Les craintes des conséquences de l'affaiblissement de l'économie
mondiale, au moment où se développent des conflits monétaires et commerciaux
entre les grandes puissances capitalistes, ont dominé la réunion
semestrielle du Fonds monétaire international, organisée samedi à
Washington. Cette rencontre n'a pu avancer de solutions pour ces problèmes.
En fait, elle a révélé que les différends entre les grandes puissances,
particulièrement entre les États-Unis et la Chine, s'accentuent.
Comme l'a mentionné le Financial Times aujourd'hui, « L'hostilité
entre Washington et Pékin a crû jusqu'à ressembler à une guerre de
tranchées. »
À la veille de la réunion, le directeur général du FMI, Dominique
Strauss-Kahn, a averti que l'accroissement du chômage mondial résultant de
la faible croissance dans les principaux pays industriels menaçait la
stabilité politique et pourrait même mener à la guerre.
« Pendant cette crise, a-t-il déclaré, l'économie mondiale a perdu
environ 30 millions d'emplois. De plus, dans les dix années à venir, 450
millions de personnes vont arriver sur le marché du travail. Le risque
existe de voir une génération perdue.
« Quand vous perdez votre emploi, le risque s’accroît que votre santé se
détériore. Quand vous perdez votre emploi, l'éducation de vos enfants risque
d’en souffrir. Quand vous perdez votre emploi, la stabilité sociale risque
de s’en ressentir. C'est une menace pour la démocratie, et même pour la
paix. »
S'adressant directement aux délégués, Strauss-Kahn a déclaré qu'ils
étaient rassemblés « à un moment crucial de l'histoire, alors que nous
faisons face à un avenir très incertain. Certes, il y a une reprise, et
lorsque nous examinons les données, nous notons que, au niveau mondial, la
croissance revient. Mais nous savons tous que la reprise est fragile et
inégale. » Il a souligné le fait que l'histoire avait montré que
l'utilisation des monnaies en tant qu'armes ne fonctionnait pas et que cela
pouvait mener à une « situation très regrettable ».
La rhétorique de Strauss-Kahn n'a cependant pas réussi à rapprocher les
grandes puissances sur aucune des questions clés de politiques, et encore
moins sur le problème des valeurs des monnaies.
Dans une campagne visant à augmenter leurs exportations, les États-Unis
revendique que le yuan chinois soit réévalué et que la Chine en fasse
davantage pour stimuler son économie intérieure. Pour leur part, les
autorités chinoises ont insisté que bien qu’elles soient d’accord pour
augmenter la valeur de leur devise, ceci doit être fait de manière graduelle
et non pas par une « thérapie choc ».
Le communiqué final de la définition d’orientation du comité du FMI a
promis de « travailler vers un modèle de croissance globale plus équilibré,
reconnaissant la responsabilité des pays excédentaires et déficitaires » et
a juré de « faire face aux défis des larges et volatiles mouvements du
capital, lequel peut être perturbateur ».
Mais comme Strauss-Kahn l’a reconnu après la rencontre, le langage était
« inefficace » et ne changerait pas les choses.
Des déclarations présentées à la rencontre par les dirigeants des banques
centrales et les ministres des finances ont souligné l’absence d’une
approche commune, alors que chacune des puissances a mis l’accent sur ses
propres intérêts.
Une déclaration du secrétaire du Trésor américain Timothy Geithner
prévenait que le plus grand risque que court l’économie mondiale est que les
plus importantes économies « aient des résultats de croissance
insuffisants ». Mais, sans mentionner de nom, la déclaration en venait
ensuite à critiquer de la Chine
« Pour que la reprise soit durable il doit… y avoir un changement dans le
modèle de croissance globale. Depuis trop longtemps, de nombreux pays ont
orienté leurs économies vers la production pour l’exportation plutôt que
vers la consommation intérieure, comptant sur les États-Unis pour importer
beaucoup plus de leurs biens et services qu’ils en achètent des nôtres ».
