Plus de trois millions de travailleurs ont participé à la journée de
mobilisation de mardi contre les coupes dans les retraites mises en place
par le président Nicolas Sarkozy et les travailleurs de plusieurs secteurs
industriels ont voté pour la reconduction de la grève.
Dans un contexte où la presse fait état de craintes d'une
« radicalisation », c'est à dire de grèves échappant au contrôle des
syndicats et des partis de « gauche » bourgeois, une confrontation se
prépare entre la classe ouvrière et l'ensemble de l'establishment politique.
Cette journée d'action était appelée par les syndicats contre une mesure
visant à reporter l'âge de départ à la retraite sans décote de 65 à 67 ans.
L'attaque contre les retraites fait aussi passer l'âge légal de départ à la
retraite de 60 à 62 ans. Alors que ces deux dispositions clé ont déjà été
votées, le Sénat doit encore voter les parties restantes de la législation
cette semaine.
Sarkozy insiste pour dire que le gouvernement ne reculera pas sur les
réformes qui ne sont que le premier pas de projets de mesures massives
d'austérité.
Les exigences du gouvernement ont révélé au grand jour la justice de
classe flagrante de la politique gouvernementale. Les travailleurs sont
confrontés à des coupes tandis que les banques et les ultra riches sont
renfloués. Pour exemple notamment, le ministre du Travail Eric Woerth,
chargé de la réforme des retraites, a entretenu des relations de corruption
avec la milliardaire Liliane Bettencourt, l'aidant à récupérer plusieurs
millions d'euros d'abattements fiscaux.
Une majorité écrasante de la population soutient les grèves et est
opposée aux réformes de Sarkozy. Un sondage CSA pour Le Parisien révèle que
69 pour cent de la population soutiennent la grève et 61 pour cent
soutiennent la reconduction de la grève. Un autre sondage révèle que 68 pour
cent désapprouvent Sarkozy.
Les efforts du gouvernement pour minimiser l'envergure des manifestations
ont échoué. Tout comme lors des journées d'action précédentes, où ils
avaient donné des chiffres de participation très bas, la police a dit que
1,2 million de personnes a défilé dans les rues. Même le syndicat de la
police à Marseille a dénoncé cette estimation l'accusant de « travestir» la
réalité à des fins politiques, ce qui « ridiculise la police. » Des
syndicats de policiers ont rejoint la manifestation parisienne.
Toutes les sources sont d'accord pour dire que la participation était
supérieure à celle des journées d'action précédentes. Selon les syndicats,
330 000 personnes ont défilé à Paris, 230 000 à Marseille, 145 000 à
Toulouse, 130 000 à Bordeaux, 95 000 à Nantes, plus de 70 000 à Rouen, ainsi
qu'à Montpellier et Grenoble.
Sur de nombreux lieux de travail, les travailleurs vont se réunir en
assemblées générales ce matin pour voter la reconduction ou non de la grève.
Dans les raffineries de pétrole Total, à la SNCF (réseau ferroviaire) et à
la RATP (métro et bus parisiens) des travailleurs ont voté la nuit dernière
pour la reconduction de la grève. Avec la grève déjà en cours sur le port de
Marseille bloquant le réapprovisionnement des raffineries de pétrole et des
reportages faisant état d'automobilistes prenant d'assaut les stations
service, une grève durable dans les transport en commun risquerait de
paralyser de larges secteurs de l'économie.
Des lycéens étaient aussi en grand nombre dans les cortèges et plus de
300 lycées étaient en grève et bloqués.
La classe dirigeante espère que les syndicats seront capables de contenir
l'opposition de masse de façon à ce que le gouvernement puisse maintenir
cette législation. Le premier ministre François Fillon a dit hier aux
législateurs conservateurs qu'il n'y avait « pour l'instant » plus de
« marge de manoeuvre » pour modifier la loi. En conséquence, a-t-il
expliqué, « maintenant, ce qu'il faut c'est du sang-froid et pas de
provocation. »
Néanmoins, le Financial Times écrit que des sources à l'Elysée
« craignent le risque d'une radicalisation et même de violences
sporadiques. »
La classe dirigeante sait bien qu'elle est confrontée à une menace
politique majeure. Le quotidien L'Est Républicain écrit, « Tous les
ingrédients d'une révolte sociale sont réunis: un pouvoir très impopulaire,
une réforme jugée injuste, une opinion désorientée par la crise, un chômage
chronique, des lycéens tentés par la rue. » Citant « la crainte de la
violence, » le journal dit que les travailleurs «luttent pour conserver les
acquis de leur modèle social, sans ignorer qu’une époque s’achève. »
Le Financial Times n'hésite pas à écrire que l'establishment politique
français est « toujours traumatisé » par la grève générale et les
manifestations étudiantes de mai-juin 1968. »
Les syndicats ont été forcés de préparer cette grève du fait de la
frustration qui enfle dans la classe ouvrière. Les journées de protestation
à répétition n'ont rien fait pour arrêter les coupes de Sarkozy. Jean-Pierre
Delannoy, dirigeant CGT métallurgie du Nord Pas-de-Calais, a expliqué que
les travailleurs « en ont assez de se contenter de battre le pavé. »
Les travailleurs sont confrontés à des questions politiques fondamentales
au moment où ils entrent dans une lutte contre la politique d'austérité de
l'aristocratie financière. Objectivement la classe ouvrière a le pouvoir
social de vaincre cette aristocratie et doit lancer des luttes politiques
déterminées avec grèves contre elle. Mais la principale difficulté à
laquelle doivent faire face les travailleurs est la faillite des syndicats
et partis existants qui affichent une opposition qui n'est que de façade.
