La
semaine dernière a été marquée par deux
phénomènes d'une signification particulière. Une vague de grèves
a touché l'Europe. Les travailleurs d'un certain nombre de pays
ont commencé à manifester leur opposition
aux mesures d'austérité exigées par l'Union européenne et les
banques.
Et
dans tous les pays, les syndicats ont réagi
en isolant et en réprimant les actions des travailleurs et en
serrant les rangs avec leurs gouvernements respectifs et l'élite
financière européenne. La principale préoccupation des syndicats
et d'empêcher la population travailleuse d'Europe de s'unir
dans une lutte commune contre l'ennemi commun :
la bourgeoisie européenne et ses agents dans les gouvernements
nationaux et l'Union européenne.
Il
y deux semaines, 4.500 pilotes employés
par Lufthansa, la plus importante compagnie aérienne allemande, se
sont mis en grève. Le même jour, les aiguilleurs du ciel
commençaient une grève en France, tandis que les travailleurs des
raffineries Total y poursuivaient une grève au plan national. En
Grande-Bretagne, le personnel navigant de la compagnie aérienne
British Airways votait à plus de quatre-vingts
pour cent en faveur de la grève.
Dans
la même semaine, de grandes manifestations
eurent lieu à Madrid, Barcelone et Valence pour protester contre les
mesures d'austérité introduites par le gouvernement
social-démocrate du premier ministre espagnol, Jose Luis Rodriguez
Zapatero.
Puis
quelque deux millions de travailleurs participèrent à une grève
générale en Grèce paralysant le pays pour vingt-quatre heures.
Tous les vols vers et en provenance de ce pays furent annulés
lorsque les aiguilleurs du ciel grecs se joignirent à la grève.
En
République tchèque, les syndicats ont
annoncé un arrêt complet des transports publics à partir du
premier mars et les syndicats portugais se sont préparés à une
grève de 24 heures dans le secteur public le 4 mars afin de
protester contre un gel des salaires.
Le
quotidien britannique Independent
a averti de ce que les grèves et les
mouvements de protestation qui se produisaient actuellement
annonçaient la plus grande rébellion « dont ont ait fait
l'expérience sur le continent depuis les soulèvements
révolutionnaires de 1968 ».
Les
syndicats ayant appelé à ces actions sous l'immense pression
venue d'en bas espéraient s'en servir comme d'une soupape qui
leur permettrait de lâcher de la vapeur tandis qu'eux-mêmes
s'efforçaient de contenir la résistance de la classe ouvrière et
de faire gagner du temps à leurs gouvernements respectifs.
Lorsque
Cockpit, le syndicat des pilotes allemands, réalisa qu'il se
trouvait à la tête de ce qui pouvait devenir un mouvement massif à
l'échelle européenne, il annula, un jour seulement après qu'elle
ait commencé, la grève de quatre jours qu'il avait préparée.
En
même temps, les deux plus grands syndicats
allemands, le syndicat des industries mécaniques et métallurgiques
IG Metall et le syndicat de la fonction publique Verdi approuvèrent
des contrats qui vont imposer en termes réels des réductions de
salaire pour leurs cinq millions
d'adhérents.
En
France, la CGT (Confédération générale
du travail), dominée par les staliniens, annula la grève nationale
menée contre Total, capitulant devant la société pétrolifère et
ses plans de fermeture d'une raffinerie à Dunkerque.
En
Angleterre, le syndicat Unite a assuré British Airways qu'il ne
ferait pas grève pendant les fêtes de Pâques et limiterait toute
grève à des arrêts de travail isolés.
Les
deux principales organisations syndicales en Grèce, GSSE dans le
secteur privé et ADEDY dans le secteur
public soutiennent le gouvernement PASOK (social-démocrate) du
premier ministre George Papandreou et ont
fait des déclarations selon lesquelles leurs adhérents étaient
prêts à faire des sacrifices afin d'atténuer la crise de
l'endettement touchant l'Etat grec.
Trois
jours après la grève générale en Grèce, les syndicats tchèques
annulèrent la grève prévue des travailleurs des transports
publics.
Il
faut tirer des conclusions bien précises du rôle perfide joué par
les syndicats dès le début de ce nouveau mouvement des luttes
ouvrières en Europe et au niveau international.
Dans
des conditions de globalisation de la
production capitaliste, les syndicats qui n'ont qu'une
perspective, celle du nationalisme, sont incapables de défendre ne
serait-ce que les intérêts les plus élémentaires de la classe
ouvrière. Ils ont été transformés sans retour en agences directes
de l'élite économique et financière et de l'Etat.
