WSWS :
Nouvelles et
analyses :
Etats-Unis
Derrière BP
Par Joe Kishore
26 juin 2010
Imprimez cet
article |
Ecrivez à
l'auteur
Plus de deux mois se sont écoulés depuis que l'explosion de la
plate-forme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique a engendré
ce qui est devenu la pire catastrophe environnementale de l'histoire des
Etats-Unis. La quantité de pétrole déversée dans le golfe, empoisonnant
l'une des régions les plus importantes du pays, tant au niveau écologique
qu'économique, n'est toujours pas connue, mais elle ne peut se chiffrer au
minimum qu'en dizaines de millions de litres.
Onze personnes sont mortes dans l'explosion. Une industrie clé – la pêche
dans le golfe – a presque été anéantie indéfiniment. Des dizaines de
milliers d'emplois dépendant de la pêche et du tourisme seront perdus. Des
espèces entières sont en danger et les conséquences à long terme sont
incalculables. Et pourtant, le déversement de pétrole continue.
L'ampleur du cauchemar écologique et économique contraste énormément, et
de manière révélatrice, avec les misérables actions du gouvernement fédéral.
Le principal objectif de l'administration Obama a été d'éluder les causes
sous-jacentes de la catastrophe et d'empêcher l'indignation populaire de se
mêler aux sentiments anti-patrons qui se développent à travers le pays.
Cette campagne a pris différentes formes, certaines plus cyniquement
« populistes » que d'autres.
Le weekend dernier, des fonctionnaires de l'administration Obama et les
médias ont exprimé leur supposée indignation face à la présence de Tony
Hayward à une course de yacht (à laquelle participait son propre bateau),
tandis que le pétrole de sa compagnie continue de se déverser dans le golfe.
L'indifférence de Hayward à la souffrance dans la région est bien sûr
méprisable et mérite toute l'indignation populaire qu'elle a provoquée.
Toutefois, ses actions sont typiques de l'élite patronale et financière
mondiale.
La véritable attitude de l'administration Obama a été résumée par le chef
de cabinet Rahm Emanuel, qui a critiqué Hayward pour être coupable de
« mauvaises relations publiques ». Autrement dit, le problème n'est pas son
geste, encore moins l'immense richesse des cadres de BP rendue possible en
partie grâce à la réduction des coûts qui a mené à la catastrophe, mais
plutôt que son moment était mal choisi.
La réaction à l'événement du yacht fait partie d'une plus large tentative
de présenter BP comme une société rebelle, une pomme pourrie. Si
l'administration peut, d'une manière ou d'une autre, soutenir que BP est
tenu pour responsable, l'incident peut être transformé en un événement
maîtrisable et la routine – y compris le développement continu du forage en
eau profonde – peut continuer.
C'était justement l'objectif de la série d'événements de relation
publique organisés par l'administration la semaine dernière: la visite
d'Obama dans le golfe du Mexique, le discours de la Maison-Blanche mardi et
la rencontre avec les cadres de BP le jour suivant. Le résultat a été la
mise en place d'un compte de garantie bloqué de 20 milliards de dollars,
payable à fréquence de 5 milliards$ par année, pendant quatre ans.
Dans son adresse à la nation la semaine dernière, Obama a déclaré qu'il
était déterminé à « faire payer BP » pour la catastrophe.
L'issue de ce processus n'a toutefois servi qu'à révéler la soumission de
l'administration à l'élite patronale et financière et son incapacité à
réagir sérieusement à un désastre sans précédent.
Premièrement, le fonds de 20 milliards de dollars est tout à fait
insuffisant pour faire face aux conséquences de la marée noire. Toute
évaluation objective de son impact économique atteindrait les centaines de
milliards de dollars ou plus. « Faire payer BP » et permettre à BP de
demeurer « une société forte et viable », ce sur quoi a aussi insisté Obama,
sont en fait deux déclarations mutuellement contradictoires.