Face à l'hostilité de masse envers Sarkozy, les syndicats et les partis
de l'establishment dissimulent le fait qu'ils soutiennent ces coupes, en
organisant des journées d'action épisodiques et inefficaces. Ceci souligne
le principal avantage de la bourgeoisie sur la classe ouvrière dans les
luttes à venir: son contrôle politique sur les grèves grâce aux partis
existants. La bourgeoisie a bien l'intention de d'étouffer ces grèves et de
les empêcher de se transformer en une lutte politique avec le gouvernement,
en semant l'illusion que l'on peut « améliorer » la législation en
poursuivant la négociation.
L'exemple le plus clair est la position trompeuse du Parti socialiste
(PS.) Sa secrétaire Martine Aubry critique Sarkozy à présent et met en garde
contre une « risque d'affrontement. » Elle appelle à davantage de
négociation entre Sarkozy et les syndicats sur ces coupes. Mais durant la
crise de la dette grecque au printemps, Aubry avait clairement appelé à un
rallongement de deux ans de l'âge de départ à la retraite, une position qui
correspond au bilan droitier de son parti lorsqu'il était au pouvoir.
En effet, le candidat probable du PS pour l'élection présidentielle de
2012, Dominique Strauss Kahn, est ctuellement président du Fonds monétaire
international (FMI) qui a publié la semaine dernière un rapport soutenant
les coupes de Sarkozy. Le rapport fait l'éloge des coupes qui réduisent les
dépenses de retraite de 15 pour cent, limitant ainsi le déficit budgétaire
de l'Etat et augmentant la profitabilité et la compétitivité des entreprises
françaises sur la scène mondiale. Strauss Kahn et le FMI ont joué un rôle
majeur dans l'imposition de coupes toujours plus draconiennes à la Grèce
durant la crise de la dette européenne du printemps.
Cette même défense de l'austérité sociale sous-tend le refus public des
syndicats de mener une lutte déterminée contre l'austérité. Dans une
interview accordée au quotidien Libération la semaine dernière, le
secrétaire de la CGT Bernard Thibault a expliqué qu'un appel à la grève
générale était «un slogan pour moi qui est tout à fait abstrait, abscons.
... ça ne correspond pas à la pratique par laquelle on parvient à élever un
niveau de rapport de forces. »
Thibault a ajouté que les mobilisations actuelles ont permis à « des
dizaines de millions de salariés de participer déjà, d’une manière ou d’une
autre, depuis le mois de mai, à des initiatives de protestation à l’égard du
gouvernement. »
Mais Thibault n'a pu que proposer « une remise à plat » de la réforme,
c'est à dire le retour à la table des négociations avec Sarkozy, d'où était
sortie cette série de coupes. Son opposition aux appels à la grève générale
est très révélatrice de sa position: ayant contribué à l'élaboration de ces
attaques, il s'oppose à une grève prolongée contre elles.
Ainsi Le Monde écrit: «Il y a un piège que Bernard Thibault veut à tout
prix contourner, c’est celui de la radicalisation. Une radicalisation, par
nature incontrôlable, qui conduirait les salariés, auprès desquels la CGT
veut reconquérir crédibilité et légitimité, dans une impasse en leur faisant
croire qu’elle pourrait venir à bout de l’inflexibilité du chef de l’Etat. »
Ceci place objectivement la CGT en opposition politique avec la classe
ouvrière. Les travailleurs se mobilisent contre la loi après qu'elle a été
votée par le Sénat, précisément parce qu'ils ne se satisfont pas de
participer à des journées d'action qui ont manifestement échoué.
Ce mécontentement d'une telle envergure sous-tend la colère et la
détermination montantes de larges sections de la classe ouvrière. La logique
de cette opposition met les travailleurs en conflit direct avec Sarkozy et
tous les défenseurs du système capitaliste, y compris le PS, les syndicats
et leurs appuis de « gauche. »
L'éruption de l'opposition de la classe ouvrière en France fait partie
d'une radicalisation plus large des travailleurs dans le monde entier. Mais
pour que cette opposition soit victorieuse, elle doit prendre une forme
politique indépendante qui soit ouvertement dirigée contre la subordination
de toute l'économie mondiale aux intérêts de profit des banques et des
grandes transnationales.
Le fossé social entre les travailleurs et l'ensemble de l'establishment
politique montre à la fois la nécessité et la possibilité de construire un
nouveau parti fondé sur la lutte pour le socialisme. Le World Socialist Web
Site encourage les travailleurs de France et du monde à contribuer à la
construction du Comité international de la Quatrième Internationale, comme
parti révolutionnaire de la classe ouvrière.