Pendant
la période de boom économique du siècle
dernier, les syndicats furent en mesure, malgré leur défense du
capitalisme et leurs programmes nationaux, d'obtenir des
concessions salariales limitées et des réformes sociales, mais ces
temps sont depuis longtemps révolus. Les acquis que les travailleurs
furent capables d'obtenir à travers les syndicats se sont avérés
être passagers. En ces vieilles organisations, les travailleurs ont
à présent devant eux un ennemi non moins implacable que le patronat
et l'Etat.
Bien
avant que ne commence la présente crise économique, les syndicats
avaient soutenu l'Union européenne et
l'introduction de l'euro. Ils avaient
salué la réintroduction du capitalisme en Europe de l'Est il y a
20 ans et y avaient envoyé leurs fonctionnaires afin d'aider à
maintenir des salaires bas, assistant de cette manière l'élite
européenne dans ses efforts pour faire baisser les salaires à
l'Ouest.
Les
banques internationales qui ont été à l'origine de la crise sont
à présent résolues à faire payer à la population laborieuse la
facture de leurs pertes spéculatives. La première préoccupation
des syndicats devant l'opposition grandissante de la classe
ouvrière, c'est de bloquer une unification internationale des
travailleurs et d'empêcher qu'ils n'aillent dans une direction
socialiste.
Le
rôle joué à présent par les syndicats
est le point culminant d'une longue évolution. Ils se situaient il
y a un siècle déjà l'aile droite du mouvement ouvrier et se
rangèrent ouvertement aux côtés de la réaction pendant les
périodes révolutionnaires de la lutte des classes.
On
interdit pendant des années à l'éminente
dirigeante de l'aile marxiste du SPD (le parti social-démocrate
allemand) Rosa Luxembourg, de prendre la parole dans les congrès des
syndicats. Durant le débat sur la grève de masse au début du
vingtième siècle, la haine de la direction syndicale pour l'aile
révolutionnaire du SPD prit des formes hystériques.
On
prit un cours qui eut des conséquences désastreuses : approbation
des crédits de guerre en 1914, pacte de renoncement à la grève
pendant la première Guerre mondiale et finalement, en avril 1933,
l'offre de la part de l'ADGB (la Fédération générale des
syndicats allemands) de collaborer avec le gouvernement d'Hitler.
L'évolution
droitière des syndicats provient de traits
fonciers inhérents à cette forme d'organisation. Dans sa
conférence « Marxisme et syndicats », le président du
Comité de rédaction international du World
Socialist Web Site, David North,
disait : « Basés sur les rapports de production
capitalistes, les syndicats sont, par leur nature propre, forcés
d'adopter une attitude essentiellement hostile à la lutte de classe.
Déployant toute leur énergie pour en arriver à des ententes avec
les employeurs sur le prix de la force de travail et sur les
conditions générales dans lesquelles la plus-value sera extraite
des travailleurs, les syndicats sont obligés de garantir que leurs
membres vont fournir en contrepartie leur force de travail selon les
termes du contrat conclu. Comme Gramsci l'a dit, "Les
syndicats représentent la légalité, et doivent viser à ce que
leurs membres la respectent".»
« Défendre
la légalité implique qu'il faut supprimer la lutte de classe. Et
cela signifie, par le fait même, que les syndicats s'enlèvent en
fin de compte la possibilité d'atteindre même les plus modestes
objectifs qu'ils se donnent officiellement. C'est là la
contradiction dans laquelle le syndicalisme s'empêtre. »
Il
faut que les travailleurs rompent avec ces
organisations réactionnaires et d'une autre époque et
construisent des organisations de lutte nouvelles, véritablement
populaires et démocratiques. Il doit en même temps y avoir une
rupture d'avec les conceptions nationalistes et fondées sur la
collaboration de classe sur la base desquelles fonctionnent des
syndicats.
Les
mesures draconiennes prises en Grèce sont le prélude d'attaques
à caractère historique contre la classe ouvrière dans toute
l'Europe, aux Etats-Unis et sur le plan international. Une nouvelle
période de lutte révolutionnaire se présente. Elle doit être
préparée consciemment par la construction d'un mouvement
socialiste international de la classe ouvrière afin de lutter pour
le pouvoir ouvrier et pour une réorganisation de la vie économique
selon des critères démocratiques et égalitaires.