Le14 mars, le premier tour des élections régionales françaises a résulté
en une abstention massive et un désaveu retentissant de la politique
d’austérité poursuivie par le président Nicolas Sarkozy.
Les circonstances du vote soulignent la faillite de l’establishment
politique français. Compte tenu du vide politique qui existe dans la gauche
française, l’électorat a en grande partie exprimé son opinion en votant pour
l’opposition, le Parti Socialiste (PS). Paradoxalement, c’est un parti
pro-patronal dont la politique est largement considérée n’être pas
fondamentalement différente de celle de Sarkozy.
Le taux d’abstention a atteint un taux record de 53,64 pour cent des 44
millions d’électeurs inscrits en France. Le score obtenu par le parti
conservateur l’UMP (Union pour un mouvement populaire) a été le plus faible
pour la droite gaulliste depuis la création de la Cinquième République par
le président Charles de Gaulle en 1958. Le PS a réalisé 29,4 pour cent des
voix – cependant, en raison de l’abstention, moins de 15 pour cent de
l’électorat ont voté pour lui, seulement 10 pour cent pour ses alliés, et
seulement 13 pour cent pour l’UMP.
Le Parti Europe Ecologie, allié traditionnel du PS, a obtenu 12,8 pour
cent des voix. Hier, Claude Bartolone du PS a dit que le PS avait annoncé
qu’un accord national avait été passé pour une alliance avec Europe Ecologie
au second tour des élections régionales. Toutefois, Jean-Vincent Placé
d’Europe Ecologie a démenti qu’un accord avait été conclu en disant que des
accords devaient encore être conclus dans plusieurs régions, dont
l’Ile-de-France.
Le vote pour les autres partis de « gauche » orientés vers le PS était
faible. Le Front de Gauche, une alliance entre le Parti Communiste Français
(PCF) et le Parti de Gauche (PG) de l’ancien ministre socialiste Jean-Luc
Mélenchon, a enregistré 5,84 pour cent de voix. Lors des élections
européennes de l’année dernière, il avait obtenu 6,47 pour cent des voix. Le
Nouveau Parti Anti-capitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot avait été crédité
de 6,1 pour cent de voix lors des élections européennes de 2009, mais n'a
obtenu que 2,4 pour cent dimanche dernier.
Le Front National (FN) néofasciste a enregistré 11,42 pour cent au niveau
national – inversant un déclin de huit ans dû à des défections, des
dissensions au sein du parti et aux appels racistes de Sarkozy à l’électorat
du FN. Il se maintient au second tour dans dix régions en obtenant plus de
20 pour cent dans le Sud Est en région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) où
Jean-Marie Le Pen était candidat, 18,3 pour cent dans le Nord-Pas-de-Calais
où sa fille Marine était candidate et 15 pour cent en Picardie.
Le second et dernier tour des élections se déroulera dimanche prochain,
21 mars. Il est possible que le PS et ses partenaires de l’alliance
électorale l’emportent dans les 22 régions, ne laissant aucun conseil
régional entre les mains de l’UMP.
La victoire du PS est un écho déformé dans une situation où la
masse de la population ne voit pas d’autre alternative politique pour
s’opposer à la politique d’austérité du président Sarkozy de l’UMP. Le mois
dernier, Sarkozy avait annoncé des négociations avec la CGT en vue de
réduire davantage encore la retraite – et ce dans le contexte de coupes
sociales pratiquées partout en Europe et après la crise de la dette grecque.
Un sondage réalisé le 11 mars montre que 72 pour cent de la population
veut que Sarkozy revoie la « politique nationale » au vu des résultats des
élections nationales. De plus, 73 pour cent souhaite qu’il change son plan
de réduction de la retraite au vu des résultats et 70 pour cent des
personnes interrogées sont de plus en plus pessimistes quant à l’économie.
Le soir des élections, le porte-parole du PS, Benoît Hamon, a cherché à
faire jouer ce sentiment en lançant un appel à « amplifier » le vote PS le
21 mars en invoquant la raison absurde que les conseils régionaux contrôlés
par le PS constitueraient des « boucliers sociaux » face à « des cures
d’austérité sans précédent » qui seront imposées après les élections.
