Des millions de travailleurs et d'étudiants et lycéens
sont descendus dans la rue dans toute la France jeudi pour protester contre le
vote final à l'Assemblée nationale du projet de loi du président Nicolas
Sarkozy sur la « réforme » des retraites. L'économie française était
toujours paralysée par une pénurie de carburants due aux grèves en cours dans
les raffineries et les ports.
La CGT (Confédération générale du travail) a estimé à 2
millions la participation à la journée d'action, soit une diminution par
rapport aux 3,5 millions de la mobilisation précédente du 19 octobre. Le
gouvernement qui a toujours donné des estimations à la baisse lors des
précédentes journées d'action a fait état d'une participation de 560.000 par
rapport à 1,1 million le 19 octobre.
La manifestation avait le soutien écrasant de 65 pour cent
de la population selon le plus récent sondage du Parisien. Le
gouvernement Sarkozy quant à lui est tombé au plus bas dans les sondages avec
29 pour cent d'approbation.
En accord avec de nombreuses déclarations de représentants
du gouvernement ou des médias visant à décourager de faire grève, le ministre
du Travail Eric Woerth a dit que le «ralentissement significatif de la
mobilisation » permettait d'«espérer une sortie de crise dans les jours ou
les semaines qui viennent. »
La mobilisation nationale de jeudi était la septième
journée nationale d'action depuis le 7 septembre à l'appel des syndicats contre
la « réforme » des retraites. La loi reporte de 60 à 62 ans l'âge
légal de départ à la retraite et de 65 à 67 ans le droit à une retraite sans
décote.
Selon les syndicats, 170.000 personnes ont défilé jeudi
dans Paris contre 330.000 le 19 octobre.. La participation était également
moins importante dans la plupart des autres villes, dont Marseille (150.000),
Lyon (32.000) et Toulouse (120.000). Malgré la semaine de congé de la
Toussaint, de nombreux étudiants et lycéens étaient dans les cortèges, mais en
nombre plus restreint que lors des précédentes journées d'action.
Des travailleurs des secteurs public comme privé ont fait
grève. Les grèves ont touché le transport aérien avec 50 pour cent des vols
annulés à l'aéroport parisien d'Orly et 30 pour cent dans les autres aéroports
du pays. Les transports en commun ont aussi été touchés par le mouvement de
grève. Les travailleurs de la SNCF ( transport ferroviaire) et de la RATP
(métro et bus parisiens) ont fait grève. Selon les chiffres de la direction
quatre trains régionaux sur dix ne circulaient pas.
Le syndicat CGT-Energie a dit que les travailleurs en
grève d'EDF (Electricité de France) avait réduit la production d'énergie
d'environ 6 250 mégawatts. Le syndicat a laissé entendre que la grève se
poursuivrait, déclarant: «Les deux terminaux méthaniers de Fos sont toujours
indisponibles... Nul doute, que sous les formes qu'ils décideront, les salariés
continueront à se mobiliser contre le projet de loi sur les retraites. Sur
beaucoup de sites, la poursuite est déjà organisée »
Les travailleurs de quatre raffineries sur les douze que
compte la France continuent à bloquer l'acheminement de carburants et cinq
raffineries sur les six en France de la compagnie Total sont toujours en grève.
Dans de nombreuses raffineries qui ont voté la reprise du
travail, il est impossible de reprendre la production du fait de la poursuite
de la grève dans les terminaux pétroliers des principaux ports tel Fos-Lavéra
près de Marseille. Le port de Marseille fait état de 79 navires ancrés au
large, dont 58 pétroliers, 38 d'entre eux ayant une cargaison de brut et les 20
autres de raffinés.
Une station-service sur cinq est toujours confrontée au
problème d'approvisionnement. Selon le site Zagaz qui est très utilisé pour la
comparaison en ligne du prix des carburants, « 20 pour cent des stations
sont encore en manque d'un ou plusieurs carburants jeudi, contre 27 pour cent
mercredi après-midi. »
Le journal Le Parisien écrit: « La situation
jeudi était identique à celle de la veille, c'est-à-dire celle de terminaux en
grève, bloquant l'approvisionnement en pétrole brut de la plupart des
raffineries françaises. C'est le cas des terminaux pétroliers de Fos-sur-Mer
(Bouches-du-Rhône), du Havre (Seine-Maritime) et de Donges (Loire-Atlantique.)»
