Le président
Nicolas Sarkozy s’est engagé hier à briser les grèves contre les coupes
dans les retraites et la politique d’austérité sociale menées par son
gouvernement. Il a envoyé la police anti-émeute et les unités de « Sécurité
civile » de l’armée pour démanteler des lignes de piquetage et mettre
fin à des occupations de dépôts pétroliers. Travailleurs et lycéens organisent
des grèves de masse depuis plus d’une semaine, tandis que le débat se
poursuit au Sénat concernant les modalités du projet de loi sur la
« réforme » des retraites. Un vote final du projet de loi est prévu
d’ici le début de la semaine prochaine.
Le gouvernement
va de l’avant avec ses coupes, défiant l’immense opposition
populaire et le soutien massif pour les grèves contre les coupes. Il y a eu six
journées nationales de contestation depuis le 7 septembre et les grèves se
poursuivent dans plusieurs secteurs industriels, y compris des ports, des
dépôts pétroliers et des raffineries, et le transport routier, ce qui a
entraîné des pénuries d’essence à travers le pays.
Malgré tout, le
premier ministre François Fillon a déclaré à l’Assemblée
nationale que « cette réforme sera dans quelques jours une loi de la
République », ajoutant : « La réforme actuelle n'est ni de
droite ni de gauche, c'est une réforme du bon sens. »
Sarkozy a émis
un communiqué hier matin, après une réunion du Conseil des ministres, pour
annoncer qu’il avait ordonné le déblocage par la force de la
« totalité des dépôts » afin de « rétablir au plus tôt une
situation normale ». Évoquant « des problèmes d'approvisionnement qui
ont touché une partie des stations-services », Sarkozy a condamné
« des désordres qui cherchent à créer la paralysie du pays ». Le même
jour, sa cote d’impopularité atteignait un niveau record de 69 pour cent.
Dans la nuit du
19 au 20 octobre, la police anti-émeute a brisé trois occupations de dépôts
pétroliers dans l’ouest de la France, très touché par la pénurie de
carburant, soit à Donges, Le Mans et La Rochelle.
Le ministre de
l’intérieur Brice Hortefeux a promis que les forces policières allaient
« débloquer autant que nécessaire les dépôts ». Les chiffres cités
par le ministre de l'écologie et de l'énergie, Jean-Louis Borloo, laissent
toutefois penser que les pénuries d’essence prennent de l’ampleur.
Borloo a fait
savoir hier que 4000 des 12311 stations-services de la France étaient à sec.
Aujourd’hui il a dit à l’Assemblée nationale que 3190 stations
étaient « momentanément vides » et que 1700 avaient complètement
épuisé leurs réserves de diésel et de gazoline. La Fédération nationale des
transports de voyageurs a averti que les autocaristes pourraient réduire leur
activité dès samedi.
Les menaces de
l’Etat n’ont pas intimidé les travailleurs. Les grèves se sont
étendues dans le secteur de l’énergie hier, les 12 raffineries de France
étant entièrement en grève ainsi que ses deux principaux terminaux méthaniers
de Fos-Tonkin et Montoir-de-Bretagne. Des grévistes de
l’EDF, le groupe public d'électricité, ont réduit la production
de 2000 mégawatts, coupant l’électricité destinée à l’éclairage des
rues et des édifices à bureaux dans les villes contrôlées par l’UMP
(Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy, ou à des quartiers
généraux de police régionale.
Les grèves ont
également continué dans le secteur du transport, où l’on a fait état de
dizaines de blocages routiers et de grèves dans les chemins de fer et les
aéroports. La SNCF (réseau ferroviaire public) a fait savoir que deux
tiers des trains à grande vitesse étaient en opération. Des manifestants ont
partiellement bloqué l’accès aux aéroports de Roissy et Orly près de
Paris, et à des aéroports de Toulouse, Nantes et Clermont-Ferrand.
Des employés
municipaux – affectés notamment aux crèches, aux cantines et au ramassage
des ordures – poursuivent également la grève, surtout dans le sud de la
France. A Marseille, les autorités municipales ont mobilisé des unités de
« Sécurité civile » de l’armée en combinaison blanche pour
ramasser les ordures.
Des dépêches de
l’Agence France-Presse ont cité des habitants de Marseille qui
condamnaient la mesure. « Envoyer l'armée pour nettoyer la merde du
gouvernement, c'est aberrant », a dit l’un d’eux. « C'est
une façon de casser le mouvement », a ajouté un autre.
