WSWS :
Nouvelles et
analyses :
Économie mondialeLa Réserve fédérale américaine attise
une guerre monétaire mondiale
Par Barry Grey
10 novembre 2010
Imprimez cet
article |
Ecrivez à
l'auteur
La Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé mercredi un deuxième cycle
d’assouplissement quantitatif (« quantitative easing ») – l’impression de
centaines de milliards de dollars américains – une démarche agressive et
unilatérale, largement perçue par les rivaux économiques des Etats-Unis, et
à juste titre, comme un acte d'hostilité.
La banque centrale américaine poursuit une politique délibérée de
dévaluation du dollar afin de faire baisser le prix des exportations
américaines et de rendre plus chères les importations étrangères. Dans une
situation de stagnation des marchés et d’une croissance économique
insignifiante aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, une telle politique
attise inévitablement des mesures défensives de la part des concurrents des
Etats-Unis. Ils cherchent à défendre leurs industries d’exportation en
intervenant pour bloquer l’augmentation de leur taux de change et contenir
les investissements spéculatifs qui font monter leur monnaie en provoquant
une surchauffe de leur économie.
Le fait que la Fed ait annoncé son projet d’acquérir pour près de mille
milliards de dollars de bons du Trésor américains, à peine une semaine avant
le sommet des principaux Etats industrialisés du G20 à Séoul, en Corée du
Sud, souligne le caractère provocateur de cette démarche.
Washington cherche à former pour le sommet un bloc constitué de pays
européens et asiatiques appuyant sa revendication pour que la Chine accepte
une dépréciation plus rapide de sa monnaie. Cette initiative de la Fed
contient un élément de chantage – une menace implicite à l’égard de
l’Allemagne, du Japon et des autres pays exportateurs de ce qui les attend
s’ils ne rejoignent pas la campagne anti-chinoise des Etats-Unis.
La politique américaine du dollar bon marché a déjà entraîné des mesures
défensives. En septembre, le Japon était intervenu sur les marchés
monétaires pour la première fois en six ans dans le but de stopper la hausse
du yen. Ceci avait été suivi par l’abaissement de son principal taux
directeur et de l’annonce de son propre programme d’assouplissement
quantitatif.
Le Brésil, dont le ministre des Finances a accusé les Etats-Unis de
déclencher une guerre monétaire, a annoncé le doublement de la taxe sur les
achats étrangers d’obligations brésiliennes afin d’endiguer le flux
spéculatif de dollars qui rend sa monnaie plus chère et engendre le danger
de bulles sur certains actifs ainsi que l’inflation.
De la même façon, la Thaïlande a annoncé une taxe de 15 pour cent sur les
revenus en intérêt et les revenus de placements perçus par les investisseurs
étrangers en bons du Trésor thaï. Les autres pays, allant par exemple de la
Corée du Sud à Taïwan en passant par l’Inde, sont intervenus sur les marchés
monétaires pour tenter de stopper la hausse de leurs taux d’échange.
A la base, il y a le fait que les Etats-Unis, principal pays créancier du
monde, cherchent à prendre avantage en recourant à leur énorme déficit
commercial et à leur dette – qui sont les expressions du déclin du
capitalisme américain – pour s’en servir comme armes contre leurs rivaux
économiques. Les Etats-Unis exploitent la position privilégiée du dollar
américain comme principale monnaie commerciale et de réserve pour rejeter le
fardeau de la crise sur le restant du monde.
C’est une politique irresponsable et incendiaire ayant des implications
catastrophiques. Le nationalisme économique engendre le chauvinisme, la
xénophobie et le militarisme.
Tout cela mène à une guerre monétaire et commerciale du type de celle qui
avait éclaté après le crash de 1929 et qui avait intensifié et allongé
considérablement la Grande dépression. Le marché mondial était divisé en
blocs monétaires et économiques rivaux et la guerre économique avait donné
inévitablement naissance à un conflit militaire.
Des tensions similaires sont en train de se développer aujourd’hui. Le
conseiller de la Banque centrale de Chine, Xia Bin, a réagi à l’annonce de
la Fed en l’accusant « d’abus d’émission de monnaie » pouvant déclencher une
crise mondiale. Il a suggéré que la Chine rétorquerait à Washington en
forgeant des alliances monétaires régionales afin d’accélérer l’impact
international du yuan.
