La grève a été reconduite en France après la journée nationale d'action
du 12 octobre contre les coupes dans les retraites mises en place par le
président Nicolas Sarkozy. Des lycéens ont rejoint les travailleurs des
ports, des chantiers navals, des raffineries et des transport en commun. La
police a attaqué des lycéens en grève dans plusieurs villes. On fait état de
pénurie de carburant à travers la France.
Sarkozy a clairement dit qu'il ne reculerait pas sur la réforme qui
reporte de deux ans, de 65 à 67 ans, l'âge de départ à la retraite sans
décote et reporte aussi l'âge minimum légal de départ à la retraite de 60 à
62 ans. Cela permettra à l'Etat d'imposer des pénalités financières
conséquentes (la décote) aux nombreux travailleurs forcés de prendre leur
retraite avant l'âge légal pour cause de santé ou de licenciement. Selon
certaines estimations, cela réduira de 15 pour cent au moins les dépenses de
l'Etat en matière de retraite.
Le 13 octobre lors d'un conseil des ministres Sarkozy a, de façon
provocatrice, dit qu'il« mettra des réformes sur la table jusqu’à la
dernière minute de mon quinquennat. »
En visite avant-hier à l'usine Laser Mégajoule près de Bordeaux, Sarkozy
a balayé d'un revers de main les manifestations des jeunes, faisant
remarquer que de telles protestations n'avaient pas arrêté la « réforme » du
système universitaire: « Qui aurait pu imaginer qu’en trois ans, le système
universitaire français, volontairement, magnifiquement, aurait évolué vers
l’autonomie sans drames, sans querelles idéologiques ? » Malgré « quelques
grèves, » selon Sarkozy, « notre système universitaire a brillamment passé
l’épreuve de sa mutation. »
Sarkozy impose sa réforme de façon antidémocratique, en passant outre non
seulement les jeunes qui manifestent mais la majorité de la population. Un
sondage CSA révèle que 69 pour cent de la population soutient les grèves
contre les coupes dans les retraites et que 54 pour cent veulent que les
syndicats organisent une grève générale si le gouvernement ne retire pas sa
réforme.
Le sondeur Gaël Sliman de BVA a dit à l'AFP qu'il est clair que si une
vraie lutte s'engageait, l'opinion publique la soutiendrait longtemps. Il a
dit que de nombreuses personnes qui ne sont pas «formellement hostiles » aux
coupes « comprennent un éventuel blocage. »
Sarkozy espère clairement que les syndicats garderont le contrôle sur les
protestations des travailleurs et permettront ainsi que la réforme des
retraites passe, comme ils l'avaient fait lors des mobilisations de 2007-8
contre les coupes dans les retraites et les grèves de 2009 contre le
renflouement des banques. Mais les travailleurs qui réclament la grève
contre les attaques sont de plus en plus frustrés par l'inaction des
syndicats.
Les syndicats refusent d'organiser une lutte sérieuse contre les coupes
dans les retraites qu'ils ont aidé Sarkozy à négocier pendant l'hiver et le
printemps. Le secrétaire de la CGT Bernard Thibault a récemment attaqué les
appels à la grève générale les qualifiants d' «abstraits » et «abscons. »
Interrogé sur la grève générale, Jean-Dominique Simonpoli, président de
l'association Dialogues, fondation qui réunit des représentants de la CGT et
des directeurs des ressources humaines des grandes entreprises en vue, s'est
contenté de dire, « On en parle, mais personne n’a envie d’y aller. »
Cédant aux demandes de la population d'une grève contre les coupes, une
intersyndicale a appelé avant-hier à une nouvelle journée d'action le mardi
19 octobre. Ils ont déjà appelé à une journée de manifestation samedi 16
octobre. Le dirigeant de la CFDT François Chérèque a expliqué, « Les gens
nous demandent de continuer. »
De plus en plus de travailleurs se rendent cependant compte que de telles
journées d'action isolées n'ont pas stoppé les coupes de Sarkozy. Comme l'a
dit un syndiqué avant la journée d'action du 12 octobre, les travailleurs
« en ont assez de se contenter de battre le pavé. »
Les syndicats ont donc laissé quelques secteurs industriels
particulièrement stratégiques faire grève sans essayer d'organiser une grève
plus large contre les coupes. A la SNCF (réseau ferroviaire public) la
plupart des assemblées générales sur les lieux de travail ont décidé de
reconduire la grève. Selon des reportages de presse, 4 TGV sur 10, 50 pour
cent des trains trains régionaux parisiens et 40 pour cent des trains Corail
circulent.
Les grèves touchent aussi les ports, les terminaux pétroliers et les
raffineries. Les équipes de remorqueurs sont en grève, paralysant l'accueil
des navires (pétroliers, le fret en bloc et le trafic de conteneurs) qui
attendent au large des ports français.
Avec 11 raffineries sur 12 touchées par la grève, notamment autour du
centre pétrolier stratégique de Fos-Lavéra dans le port méridional de
Marseille, on fait état de pénurie de carburant à travers la France. Ces
pénuries sont répandues en corse et dans le sud de la France mais se
produisent aussi sporadiquement dans le reste de la France dans des villes
telles que Nantes, Amiens et Paris. Plusieurs dépôts de carburant se sont
mis en grève aussi, stoppant les livraisons en provenance des installations
de Fos, Bassens et le Havre.