Six cents lycées
étaient bloqués hier, selon les chiffres publiés par les syndicats lycéens, de
même que six universités. Quatre universités (Rennes-2, Lyon-2, Montpellier-3
et Toulouse-2) ont été fermées par la direction, citant des raisons de
sécurité.
Le ministre de
l’intérieur Brice Hortefeux s’est rendu hier à Lyon, où des heurts
ont opposé lundi la police à 1300 jeunes (selon la police) dans plusieurs
secteurs du centre-ville. Hortefeux a qualifié les manifestants de
« casseurs, pilleurs, et caillasseurs », tout en ajoutant :
« La France appartient aux honnêtes gens qui veulent travailler
paisiblement. »
Les autorités
municipales de Lyon ont fermé le métro et le réseau de transport pour empêcher
les jeunes des banlieues de se rendre en ville pour manifester contre la visite
de Hortefeux. Les jeunes du centre-ville ont toutefois accueilli le ministre de
l’intérieur à cris de « raciste », « fasciste », et
« tu n'es pas le bienvenu ». Trois d’entre eux ont été arrêtés.
Le maire de Lyon,
Gérard Collomb, du Parti socialiste (PS) bourgeois « de gauche », a
émis un communiqué critiquant Hortefeux pour avoir omis de le consulter au
sujet des opérations policières. Soulignant l’appui que lui et la police
municipale ont accordé au gouvernement, il a dit : « Le ministre de
l'Intérieur a décidé de venir à Lyon, pour ce que je croyais être une réunion de
crise. Je regrette que le Ministre ait souhaité en faire une opération de
communication. »
L’Etat se
tourne vers la répression à mesure que la classe dirigeante française se rend
compte qu’elle fait face à une sérieuse remise en question politique. Jérôme
Sainte-Marie de l'institut de sondage CSA a dit au New York Times:
« Nous sommes dans une situation où le gouvernement et les syndicats
perdent contrôle, et si quelque chose de sérieux se produit, cela affaiblira
les syndicats et sera une catastrophe pour le gouvernement. »
Le chroniqueur
Michel Noblecourt a écrit hier dans Le Monde que
« l'essoufflement n'est pas encore au rendez-vous » et que « la
sortie de crise s'annonce délicate ». Il a ajouté que les chefs syndicaux
avaient décrit la journée d’action du 19 octobre comme un « baroud
d'honneur » avant l’entrée en vigueur des coupes. Ces plans ont
toutefois été contrariés par la « radicalisation »,
c’est-à-dire, « l'entrée inattendue dans le mouvement des lycéens et
le blocage reconductible des raffineries ».
Le commentaire
de Noblecourt met brutalement à nu les calculs de la classe dirigeante. Ayant misé
sur la capacité des syndicats à limiter l’opposition publique à des
manifestations d’un jour et des grèves isolées, l’establishment
politique français a été pris de court par l’ampleur de la résistance
militante et déterminée des travailleurs et des jeunes et par l’impact
des grèves ouvrières sur des secteurs clés de l’économie.
Noblecourt conclut
en citant des facteurs pouvant amener selon lui « le soutien public [pour
les grèves] ... à s'effriter », à savoir : des déclarations publiques des
chefs syndicaux contre la poursuite des grèves ; le mécontentement causé
par la pénurie de carburant pendant les vacances de la Toussaint ; et
l’effroi public devant les violences entourant les manifestations
lycéennes.
La question
centrale qui se pose rapidement dans les grèves contre les mesures
d’austérité de Sarkozy est le refus des syndicats de répondre à
l’usage de la répression policière pour briser les occupations et
attaquer les lignes de piquetage. Cela renforce la position du gouvernement et
affaiblit le mouvement de masse contre les coupes. Cela rend les grévistes,
notamment dans les raffineries, susceptibles d’être isolés et ciblés par
la répression.
Les syndicats
refusent de répondre aux attaques de l’Etat en élargissant le mouvement
de grève parce que cela encouragerait le développement d’une grève
générale, ce qui soulèverait la question du pouvoir : la nécessité de
renverser Sarkozy et de le remplacer par un gouvernement ouvrier basé sur une
politique socialiste. La bureaucratie syndicale est implacablement opposée à
toute action défiant l’Etat et l’élite financière-industrielle au
nom de laquelle le gouvernement dirige le pays.
