’unir toutes les sections du
monde du travail et d’élargir la lutte contre les mesures
d’austérité et le chômage, préparant le terrain pour une grève générale
visant à renverser le gouvernement Sarkozy et à le remplacer par un
gouvernement ouvrier basé sur une politique socialiste.
Corcuff
indique clairement qu’il s’oppose à une telle lutte. Ce serait
« rigide », écrit-il, si l’on « considérait la généralisation
de la grève à l'ensemble des salariés, des étudiants et des lycéens à un moment
donné comme la seule modalité de construire un mouvement social convergent
susceptible de remporter des victoires ». Corcuff
« converge » plutôt de nouveau vers sa précédente
« modalité », consistant à exiger une alliance avec des forces de
droite : « la perspective de généralisation suppose au minimum de
garder au sein de la mobilisation les secteurs les plus prudents et/ou les plus
modérés. »
Il recule
avec effroi devant l’« unité » et la
« centralisation » de la lutte des classes, expliquant :
« Cela tend à écraser le Multiple sous hégémonie de l'Un. » Ce
qu’il développe, à sa propre manière : « La politique consisterait
à créer un espace commun en partant de la pluralité humaine, sans écraser cette
pluralité au nom de l'Un. »
Tout ce
bavardage pseudo-intellectuel se ramène à l’anxiété des sections plus
privilégiées des classes moyennes devant l’émergence de la classe
ouvrière en tant que force sociale politiquement consciente et unifiée.
C’est ce qui les pousse inexorablement vers la bureaucratie syndicale
— une autre couche très aisée des classes moyennes, qui voit la lutte des
classes comme une menace à ses privilèges.
Corcuff
n’est pas le seul « intellectuel » universitaire en France à
vouloir semer la confusion dans la population avec le jargon utilisé en salle
de classe pour endormir les étudiants. Il est, cependant, un spécialiste des
formules « de gauche » pour combattre la lutte révolutionnaire de la
classe ouvrière. Les positions qu’il met de l’avant soulignent
l’importance de la répudiation publique par le NPA de toute association,
même verbale, avec le trotskysme, lors de son congrès fondateur de 2009.
C’était une affirmation publique de son hostilité au marxisme et à la
classe ouvrière.
Dans un
article de mai 2009, intitulé « Antiproductivisme et anticapitalisme : de
nouvelles convergences », Corcuff a décrit sa tentative de mettre sur pied
une alliance entre le NPA et les écologistes du Mouvement des objecteurs de
croissance (MOC). Le NPA a participé à plusieurs campagnes régionales aux côtés
du MOC dans les élections régionales de mars dernier.
L’article
de Corcuff a condamné la production économique et prôné une « révolution
culturelle antiproductiviste ». De manière similaire, alors que des
débrayages frappaient l’industrie automobile française, le défunt
philosophe universitaire du NPA, Daniel Bensaïd, avait qualifié
l’industrie automobile de « branches industrielles sinistrées et
écologiquement problématiques ».
Le contenu
profondément réactionnaire de tels points de vue se reflète dans les propos de
Corcuff attaquant Marx pour sa supposée « fascination
productiviste ». Le professeur écrit : « Il ne s’agit
certes pas d’abandonner des pans importants des valeurs des
Lumières : la raison, la science ou le progrès, mais de leur ôter leurs
Majuscules, leur position surplombante et absolue, pour en faire seulement des
paris confrontés à l’inquiétude écologiste. Ce que j’ai appelé
ailleurs des Lumières tamisées. »
Avec son
opposition tamisée à la science, au marxisme et à la classe ouvrière, Corcuff
fait partie de l’arrière-garde intellectuelle que la réaction sociale se
garde en réserve pour être utilisée contre la classe ouvrière en temps de
crise. En condamnant la grève générale et en prônant la capitulation devant les
coupes sociales de Sarkozy, il joue le rôle qui lui a été décerné : celui
d’un agent petit-bourgeois de l’aristocratie financière.