Il n’est pas le seul. Le premier ministre japonais, Naoto Kan, a accusé
les Etats-Unis de poursuivre une « politique du dollar faible. »
La logique des conflits monétaires et économiques qui deviennent de plus
en plus acharnés a été clairement résumée mercredi par la présidente du
Brésil nouvellement élue, Dilma Rousseff, qui a dit lors d’une conférence de
presse : « La dernière fois qu’il y a eu une série de dévaluations
concurrentielles… cela a abouti à la Deuxième Guerre mondiale. »
Des événements récents ont clairement montré qu’une nouvelle
conflagration n’est pas une perspective lointaine ou improbable. Les
Etats-Unis ont, durant deux décennies, depuis l’effondrement de l’Union
soviétique, poursuivi une politique consistant à recourir à leur suprématie
militaire pour compenser leur déclin économique. Derrière cette attitude
agressive relative aux questions commerciales et monétaires se cache la
menace omniprésente de la violence militaire.
Parmi les nombreux points d’ignition potentiels de guerre mondiale – les
Balkans, l’Asie centrale et l’Asie du Sud, le Moyen-Orient – l’Asie
orientale est certainement le plus explosif.
Hillary Clinton consacre sa tournée asiatique actuelle de 13 nations à
affermir la dominance américaine en Asie en cherchant à consolider une
coalition de pays contre la Chine. Clinton a clairement montré que les
Etats-Unis s’immisçaient dans des conflits de longue date entre la Chine et
d'autres pays d’Asie de l’Est sur la question des îles de la Mer de Chine
méridionale et de la Mer de Chine orientale en prenant partie contre Beijing
et en se rangeant du côté du Japon, du Vietnam, de la Malaisie et des
Philippines ainsi que d’autres pays
Durant le même laps de temps, le président russe Dmitri Medvedef s’est
rendu sur l’une des îles Kouril et que, la Russie et le Japon, revendiquent
tous deux – il s’agissait de la toute première visite jamais effectuée par
un chef d’Etat russe.
Comme l’écrivait jeudi l’Eurasia Review: « En l’espace de six jours, le
Département d’Etat américain a affirmé sans équivoque soutenir les
revendications territoriales japonaises contre à la fois la Russie et la
Chine, invoquant même une disposition d’un traité de défense qui pourrait
conduire tout droit à une intervention militaire et à la guerre avec la
nation la plus peuplée du monde. »
Le journal a remarqué qu’au début de son voyage, Clinton avait déclaré le
soutien des Etats-Unis à la revendication du Japon sur ce qu’il appelle les
îles Senkaku aux dépens de la revendication de la Chine sur ce qu’elle
appelle les îles Diaoyu. C’est dans les parages de ces îles qu’un chalutier
chinois était entré en collision avec deux garde-côtes japonais en
septembre, déclenchant un virulent conflit diplomatique entre ces deux
puissances.
Clinton s’est explicitement référé à l’article 5 du traité de coopération
mutuelle et de sécurité entre les Etats-Unis et le Japon et ratifié en 1960
qui stipule que « chaque partie reconnaît qu’une agression armée contre
l’une ou l’autre partie dans les territoires sous administration japonaise
serait considérée comme une menace à sa propre paix et sécurité et qu’elle
s’engagerait à faire face au danger commun. »
Elle a jouté que la position des Etats-Unis était que « le cas de
Senkakus tombait dans le champ d’application de l’article 5» du
traité. « Ceci fait partie, » a-t-elle poursuivi, « du plus grand engagement
entrepris par les Etats-Unis pour la sécurité du Japon… nous traitons
sérieusement nos engagements pour protéger les Japonais. »
Ceci est la menace pure et simple d’une action militaire américaine
contre la Chine.
Par deux fois au siècle dernier, les insolubles contradictions mondiales
du capitalisme international – entre la production socialisée et la
propriété privée des moyens de production et entre l’économie mondiale et le
système d’Etat-nation – poussent une fois de plus l’humanité vers l’abîme
d’une guerre mondiale, cette fois avec la perspective d’une annihilation
nucléaire.
Aujourd’hui, pas moins que dans les années 1930, quand Léon Trotsky
écrivait, les alternatives auxquelles l’humanité est confrontée sont le
socialisme ou la barbarie.
(Article original paru le 5 novembre 2010)