Bien que les éboueurs des villes du sud comme Marseille,
Nantes, Pau et Agen aient voté la reprise du travail, les éboueurs de la région
parisienne et de Toulouse sont toujours en grève. Quelque 15 pour cent des 7.000
éboueurs municipaux ainsi que les éboueurs de compagnies privées sont en grève.
Les travailleurs poursuivent le blocage, commencé le 19 octobre, du centre
d'incinération des ordures d'Ivry-sur-Seine en banlieue parisienne.
De nombreux articles de presse rapportent la colère
perceptible dans les manifestations, avec des manifestants rejetant les
déclarations du gouvernement selon lesquelles le mouvement de grève serait
terminé, et critiquant les syndicats pour n'avoir pas organisé d'action plus
efficace.
Le Monde cite un psychologue, Jean-Noël, de Paris
qui dit, «Il y a quand même beaucoup de monde, c'est bien, il faut continuer.
L'affaissement supposé de la mobilisation, c'est un discours, en partie relayé
par les médias. »
Le journal cite plusieurs travailleurs qui critiquent
sévèrement les syndicats. Un employé des hôpitaux a dit, « On n'a pas
senti une volonté réelle d'en découdre, du côté des dirigeants. Ils se sont
laissé déborder par leur base. » Un autre a dit que les syndicats «ont
aussi laissé faire des grèves reconductibles dans certains secteurs, mais sans
vraiment les soutenir »
Le Monde s'inquiète de la stratégie que les
syndicats pourraient adopter pour mettre fin aux manifestations: «Dans ce
contexte, quelle suite proposer ? Continuer comme si de rien n'était semble
difficile, mais tenter de faire baisser la pression également. Et les
dirigeants syndicaux savent sûrement qu'ils risquent un retour de bâton des
plus motivés. »
La mobilisation de jeudi montre que de larges sections de
la classe ouvrière n'acceptent pas les coupes, même après que la loi a été
votée. Leur détermination à poursuivre la lutte pose de façon claire et nette
la nécessité d'une nouvelle direction et d'une nouvelle stratégie pour mener
une lutte politique contre le gouvernement Sarkozy.
La politique proposée par le World Socialist Web Site,
à savoir la formation de comités d'action indépendamment des syndicats et la
préparation d'une grève politique de masse pour renverser le gouvernement
Sarkozy et lutter pour un gouvernement de travailleurs, découle directement de
la logique de la situation politique.
Les syndicats ont montré qu'ils étaient hostiles à la
lutte contre les coupes. Ils ont isolé les grévistes en refusant d'organiser
des grèves de solidarité pour protester contre les actions de la police pour
briser la grève des travailleurs du pétrole et ils ont refusé d'appeler à une
grève générale.
Ils se limitent à présent à des appels pour que Sarkozy
renégocie les coupes avec eux. De tels appels sont cyniques et impuissants, du
fait que Sarkozy a obtenu le vote de la loi et dit clairement qu'il ne
négociera pas.
La CGT a dit, jeudi soir, que la mobilisation était un «fait
exceptionnel dans l’histoire sociale du pays,» et n'a pourtant pas appelé
à l'abrogation des coupes. Au contraire elle a répété ses demandes de
pourparlers: «Le président de la République doit enfin entendre le message
lancé par une grande majorité de la population » et « ouvrir de
vraies négociations avec les organisations syndicales. »
Le secrétaire de la CFDT (Confédération française
démocratique du travail) François Chérèque a dit que la loi n'est pas
« juste » et ajouté, «Les salariés sont encore très majoritairement
contre cette loi, notre devoir c'est de continuer à le dire. » Il a
ensuite suggéré de remettre à un avenir indéfini l'opposition en suggérant que
«le combat » pourrait prendre la forme de la «discussion de 2013.»
Une telle « lutte » conduirait dans les faits à
davantage d'attaques contre les travailleurs. Chérèque se réfère à une
disposition de l'actuel projet de loi sur les retraites spécifiant qu'en 2013
il y aura des pourparlers entre les syndicats et le gouvernement sur le passage
à un système de retraite « par points. » Cela permettrait aux autorités de
changer, c'est à dire de réduire, le paiement des retraites selon divers
facteurs, dont celui de l'espérance de vie.