Des responsables du gouvernement se sont efforcés lundi de
limiter la poursuite des grèves contre les coupes impopulaires dans les
retraites du président Nicolas Sarkozy. Tablant sur le fait que des raids
policiers ont brisé des blocages pétroliers et que les manifestations lycéennes
se sont arrêtées à cause des vacances de la Toussaint, des ministres cherchent à
démoraliser les travailleurs en affirmant que les grèves sont terminées.
Ils sont aidés des syndicats, qui ont isolé les grèves dans les
secteurs du pétrole et du transport ainsi que dans les ports français.
Le gouvernement essaie de profiter de la récente adoption
par le Sénat du projet de loi sur les retraites, qui vise à réduire d’environ
18 milliards d’euros le montant annuel des pensions. La mesure a été
adoptée au mépris d’une opposition populaire de masse.
Interrogé dimanche sur la chaîne de télévision France 3, le
ministre du Travail Eric Woerth a affirmé sur un ton
arrogant : « Ça ne sert à rien de faire grève aujourd'hui. Après le
vote de la loi, c'est la loi, il faut la respecter. »
La presse s’est concentrée principalement lundi sur
les votes de retour au travail dans trois raffineries : Fos-sur-Mer,
Port-Jérôme Gravenchon et Reichstett. Jusqu’à présent, les douze
raffineries de France étaient en grève. Les ouvriers des raffineries, ainsi que
les débardeurs, les ouvriers des dépôts pétroliers et les routiers, ont bloqué
l’approvisionnement en carburant, causant une grave pénurie d’essence
et de gazole à travers le pays.
Le gouvernement mobilise la police anti-émeute pour démanteler les
blocages de plusieurs installations en France. L’Ufip (Union française
des industries pétrolières) a affirmé que tous les blocages de dépôts
pétroliers avaient pris fin, hormis les neuf dépôts pétroliers qui se trouvent
dans les raffineries en grève. Des raids policiers ont démantelé deux blocages de
dépôt pétrolier dans la région de Drôme, au sud-est de la France : un en Savoie,
et un autre à Saint-Pierre-des-Corps, situé près de Tours.
Des responsables syndicaux de la CFDT (Confédération française
démocratique du travail) ont averti que les routiers pourraient continuer quand
même à organiser des blocages. Mais les syndicats n’organisent aucune
action militante à l’échelle nationale contre les opérations de la police
pour briser les grèves.
Malgré les déclarations de Woerth que le mouvement de grève
a été vaincu, les arrêts de travail continuent d’avoir un puissant impact
sur l’économie. Le gouvernement a encore du mal à réalimenter les
stations d’essence. Une station-service sur trois en France était à sec lundi,
selon les chiffres du gouvernement. Le ministre de l’Écologie
Jean-Louis Borloo a dit qu’il avait fixé pour « objectif »
d’avoir 80 pour cent des stations « en état de fonctionner »
mardi.
Les pires problèmes ont été rapportés dans l’ouest de
la France et à Paris. Mais, les autorités policières dans le département du
Rhône autour de Lyon, au sud-est du pays, ont rapporté que 87 des 250 stations
étaient entièrement à sec, et que deux tiers des stations-service avaient des
problèmes d’approvisionnement.
Les grèves continuent dans les ports français, y compris les
installations pétrolières critiques de Marseille et du Havre. Le nombre de
navires qui n’ont pas pu accoster au port de Marseille et aux terminaux
pétroliers continue d’augmenter : 76 navires et 4 péniches lundi,
contre 73 navires et 4 péniches la veille.
Les travailleurs municipaux continuaient leur grève
lundi : les éboueurs ont bloqué le principal centre de traitement de
déchets d’Ivry-sur-Seine près de Paris, tandis que des chauffeurs
d’autobus et d’autres employés des transports en commun faisaient la
grève dans plusieurs villes.
Huit universités restent bloquées, et des syndicats
étudiants ont appelé à une journée nationale de grève aux côtés des lycéens le
4 novembre, à la fin des vacances scolaires. Une manifestation nationale des
jeunes a pris place hier.
Des sondages cités par le quotidien des affaires Les Echos montrent que 61 pour cent de
la population soutient la poursuite du mouvement de grève contre les coupes.
L’absence d’une perspective révolutionnaire est
le gros point faible du mouvement de grève. Les travailleurs sont objectivement
engagés dans une lutte contre l’Etat et toute la classe dirigeante. Mais
les syndicats et leurs alliés politiques de la « gauche » —
le
Parti socialiste, le Parti communiste, le Nouveau Parti
anticapitaliste — sont déterminés à limiter le mouvement à une
simple protestation sur la fausse prémisse qu’il est possible de faire
pression sur le gouvernement pour qu’il abandonne ou modifie
substantiellement la « réforme » des retraites.
Il est nécessaire d’élargir le mouvement et
d’unir toute la classe ouvrière dans une lutte politique consciente pour
renverser Sarkozy et établir un gouvernement ouvrier. Et il faut bâtir une
nouvelle direction afin de lutter pour cette perspective.
