Le
sommet du G20 des économies les plus importantes s'est tenu à Séoul, Corée du
Sud, dans une situation de conflits monétaires et commerciaux internationaux en
pleine recrudescence, exacerbée par la volonté de Washington d'emporter un
avantage commercial dans la compétition avec ses rivaux en dévaluant le dollar.
Le
caractère fondamental et systémique de la crise économique mondiale qui a
éclaté, il y a deux ans est reflété par le sort du G20 lui-même. En novembre
2008, quelques semaines seulement après que l'effondrement de la banque
d'investissement Lehman Brothers à Wall Street avait entraîné la fonte des
marchés financiers mondiaux, le premier sommet des chefs de gouvernement du G20
d'après la crise s'était tenu à Washington. Il avait été salué comme un
triomphe de la coopération internationale.
Les
participants avaient proclamé leur accord unanime sur le fait qu'aucune nation ne
chercherait à se sortir de sa crise au détriment des autres. Les dévaluations
monétaires pour améliorer la compétitivité, le protectionnisme et la guerre
commerciale qui dominaient les années 1930 et avaient entraîné la
Deuxième guerre mondiale ne seraient pas réitérées durant ce 21e
siècle plus éclairé, nous avait-on dit.
Le
Président français Nicolas Sarkozy avait déclaré : « Le G20 anticipe la
gouvernance planétaire du 21e siècle. »
Deux
ans et quatre sommets du G20 plus tard, la présente réunion du G20 a été
précédée par des récriminations mutuelles et une série de manœuvres et
contre-manœuvres hostiles de la part des États-Unis et de ses principaux
concurrents commerciaux. Il apparaît de plus en plus que tout le système de
relations économiques mondiales d'après-guerre est en train de s'effondrer.
Une
croissance anémique et au ralenti aux États-Unis, en Europe et au Japon ainsi
que l'orientation des gouvernements vers des mesures de rigueur drastiques,
ceux qui s'y adonnent le plus sauvagement étant les Européens dans le sillage
de la crise des dettes publiques européennes, ainsi que les signes croissants
d'un effondrementde l'euro, alimentent une résurgence du
protectionnisme et du nationalisme économique.
Au
coeur de la crise on trouve le vaste déclin de la position économique mondiale des États-Unis et qui a dévasté les fondements de
la restabilisation et de l'expansion du capitalisme qui avaient suivi la
dépression et la seconde guerre mondiale. Ceci se reflète de manière frappante
dans l'effondrement de la confiance dans le dollar et dans le système monétaire
s'appuyant sur la monnaie américaine.
Lundi,
le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick a étonné les gouvernements
et les banquiers centraux en proposant que le G20 envisage une refonte radicale
du système monétaire mondial. Il a suggéré de mettre un terme au rôle du dollar
comme réserve suprême et monnaie d'échange internationale, et qu'il soit
supplanté par un nouveau système impliquant le dollar, l'euro, le yen et le renminbi
chinois. Il a en outre proposé que la nouvelle structure utilise l'or comme
indicateur de la valeur des monnaies.
C'était
une reconnaissance tacite du fait que le système qui a prévalu ces 65 dernières
années n'est plus viable et qu'il n'y a aucune monnaie nationale qui puisse
remplacer le dollar en tant que monnaie de réserve mondiale.
La
politique de la Réserve fédérale américaine de taux d'intérêt proches de zéro a
inondé les marchés financiers de dollars bon marché,
entraînant un déclin vertigineux de la valeur du dollar sur le marché monétaire
mondial. Le dollar a déjà chuté de 13 pour cent face au yen japonais cette
année. Rien que depuis juin, il a chuté de 18 pour cent face à l'euro.
Mesuré face à un panier de monnaies, il est en baisse de 8 pour cent depuis
août dernier.
L'expression
la plus frappante de l'érosion de la confiance placée dans le dollar et le
système monétaire existant est l'augmentation explosive du prix de l'or. Cette
semaine, les options futures sur l'or ont atteint un record absolu de 1 420
dollars l'once. Le métal précieux est monté de 28 pour cent cette année.
La
chute vertigineuse du dollar alimente une augmentation générale du prix des
marchandises, y compris le cuivre, le pétrole, le maïs et d'autres productions.