Avant-hier, Alexandre de Benoist, porte-parole de l'Union des
importateurs de pétrole (UIP) qui représente les détaillants les plus
importants dont Carrefour, Casino, Cora et Auchan, a dit à 20 minutes,
« Nous sommes inquiets de voir nos stations qui ferment parce qu’elles sont
en rupture d’approvisionnement. » Il faisait référence aux conducteurs
prenant d'assaut les pompes à essence, ce qui a provoqué une augmentation de
50 pour cent de la demande.
On s'attend fortement à des pénuries de carburant la semaine prochaine si
la grève se poursuit.
Sur LCI, le secrétaire d'Etat au transport Dominique Bussereau a dit, «On
a fait le point avec Jean-Louis Borloo, avec le Premier Ministre, et avec
les collaborateurs du président de la République. » Il a dit que la France
disposait de réserves pour « au moins un mois » si les automobilistes ne se
ruent pas sur les pompes. Des bureaucrates explorent des voies qui
permettraient d'utiliser la réserve stratégique de pétrole de la France pour
briser la grève.
La grève stoppe aussi l'approvisionnement des raffineries de Suisse et
provoque des pénuries en Allemagne. Néanmoins, selon le représentant de
l'Agence internationale de l'énergie Aad Bohemen, du brut de remplacement
est acheminé par le pipeline transalpin qui relie la ville italienne de
Trieste avec Karslruhe en Allemagne. Il a ajouté que ceci permet aussi
d'acheminer du pétrole en France « en provenance de toute la côte ouest » de
l'Europe, ce qui aide le gouvernement à contourner la grève.
Ce qui inquiète particulièrement le gouvernement, c'est la vague montante
de manifestations de lycéens. Hier, près de 900 lycées de France sur 4 302
étaient en grève, dont 550 étaient occupés. Au même moment, des
manifestations de centaines ou milliers de lycéens se sont déroulées dans
toute la France. A Toulouse, 10 000 lycéens ont défilé, 8 000 à Rennes, 7
000 à Bordeaux, 5 000 à Brest, 4 000 à Reims, 2 000 à Orléans ainsi qu'à
Tours, 1 500 à Montpellier et 1 000 à Caen.
Les sondages avertissent que des protestations de masse prolongées des
jeunes pourraient transformer le climat politique. Les appels à la grève
générale contre les coupes de Sarkozy sont particulièrement populaires
auprès des jeunes Français, avec 68 pour cent des 25-34 ans en faveur d'une
grève générale. L'analyste de ViaVoice, François Miquet-Marty a dit au
quotidien Le Monde, « L’enjeu est de savoir quels sont les leviers qui
peuvent durablement ancrer l’opinion publique en faveur de la contestation
sociale. Et l’entrée en lice des jeunes constitue un facteur de fracture
durable entre le peuple et le pouvoir. »
L'Etat cible avec brutalité les manifestations des jeunes. Avec près de
30 lycées en grève en région parisienne, la police a attaqué des lycéens
dans deux lycées de la banlieue parisienne: le lycée Paul-Eluard de
Saint-Denis et le lycée Jean-Jaurès de Montreuil. Daniel Auverlot inspecteur
d'académie de Seine-Saint-Denis a dit que l'Etat ne garantirait pas la
sécurité des lycéens grévistes: « A partir du moment où des lycéens bloquent
des établissements, nous ne pouvons plus répondre de leur sécurité, car
certains blocages risquent de dégénérer en début d’émeutes urbaines. »
Un lycéen de Montreuil a dû être hospitalisé après avoir été touché au
visage par un tir de flash-ball, en violation du règlement de la police sur
l'utilisation des flash-balls. Malgré les déclarations initiales de la
police selon lesquelles le jeune homme avait été légèrement blessé, les
reportages ont rapidement fait état de trois fractures sérieuses au visage
et du risque de perdre l'usage d'un oeil. Les autorités ont confirmé que le
lycéen n'était pas connu des services de police.
Des vidéos circulent aussi montrant des CRS frappant le reporter de Canal
+ Thierry Vincent alors que celui-ci tendait sa carte de presse et les
informait qu'il était en train de manifester pacifiquement. Ceci s'est
produit après la manifestation du 12 octobre.
Des lycéens ont aussi manifesté devant le siège du Medef, principale
fédération patronale. Ils seraient ensuite repartis, après avoir attendu en
vain l'arrivée d'une délégation syndicale. Un message twitter expliquait,
«Marre des syndicats, on est debout depuis 5h30, nous. »
Certaines indications donnent à penser que les étudiants pourraient
rejoindre les lycéens dans les manifestations contre la réforme.
L'administration a fermé l'Université Rennes-2 « pour raisons de sécurité »
de crainte d'une occupation. Selon Le Monde, des étudiants de l'université
parisienne de Jussieu se sont réunis en assemblée générale et des centaines
d'étudiants de Jussieu ont participé à des manifestations autour de Paris.