De manière étonnante, Hamon a alors, dans une attitude d’équité
parfaitement cynique, avancé des arguments pour que les coupes sociales
grecques s’appliquent aussi à la France: « La France a exigé de la Grèce
cette politique. Comment lorsque la Commission européenne se retournera vers
la France, pourra-t-elle refuser d’appliquer à elle-même ce qu’elle a
demandé pour la Grèce ? »
Un gouffre sépare la colère des travailleurs contre les coupes sociales
de Sarkozy du PS qui cherche à exploiter cette colère pour revenir au
pouvoir et appliquer des coupes identiques à celles de Sarkozy.
Les commentaires de Hamon ont oublié de signaler le fait important que
les coupes sociales les plus vastes sont pratiquées en Europe par des
sociaux-démocrates comme lui-même : le gouvernement PASOK du premier
ministre Giorgios Papandreou en Grèce, le gouvernement PSOE du premier
ministre José Luis Zapatero en Espagne, et le gouvernement PS de José
Sócrates au Portugal. Tous ces gouvernements proposent des réductions
massives des retraites, des salaires dans la fonction publique et des
dépenses publiques. En France, la première secrétaire du PS, Martine Aubry,
avait proposé durant la campagne des régionales l’allongement de deux ans de
l’âge de départ à la retraite.
Plusieurs organes de presse bourgeois ont prévenu le PS de ne pas se
méprendre en prenant les résultats électoraux pour un vaste soutien de sa
politique. Le quotidien économique Les Echos a écrit que « ce 14 mars
traduit une défiance profonde à l’égard du pouvoir politique, quelle que
soit sa couleur. »
Médiapart a mis en garde en disant: « Avec un total d’environ 50,5
pour cent des suffrages, l’ensemble de la gauche pourrait se remettre à
rêver. Elle aurait tort. Car l’abstention n’est pas le privilège de la
droite […] cette abstention dit aussi combien le malaise demeure à gauche
[…] Encore une fois, les jeunes de moins de 25 ans, les classes populaires,
les habitants de banlieue ont massivement boudé les urnes. »
Les scores plus forts réalisés à la fois par le PS et le FN doivent être
placés dans le contexte de l’atmosphère raciste nocive fomentée par
l’establishment politique français, notamment l’UMP après l’éclatement
de la crise économique en 2008. En juin dernier, Sarkozy et le politicien du
PCF, André Gerin, avaient créé une commission parlementaire sur
l’interdiction de la burqa et à laquelle le PS avait également participé.
L’automne dernier, Sarkozy avait initié un débat droitier sur « l’identité
nationale » de la France.
En décembre dernier, au moment où l’opinion publique virait résolument
contre la campagne sur « l’identité nationale », la presse a commencé à la
critiquer.
Les députés PS ont alors laissé tomber la commission anti-burqa au moment
où le parti tentait cyniquement à se remodeler comme une force antiraciste.
Un élément crucial de cette campagne fut l’organisation par Aubry d’une
candidature PS concurrente de celle de Georges Frêche, ancien politicien PS
dans la région Languedoc-Roussillon et connu pour ses propos racistes. Cette
opposition était foncièrement hypocrite et Aubry appelle maintenant à voter
au second tour pour la liste Frêche en Languedoc-Roussillon.
En se lançant dans l’élection, il était évident que Sarkozy était sur la
défensive. Le 12 mars, Sarkozy avait accordé une interview au Figaro
Magazine en suggérant qu’il ralentirait ses coupes sociales l’année
prochaine. A la question de savoir s’il déciderait de ne pas se présenterait
à sa réélection en laissant le premier ministre François Fillon être
candidat à sa place en 2012, Sarkozy a refusé de répondre.
Néanmoins, l’UMP est restée concentrée sur les questions racistes. Le
sénateur UMP, Gérard Longuet, a suscité un tollé dans les médias en
suggérant que le politicien PS Malek Boutih ne devrait pas présider
l’organisme anti-discrimination, la HALDE (Haute autorité de lutte contre
les discriminations et pour l’égalité) parce qu’il n’était pas un membre du
« corps français traditionnel. »
Les candidats UMP en Ile-de-France ont à plusieurs reprises calomnié Ali
Soumaré, candidat PS d’origine africaine de la Seine-Saint-Denis –
banlieue défavorisée au Nord de Paris – en le traitant de « délinquant
multirécidiviste. » Le 10 mars, la police a confirmé que Soumaré avait un
casier judiciaire vierge. Soumaré a obtenu 47,8 pour cent des voix dans sa
ville de Villiers-le-Bel qui avait connu des émeutes à grande échelle à la
suite de la mort de plusieurs jeunes dans des accidents avec la police en
2007, battant ainsi à la fois l’UMP (13,5 pour cent) et le FN (13,6 pour
cent).