Mercredi,
Zoellick a prévenu que le G20 devait prendre au sérieux l'envolée du prix de
l'or, comme un avertissement d'une crise de plus en plus profonde des relations
économiques mondiales. « Je pense qu'il y a des tensions dans le système, »
a-t-il dit, « si elles ne sont pas gérées comme il le faut, ces tensions
risquent d'accroître le protectionnisme. »
Le
gouvernement Obama espérait forger une alliance des nations européennes et
asiatiques au sommet, rassemblées derrière sa demande que la Chine laisse sa
monnaie, le renminbi (ou yuan), prendre de la valeur plus rapidement.
Les
États-Unis ont essayé de présenter la Chine comme le principal obstacle à un
rééquilibrage de l'économie mondiale entre nations excédentaires et
déficitaires l'accusant de manipuler sa monnaie pour conserver un taux de
change bas et des exportations à bas prix. Mais cette tentative a été entravée
par leur propre politique monétaire ultra-relâchée, qui est considérée dans le monde entier comme un moyen pour les États-Unis de manipuler
leur monnaie – réduisant le prix du dollar pour rendre plus compétitives
leurs exportations et plus chères les importations étrangères.
Les
principaux rivaux commerciaux de l'Amérique – la Chine, l'Allemagne et le
Japon – ainsi qu'une kyrielle d'économies "émergeantes" –
l'Inde, la Corée du Sud, le Brésil, l'Indonésie, l'Afrique du Sud, la
Thaïlande, Taiwan, Singapour – ont été particulièrement perturbés par la
décision de la Fed une semaine avant le sommet de lancer un second tour d'«
assouplissement quantitatif » c-à-d, d'imprimer 600 milliards de dollars pour
faire baisser les taux d'intérêts à long terme aux États-Unis, alimenter le
marché et dévaluer encore plus le dollar.
Les
autres grandes nations exportatrices – la Chine, L'Allemagne et le Japon
– le comprennent à juste titre comme une mesure protectionniste pour
augmenter les exportations américaines à leurs dépens. Pour les économies
émergentes, la politique de la Fed annonce un flux de dollars utilisés par les
spéculateurs faisant monter leurs taux de change et créant des bulles de
crédits et de l'inflation.
La
préparation du sommet a donné lieu à un chœur de récriminations et de
dénonciations des États-Unis par les membres du G20. La réaction la plus
belliqueuse a été celle du ministre des finances allemand Wolfgang Schaüble,
qui a déclaré au magazine Der Spiegel samedi dernier que la décision de
la Fed « sapait la crédibilité de la politique financière américaine. »
Il
a déclaré que le « modèle de croissance » des États-Unis – qui s'appuyait
selon lui sur « de l'argent emprunté, qui développe exagérément son secteur
financier et néglige ses entreprises industrielles de petite et moyenne taille
» – traverse une « crise profonde. »
Accusant
les États-Unis d'hypocrisie, il a déclaré, « Il n'est pas cohérent pour les
Américains d'accuser les Chinois de manipuler les taux de change puis de faire
baisser artificiellement le taux de change du dollar en imprimant de la
monnaie. »
La
chancelière allemande Angela Merkel a fait une déclaration dans le même esprit,
bien que sur un ton plus modéré, dans un entretien accordé au Financial
Times. Elle a rejeté la proposition de Washington que le G20 fixe des
objectifs quantifiés pour les excédents et les déficits des comptes actuels,
disant, « Je ne pense pas grand-chose des objectifs quantifiés pour les
balances des paiements. »
Elle
a poursuivi en critiquant les pays dont « la croissance a été construite sur la
dette et des bulles, » – ce qui implique les États-Unis – et a
ajouté, « Le plus grand danger qui nous menace est le protectionnisme. »
Jean-Claude
Juncker, Premier ministre du Luxembourg et président du groupe des ministres
des finances de la zone euro, a déclaré à un comité du Parlement européen : «
je ne pense pas [que la reprise de l'assouplissement quantitatif par la Fed],
soit une bonne décision. Il y a beaucoup de critiques de la politique chinoise,
mais d'une manière différente ils poursuivent exactement même la politique. »
Le
conseiller économique en chef du président russe Dmitri Vedvedev, Arkady
Dvorkovitch, a déclaré que la Russie insistera au sommet du G20 pour que la Fed
consulte les autres pays avant de prendre toute décision majeure sur sa
politique.