La direction
syndicale s’appuie à son tour sur ses alliés de la « gauche »
officielle (le Parti socialiste et le Parti communiste) et la prétendue
« extrême-gauche », avant tout le Nouveau parti anticapitaliste (NPA)
pabliste, pour couvrir sa traitrise et empêcher les travailleurs de se libérer
de l’emprise de l’appareil syndical.
Le rôle traitre
de la direction syndicale a été mis en évidence hier par l’occupation par
la police anti-émeute du dépôt pétrolier de Donges, où il a été rapporté que
les syndicats sont intervenus pour aider la police à reprendre contrôle de
l’usine.
Eric Cristel,
délégué syndical CFDT, a dit au Journal du Dimanche : « Vers
3h30 du matin, des salariés de la Société française de Donges Metz (SFDM) sont
venus nous rejoindre en guise de soutien. Mais, vers 4h30, les forces de
l'ordre sont arrivées pour nous déloger. A ce moment-là, il y a eu une prise de
parole des organisations syndicales pour qu'il n'y ait pas de heurts. Elles
nous ont demandé de reculer pour laisser passer les forces de l'ordre. Nous
étions environ 400, voire 500, personnes sur place. »
Des travailleurs
étaient venus de toute la région pour défendre l’usine après avoir lu des
reportages, mis en ligne sur Internet le soir précédent, annonçant que la
police allait entrer en action contre les travailleurs à Donges.
Un travailleur a
fait le commentaire suivant sur Nantes-Indymedia : « On ne comprend
pas pourquoi les RG [Renseignements généraux, service de renseignement
français] préviendraient les syndicalistes d'une opération policière… Cet
épisode nous oblige à considérer la très grande misère du syndicalisme
français, qui n'a pas été capable de produire des alternatives viables et
lisibles face au projet historiquement régressif et néo-pétainiste de Sarkozy,
ni même d'organiser de façon opérationnelle la magnifique mobilisation des
salariés pour les retraites, rejoints par les jeunes. »
Un autre a
expliqué qu’il y avait « un sentiment d'impréparation totale [et] la
volonté de la part des directions syndicales (même de base) de ne pas trop
s'appuyer sur tous ceux qui luttent ». Il a ajouté que « c'est
dans ces moments que l'on sent toute la vacuité de
l'extrême-gauche ».
Les syndicats et
la « gauche » prônent de plus en plus l’idée que les
travailleurs devraient attendre qu’un futur gouvernement PS change la
loi. Dans une déclaration faite hier, le président de la CGT (Confédération
Générale du Travail), Bernard Thibault, a laissé entendre qu’il ne voyait
pas l’entrée en vigueur des coupes comme une grande question
politique : « un texte voté, ce n'est pas la fin du monde »,
a-t-il dit. Et il a ajouté : « Ce qu'une loi fait, une autre loi peut
le refaire. »
Cette
déclaration est le présage d’une grossière trahison des grèves. Comme en
atteste la feuille de route du Parti socialiste français et d’autres
partis sociaux-démocrates européens, le PS ne ferait aucune modification
substantielle aux coupes de Sarkozy même s’il était porté de nouveau au
pouvoir en 2012.
Interrogé sur
une possible alliance avec le PS, Olivier Besancenot du Nouveau parti
anticapitaliste (NPA) prétendument d’ « extrême-gauche », a dit
au Monde : « Il y a deux grandes orientations politiques à
gauche : une qui s'inscrit dans le cadre de l'économie de marché, et
l'autre qui veut en sortir. Ces deux orientations ne sont pas compatibles dans
un même gouvernement, mais nos forces peuvent s'additionner pour résister à la
droite, comme c'est le cas sur les retraites. »
L’affirmation
de Besancenot est un ramassis d’absurdités. Il est impossible
d’être « à gauche » tout en acceptant l’économie du
libre-marché : Besancenot soutient le contraire seulement pour pouvoir
prôner une alliance de son parti avec le PS pro libre-marché. Quant à
l’idée que le NPA va « additionner » ses forces à celles du PS
pour combattre les coupes dans les retraites, cela signifie un engagement à ne
pas critiquer des officiels du PS comme Collomb qui mobilisent la police
anti-émeute contre des manifestants, et à s’abstenir d’organiser
indépendamment les travailleurs contre le gouvernement Sarkozy.
Le WSWS appelle les
travailleurs à organiser des comités d’action indépendants des syndicats
et des partis existants, afin de lutter pour une grève générale visant à
renverser le gouvernement Sarkozy et à le remplacer par un gouvernement ouvrier.