Avec l'accord du président de BP Carl-Henric Svanberg (qui est tourné en
ridicule dans le golfe pour ses remarques sur la population, l'ayant
qualifiée plusieurs fois de « petites gens »), le fonds a été placé sous le
contrôle de Kenneth Feinberg, un fidèle représentant de l'establishment
politique. Feinberg a participé à la gestion des fonds d'assurance pour
l'agent orange et l'amiante, en plus de gérer le fonds compensatoire du
11-Septembre et de servir comme superviseur spécial d'Obama dans le
sauvetage des banques.
Feinberg a immédiatement fait l’éloge de BP au cours de la fin de
semaine, insistant à plusieurs reprises sur le fait qu’il était nécessaire
de « donner le crédit à BP » pour avoir distribué (un maigre) 100 millions
de dollars jusqu’ici. Pendant ce temps, les entreprises locales et les
individus se plaignent amèrement des difficultés qu’ils rencontrent à
obtenir de l'argent de la compagnie.
Loin d’accélérer le processus, la création du fonds ne servirait qu’à
couvrir BP, tout en faisant en sorte qu’un grand nombre de personnes soient
laissées pour compte ou soient forcées de faire des arrangements qui soient
tout à fait inadéquats relativement aux pertes subies.
Deuxièmement, la déclaration que le gouvernement « fait payer BP » pour
le désastre vise à couvrir la paralysie du gouvernement fédéral lui-même
suite à l’explosion.
L’ampleur du désastre excède de loin les ressources d’une seule
entreprise. N’importe quelle réponse sérieuse face à l'éruption de pétrole
aurait commencé avec la saisie des actifs de BP et une prise en charge
fédérale immédiate de la fuite et des efforts d’assainissement. Depuis le
début, l’administration Obama insiste cependant sur le fait que BP doit
rester en charge. Seul le géant du pétrole avait la technologie et la
capacité de réagir, a déclaré le gouvernement.
La saisie des actifs de BP ne serait toutefois que le début d'un effort
sérieux. Un programme d'urgence massif de travaux publics et la mobilisation
de ressources sociales sont nécessaires. Des centaines de milliers de
travailleurs, y compris ceux mis à pied suite au désastre, doivent être
mobilisés afin de contenir la fuite et de mener des opérations
d’assainissement. Des équipes de scientifiques de tout le pays et de par le
monde doivent être amenées à travailler en collaboration afin de trouver une
solution. BP n’est pas une aberration. Jusqu’au prochain désastre, la
société n’est que le visage public le plus visible de la criminalité des
entreprises, devenue omniprésente. En particulier, BP partage avec toutes
les grandes compagnies pétrolières la poursuite acharnée du profit, et ce,
aux dépens des mesures de sécurité les plus élémentaires.
Si cette catastrophe peut arriver à BP, elle peut se produire pour
n’importe quelle entreprise. En fait, dans leur poursuite de profit, les
compagnies de l’énergie ont causé une atrocité après l’autre – de
déversements de pétrole, la pollution et la dévastation de l’Afrique, le
réchauffement climatique, une série d’explosions minière partout au monde,
des coupures d’électricité et de gaz dans les foyers à travers États-Unis.
La nationalisation de l’industrie de l’énergie est nécessaire comme
mesure d’urgence. Ces ressources, absolument nécessaires pour le
fonctionnement de l’économie mondiale, doivent être sous un contrôle
démocratique, dans l’intérêt des besoins sociaux.
La mise sur pied d’un plan rationnel pour le développement d’une
production globale d’énergie est impossible tant que ces entreprises restent
subordonnées à la poursuite acharnée du profit et à l’accumulation
individuelle de la richesse.
Ces actions ne prendront pas place sous la direction du Parti démocrate
ou du Parti républicain, les deux étant dévoués à la défense du système de
profit.
La marée noire dans le golfe du Mexique, comme la crise financière avant
cela, pose la nécessité d'un mouvement socialiste de masse de la classe
ouvrière, ayant comme objectif l’établissement d’un gouvernement ouvrier.
Seulement de cette manière les mesures nécessaires pourront être prises afin
de répondre à la crise et empêcher le prochain désastre.
(article original paru le 23 juin)