Le
ministre du commerce brésilien Weiber Barral a dénoncé l'action de la Fed comme
étant une « politique qui vise à ruiner les autres. »
Un
certain nombre de responsables chinois a dénoncé la décision américaine et
appelé le G20 à surveiller la politique monétaire américaine. L'Agence de
presse publique chinoise Xinhua a publié un commentaire mardi disant que le G20
devait « établir un mécanisme pour contrôler effectivement l'émetteur de la
monnaie de réserve internationale, en particulier lorsqu'il n'est pas capable
de mener une politique monétaire responsable. »
Le
vice-ministre des finances chinois Zhu Guangyao à un briefing lundi a dit, « en
tant émetteur d'une monnaie de réserve majeure, le fait que les Etats-Unis
lancent une seconde série d'assouplissement quantitatif en ce moment revient, à
notre avis, à ne pas reconnaître leur responsabilité en matière de
stabilisation des marchés mondiaux et à ne pas réfléchir à l'effet des
liquidités excessives sur les marchés émergents. »
Un
journal chinois de première importance a prévenu que les actions des États-Unis
étaient une forme de manipulation monétaire qui risquait d'entraîner une
nouvelle série de guerres monétaires et même un effondrement économique
mondial.
Dans
un acte de vengeance pur et simple contre l'action de la Fed, la principale
agence de notation chinoise agrée par l'Etat a revu à la baisse la note des
États-Unis mardi. L'agence a cité la décision de la réserve fédérale et a mis
en garde contre
la
« détérioration de la capacité de remboursement de la dette » de Washington
ainsi que contre « les défauts sérieux dans le développement économique des
États-Unis et dans leur modèle de gestion, » dont il prédit qu'il entraînerait
une « baisse fondamentale de la solvabilité nationale. »
Le
Premier ministre japonais Naoto Kan a déclaré au Wall Street Journal
dans un entretien samedi : « En premier lieu, l'une des principales raison pour
la montée du yen tient à la faiblesse du dollar, un reflet de la politique
économique américaine. Nous avons besoin qu'il y ait une compréhension claire
de ce contexte. »
Il
a clairement fait entendre que le Japon se réserve le droit d'intervenir à
nouveau sur les marchés des devises, comme il l'avait fait massivement en
septembre. « Si nous sommes confrontés à une nouvelle montéedu
yen, une telle démarche peut s'avérer nécessaire. »
Pour
sa part, le président Obama en visite de dix jours dans quatre pays asiatiques,
en passant par le sommet du G20, a pris la défense de la Fed et répété la
demande des Etats-Unis que les pays tirés par l'exportation ayant un excédent
de la balance des paiements, tels la Chine ou l'Allemagne,acceptent
une réduction de leurs exportations et une augmentation de la part américaine
des marchés mondiaux.C'est ce que Washington veut dire quand il parle
de « rééquilibrer » l'économie mondiale.
Lors
d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre Manmohan Singh,
Obama a dit, « Je dirais que le mandat de la Fed, mon mandat, est de développer
notre économie. Et ce n'est pas seulement bon pour les États-Unis, c'est bon
pour le monde dans son ensemble. »
Il
a enchaîné, visant implicitement l'Allemagne et la Chine : « Nous ne pouvons
pas continuer à maintenir une situation dans laquelle certains pays ont
toujours des excédents [commerciaux] massifs, d'autres des déficits massifs, et
où il n'y a jamais le type d'ajustement, en fonction de la monnaie, qui
apporterait un schéma de développement plus équilibré. »
S'exprimant
lors de sa visite juste après en Indonésie, Obama a attaqué plus directement la
Chine, déclarant, « On voit certains pays fonctionner avec des excédents très
importants et intervenir de manière significative sur le marché monétaire pour
conserver leur avantage pour leur propre monnaie. »
Il
n'y a pratiquement aucune chance que les conflits en train de s'intensifier se
résolvent au G20, ni qu'un accord sérieux soit conclu pour les modérer. Le
président de Corée du Sud Lee Myung-bak, l'hôte du sommet, l'a reconnu, disant
dans un entretien mercredi, « Nous ne sommes pas parvenus à un accord détaillé.
Ce sera la tâche d'un groupe de travail. Cela prendra du temps. »
Le
mieux que les participants peuvent espérer est un vague communiqué qui tentera
de cacher les différences et d'empêcher une rupture officielle.