Les syndicats et leurs partisans « de gauche »
sont foncièrement opposés à une telle stratégie de lutte.
Bernard Thibault, dirigeant de la CGT (Confédération
générale du travail), a déclaré sur la chaîne de télévision France 5 :
« L'ouverture des négociations sur l'avenir des retraites reste l'objectif
des syndicats ».
C’est la voie de la capitulation, donnant le feu vert
à l’Etat pour briser l’une après l’autre les
grèves dans les divers secteurs. D’autres hauts dirigeants de la
CGT font des déclarations défaitistes afin de mener les luttes au point mort.
Un officiel de la CGT à ESSO, Laurent Delaunay, a déclaré : « Nous
avons perdu une bataille, mais pas l'essentiel: pouvoir s'exprimer contre cette
réforme ».
Charles Foulard, un responsable de CGT-Total, a quant à lui expliqué :
« On sait que les raffineries pèsent beaucoup dans ce mouvement, mais on
ne veut pas être les seuls à agir en France ». Il a dit que le secteur des
raffineries « ne se considère pas comme le fer de lance de la contestation ».
Mais la classe dirigeante a fait des ouvriers des
raffineries sa principale cible politique et elle va agir impitoyablement
contre eux. Le gouvernement a déjà annoncé des plans de fermeture de deux sites
de raffinage, Dunkerque et Reichstett, dans un secteur aux prises à une
importante surcapacité à cause de la récession économique mondiale. Les 12
raffineries de France peuvent raffiner 97 millions de tonnes de pétrole, mais
l’an passé elles ont seulement raffiné 74 millions de tonnes, une baisse
de 13 pour cent par rapport à 2008.
L’assaut sur les ouvriers des raffineries n’est
qu’une partie des plans visant à mener une attaque plus large sur le
niveau de vie de la classe ouvrière. Les coupes dans les retraites vont être
adoptées en même temps qu’un budget d’austérité et des coupes dans
la sécurité sociale. Selon Le Monde :
« Ces trois textes, élaborés au printemps alors que l'Europe, surendettée,
venait de connaître l'épreuve de la crise grecque » devaient tous être
discutés mardi à l’Assemblée nationale.
Les gouvernements rivalisent partout en Europe à qui coupera
le plus dans les salaires et les dépenses sociales, et fera croître plus vite les
profits et la compétitivité. Ce traitement choc s’en vient en France, a
expliqué Le Monde : « Toute
la politique économique et financière conduite par la France se déroule
désormais sous l'œil des marchés financiers, à l'affût du moindre faux
pas. L'action résolue de l'Allemagne et, aujourd'hui, de la Grande-Bretagne, pour
éponger leurs déficits, accentue un peu plus la pression. Si la France donnait
le moindre signe de faiblesse, elle serait sanctionnée, ce qui aurait pour
effet immédiat de renchérir le coût de sa dette. »
Ce qui se prépare est un assaut sur la classe ouvrière qui
dépasse de loin celui que Sarkozy a lancé jusqu'à présent. Les coupes sociales
en Angleterre s’élèvent à 81 milliards de livres, et vont éliminer
environ un million d’emplois dans les secteurs public et privé.
La perspective de faire pression sur Sarkozy, qui est prônée
par la CGT et ses alliés parmi les partis soi-disant de « gauche », a
fait faillite. Les travailleurs en France et partout en Europe font face à une
lutte pour exproprier une aristocratie financière internationale qui les menace
de ruine sociale, et au nom de laquelle gouverne Sarkozy.
Le
Monde a noté que Sarkozy — dont le taux d’approbation
a atteint son plus bas niveau, soit 29 pour cent — va continuer
à lutter pour la « reconquête » de l’électorat de droite, une
lutte qu’il a commencée avec un appel « aux extrêmes avec
l'offensive sécuritaire de l'été ».
Autrement dit, les mesures sécuritaires de type fasciste et
le ciblage ethnique des Roms cet été font partie
d’une stratégie à long terme visant à créer une atmosphère politique
empoisonnée pour pouvoir mener des attaques sans précédent sur la classe
ouvrière.
La semaine passée, le député Christian Vanneste de
l’UMP (Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy a confirmé au Figaro qu’il préconisait des
alliances électorales entre l’UMP et le Front national (FN) néo-fasciste.
Il avait déjà fait cette proposition lors d’une entrevue à la station
d’extrême-droite Radio Courtoisie.
Vanneste a cité en exemple le premier ministre italien
Silvio Berlusconi, qui a gouverné en coalition avec les néo-fascistes de
l’Alliance nationale dirigés par Gianfranco Fini.
Cela souligne l’importance de l’appel lancé par
le World Socialist Web Site pour que les travailleurs forment des comités
d’action indépendants pour étendre les grèves et préparer une grève générale
pour renverser le gouvernement Sarkozy.