Dans une critique supplémentaire de la Chine, qui détient des réserves de
devises étrangères de près de 2,5 billions, Geithner a dit que les pays avec
le plus grand surplus devraient implanter des politiques pour stimuler leurs
demandes intérieures. « Cela est particulièrement important pour les pays
dont les devises sont significativement sous-évaluées. »
Il a poursuivi en appelant le FMI à « renforcer sa surveillance des
politiques de taux de change et des pratiques d’accumulation de réserves ».
Les autorités chinoises ont exprimé leurs propres critiques alors que le
gouverneur de la banque centrale, Zhou Xiachuan, a dit au FMI que des dettes
élevées, des taux d’intérêt bas et des mesures de stimuli non
conventionnelles des nations les plus riches constituaient un problème
mondial majeur.
« Parce que les taux d’intérêt demeurent extrêmement faibles et que les
principaux émetteurs de devises de réserves continuent à adopter des
politiques monétaires non conventionnelles, les pays émergents confrontent
de grands défis dans la conduite de leur politique monétaire », a dit Zhou
dans sa déclaration. Même si les Etats-Unis n’étaient pas ouvertement
nommés, il n’y avait aucun doute sur qui le venin du banquier central était
dirigé.
Zhou a appelé le FMI à surveiller les politiques des pays avancés qui
sont « le plus dommageables pour la croissance économique mondiale. »
L’accent sur les politiques de taux de change laisse réellement les pays
développés « hors d’atteinte de la surveillance du Fonds ».
« Les problèmes les plus fondamentaux présentement sont la lenteur du
progrès dans les pays développés sur la question de la réparation et de la
réforme de leur système financier et le recours continuel à des politiques
qui appuient la stabilité du secteur financier », a-t-il dit.
« Considérant les immenses sommes que représentent pour les pays
développés les prêts arrivant à maturité et les déficits fiscaux cette année
et l’an prochain, les risques de pays souverains pourraient se détériorer à
tout moment, ce qui se traduira en effets systémiques sur la stabilité
financière mondiale », a dit Zhou.
Les autres dirigeants ont de la même façon défendu les intérêts de leur
propre nation. Le ministre japonais des Finances, Yohihiko Noda, a cherché à
contrer les critiques que les interventions de la Banque du Japon sur les
marchés de changes avec objectif de diminuer la valeur du yen en affirmant
qu’elles visaient à stabiliser le marché, et non à affaiblir le yen pour
améliorer la position des produits japonais sur les marchés mondiaux.
Le président des ministres des Finances de la zone euro, Jean-Claude
Juncker, préférerait clairement un retour aux jours où les grandes
puissances faisaient la pluie et le beau temps dans le monde financier.
« Dans le cadre du G20, il y a trop de monde et trop d'intérêts pour
permettre d'aboutir à un accord sur les monnaies », a-t-il dit à Reuters.
« Le cadre idéal serait le G7 [les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le
Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon] plus la Chine ».
Certains ont plutôt choisi la pensée magique. Le ministre brésilien des
Finances, Guido Mantaga, qui le mois dernier s’inquiétait des conséquences
internationales d’une « guerre des monnaies », a dit qu’il était optimiste
qu’on éviterait la confrontation. « Je crois que nous pouvons arriver dans
le cadre de rencontres du G20 à un accord semblable à l’accord du Plaza »,
a-t-il dit, se référant à l’accord intervenu entre cinq grands pays en 1985
pour diminuer la valeur du dollar américain.
Le président australien du Conseil du Trésor, Wayne Swan, se concentrant
sur les nouvelles de son pays et apparemment incapable de considérer que
rien n’est plus important, a insisté sur le fait que la situation de
l’emploi en Australie était bien meilleure que celles des Etats-Unis qui ont
perdu 95.000 emplois le mois dernier.
L’attention se portera maintenant sur la rencontre du G-20 qui aura lieu
le mois prochain à Séoul, la capitale de la Corée du Sud. Mais des compte
rendus de la rencontre du FMI, il est clair que les différences pourraient
bien plutôt s’être accentuées d’ici là.