Les travailleurs qui défileront le 12 octobre dans des manifestations
organisées par les syndicats contre la réforme des retraites du président
français Nicolas Sarkozy se trouvent à un carrefour politique. Néanmoins,
aussi important que soit le nombre de personnes se joignant au défilé et
même reconduisant la grève, ceci en soi ne produirait aucune expression
politique efficace de leur colère légitime de se voir spoliées par
l’aristocratie financière.
Dans la tourmente de la plus grande crise du capitalisme mondial depuis
les années 1930, de nouvelles formes de politique ouvrière et de
mobilisation sociale sont requises.
Les journées d’action répétées contre Sarkozy ne l’ont pas empêché de
réduire les retraites, d’augmenter la durée de travail hebdomadaire et de
réduire radicalement les dépenses sociales. Comme le montrent ses
propositions pour une législation sécuritaire fascisante – dont des projets
d’emprisonnement et de déportation de masse d’immigrants – elles n’ont
également pas réussi à stopper une érosion dangereuse des droits
démocratiques, qui ouvre la voie à une répression policière à grande
échelle.
Le rôle de ces manifestations de 24 heures visant à désarmer
politiquement les travailleurs a été tout particulièrement révélé lors de la
récente crise financière européenne. Les syndicats grecs et le premier
ministre social-démocrate George Papandreou ont réagi rapidement aux ordres
des financiers que représentent l’Union européenne (UE) et le Fonds
monétaire international (FMI). Alors que les syndicats, dirigés par le parti
de Papandreou, PASOK, organisaient des protestations inoffensives de 24
heures, ce dernier faisait voter une série d’attaques représentant une
stupéfiante réduction moyenne de 30 pour cent du niveau de vie des
travailleurs grecs.
Tel est le projet de l’UE-FMI, non seulement pour la Grèce mais pour
l’ensemble des pays développés, y compris la France. Le premier ministre
François Fillon a dernièrement félicité Bernard Thibault, secrétaire général
de la CGT étroitement liée aux Staliniens, d' « être dans son rôle » dans
l’organisation des manifestations du 7 septembre. Il aurait pu ajouter que
les répliques de Thibault venaient tout droit du scénario rédigé par Sarkozy
et financé par les créanciers de la France dont, entre autres, les
principales banques.
Thibault poursuit les négociations avec le ministre du Travail, Eric
Woerth, sur la réduction des retraites, regrettant seulement que celui-ci
soit discrédité par de nouvelles révélations sur ses relations corrompues
avec la milliardaire Liliane Bettencourt. La raison en est que la CGT
soutient les coupes de Sarkozy sur la base d’une logique purement économique
de défense du capitalisme français par la CGT. Après le déclenchement de la
crise économique de 2008, le seul moyen pour le capitalisme français de
rester concurrentiel sur le plan international dans la lutte mondiale pour
le profit et les parts de marché, est de réduire radicalement les salaires
et les dépenses sociales.
Des expériences amères sont en train de briser les illusions que des
protestations de 24 heures parviendraient à exercer une pression sur l’Etat
afin qu’il abandonne sa politique droitière. Un sondage réalisé en juin a
montré que 58 pour cent des personnes interrogées pensaient qu'elles ne
produiraient aucun résultat, bien que 67 pour cent disaient soutenir une
grève générale. En Europe, chaque action de la classe ouvrière risquant
sérieusement de perturber la poussée des banques pour imposer la rigueur a
été brutalement réprimée. L’armée a été utilisée en Grèce pour briser la
grève des chauffeurs routiers. En Espagne, les grèves des travailleurs du
métro de Madrid et des contrôleurs du ciel ont dû faire face à des menaces
d’un déploiement de l'armée.
Les syndicats feront tout leur possible pour contenir et étouffer une
grève reconductible afin de garder le contrôle sur le mouvement. Jeudi,
Bernard Thibault de la CGT a refusé de lancer un appel à une grève
reconductible. Cherchant à isoler les travailleurs souhaitant reconduire la
grève, il a dit que c'était aux « assemblées générales [de] définir ensemble
le rythme. » C'était déjà la méthode utilisée en 2007 pour briser les grèves
des cheminots pour la défense de leurs régimes spéciaux de retraite.
Aujourd'hui le syndicat UNSA, aligné au Parti socialiste, n'appelle pas à la
grève du 12 octobre à la RATP (métro et bus parisiens.)
Certaines confédérations syndicales ont lancé des préavis de grève dans
certains secteurs pour après le 12 octobre, principalement dans les
transports, le secteur de l'électricité et de l'énergie, afin de garder le
contrôle sur les travailleurs. Les appels du Nouveau parti anticapitaliste
(NPA) à une grève générale reconductible sont une tromperie. Ils défendent
l'idée que l'unité des syndicats et de la gauche bourgeoise avec le PS et
ses satellites exprimerait les intérêts des travailleurs en lutte, alors
même que ces organisations soutiennent les coupes et l'austérité. Le
candidat PS le plus probable à la présidentielle de 2012, Dominique Strauss
Kahn, est le directeur du FMI qui a, jeudi dernier, publié un rapport
recommandant des coupes dans les retraites et un allongement de deux ans de
l'âge légal de départ à la retraite, ce qui est en accord total avec la
ligne de Sarkozy.
La question à laquelle les travailleurs sont confrontés est la suivante :
quelles nouvelles perspectives et formes d’action ouvrent une voie à la
classe ouvrière lui permettant d'aller de l'avant ?
Le capitalisme, que ce soit la version « néolibérale » anglo-américaine
ou son cousin européen sclérosé, l’« économie sociale de marché, » a échoué.
Les travailleurs doivent mener une lutte révolutionnaire pour le
socialisme ; c’est-à-dire pour le pouvoir d’Etat et le contrôle démocratique
de la production par la classe ouvrière internationalement. La dictature de
l’aristocratie financière doit faire place à la souveraineté de la majorité.
La faillite des syndicats et des partis de « gauche » soulève
obligatoirement la question de l’héritage historique de Léon Trotsky, le
co-dirigeant avec Lénine de la Révolution d’Octobre de 1917 et le fondateur
de la Quatrième Internationale, assassiné en 1940 sur ordre de Staline. Son
nom est indissolublement lié à la critique marxiste de la politique de
collaboration de classes des syndicats, des sociaux-démocrates et de toutes
les variétés de stalinisme et à la lutte pour la révolution socialiste
mondiale.
La lutte pour le trotskysme au sein de la classe ouvrière est inséparable
de la lutte pour s'opposer et révéler au grand jour la politique petite
bourgeoise des partis existant actuellement en France et prétendant
descendre du trotskysme. Ils son experts dans l’art d’utiliser un discours
pseudo-révolutionnaire pour justifier des alliances avec l’establishment
politique et ce malgré sa politique antisociale.
Le discours prononcé par Olivier Besancenot à Port Leucate, lors de
l’université d’été du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) – fondé par la
Ligue Communiste révolutionnaire qui jadis avait affirmé être associée a
Trotsky – est un exemple typique de ce genre de politique. Pour Besancenot,
ce ne sont pas les directions politiques pro-capitalistes mais les
travailleurs qui sont responsables de l’adoption des coupes sociales de
Sarkozy : « le premier réflexe dans les couches populaires, n’est pas
d’abord celui de la solidarité, pas d’abord celui de la révolte collective.
C’est malheureusement trop souvent, la débrouille, le chacun pour soi,
l’individualisme, la jalousie. On regarde les acquis sociaux du voisin en
pensant que ce sont des privilèges, voire pire. »
Besancenot a répété ses propositions de longue date pour s’allier à des
factions de la classe dirigeante qui ne sont plus au pouvoir, notamment le
Parti Socialiste (PS) libéral. Faisant remarquer les critiques à l’égard de
Sarkozy émanant de la droite, il a dit que « des dissensions potentielles
dans les classes possédantes » pourraient conduire à la victoire. Il a fait
un parallèle entre la situation d’aujourd’hui et « la grande grève de 1936
avec le Front populaire [en France], » appelant à une « campagne unitaire »
des syndicats et des partis de « gauche ».
De tels commentaires montrent absolument clairement pourquoi le NPA fut
fondé sur la base d’un rejet du trotskysme comme orientation politique. Les
écrits de Trotsky sur le Front populaire de 1936 – une alliance politique
entre le Parti radical bourgeois, les sociaux-démocrates et le Parti
communiste stalinien – sont une mise en accusation de la politique de
Besancenot.
Trotsky critiqua impitoyablement le Front populaire comme étant un cartel
entravant la lutte indépendante de la classe ouvrière : « Le Front
populaire, nous dit-on non sans indignation, n’est pas un cartel, mais un
mouvement de masse. Les définitions pompeuses ne manquent pas, certes, mais
elles ne changent rien aux choses. Le but du cartel a toujours été de
freiner le mouvement de masse en l’orientant vers la collaboration de
classe… Les meetings communs, les cortèges à grand spectacle, les serments,
le mariage du drapeau de la Commune avec le drapeau de Versailles, le
tintamarre, la démagogie – tout cela n’a qu’un but : contenir et démoraliser
le mouvement de masse. »
Trotsky qualifia les défenseurs des luttes « unifiées » aux côtés de
sections de la bourgeoisie, au lieu de la révolution prolétarienne, de
criminels politiques. « Si la direction du Front populaire (Herriot-Blum-Cachin-Thorez-Zyromski-Pivert)
parvient à se maintenir au cours de la prochaine période décisive, » mit en
garde Trotsky, le régime existant céderait « inévitablement le terrain au
fascisme. La condition de la victoire du prolétariat est la liquidation de
la direction actuelle. Le mot d’ordre de l''unité’ devient, dans ces
conditions, non seulement une stupidité mais un crime. »
Les prédictions de Trotsky se concrétisèrent de façon tragique. Après
avoir organisé la trahison de l’opportunité révolutionnaire de la grève
générale de 1936, en échange de hausses de salaires, le Front populaire
réprima brutalement les grèves de la classe ouvrière jusqu’à ce qu'il
s'effondre en 1938. Alors que les sentiments fascistes se répandaient au
sein de la bourgeoisie, dont le crédo devint « plutôt Hitler que Blum », la
France était envahie par l’Allemagne nazie en 1939 et très vite capitulait.
L’Europe et le monde d’aujourd’hui se trouvent au bord de luttes de
classe immenses qui en fin de compte ne seront pas moins explosives que
celles des années 1930. La poussée de la classe dirigeante pour réduire les
travailleurs à l’indigence rencontrera une résistance farouche.
Aujourd’hui, la question cruciale à laquelle sont confrontés les
travailleurs et les intellectuels animés par un esprit socialiste, est de
savoir quelle perspective politique peut conduire ces luttes à la victoire.
Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), mouvement
trostkyste mondial, avertit les travailleurs qu’ils subiront les défaites
les plus tragiques pour la classe ouvrière s’ils restent prisonniers des
illusions répandues par le PS, la CGT et le NPA. Le CIQI appelle les
travailleurs à lire son quotidien Internet, le World Socialist Web Site, et
à se joindre à la lutte pour le trotskysme.