Les ministres des Finances
des plus grandes économies du monde ont réagi à l'intensification
de la crise financière mondiale au cours des deux derniers mois en
faisant un virage à 180 degrés de leurs politiques fiscales.
Le communiqué de la
réunion des ministres des Finances du G20 tenu à Busan en Corée
du Sud, les 4 et 5 juin derniers, a indiqué clairement que l'on
devrait mettre un terme aux plans de relance économique, mis en
oeuvre après l'effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008,
et entamer un nouveau programme d'austérité.
Lorsque les ministres des
Finances se sont réunis en avril dernier, le communiqué de leur
réunion se concluait ainsi : « Dans les économies où
la croissance reste fortement dépendante du soutien public, et de
façon compatible avec la soutenabilité des finances publiques, ce
soutien devrait être maintenu jusqu'à ce que la reprise soit
fermement tirée par le secteur privé et devienne plus affirmée. »
Aujourd'hui,
le discours est bien différent : « Les
événements récents soulignent
l'importance de la viabilité des finances publiques et la nécessité
pour nos pays de mettre en place des mesures crédibles, favorables
à la croissance, pour assurer la viabilité budgétaire, de manière
différenciée et adaptée aux circonstances de chaque pays. Les
pays qui font face à de sérieuses
difficultés budgétaires doivent accélérer le rythme de la
consolidation. »
Selon le chancelier
britannique nouvellement installé George Osborne, qui a cherché à
s'attribuer le mérite de la nouvelle position, en obtenant
l'approbation du G20 pour « un changement de ton dans le
discours sur la viabilité financière » la nouvelle
formulation représente un « important succès ».
Le changement de politique
est l'expression de l'énorme pouvoir des marchés financiers et du
contrôle qu'ils exercent sur les programmes gouvernementaux. Ce
pouvoir s'est fait sentir dès la première journée de réunion,
lorsque les marchés de la Hongrie ont chuté après que son premier
ministre eut lancé l'avertissement que le pays se dirigeait vers
une crise comparable à celle de la Grèce.
L'éruption de la crise de
la dette souveraine grecque ainsi que les turbulences financières
dans la zone euro étaient le signal clair du capital financier
mondial que l'heure était venue de mettre un terme aux plans de
relance fiscaux et d'entreprendre un plan d'austérité pour tous
les programmes sociaux gouvernementaux.
Bien
que le communiqué contenait la mention obligatoire sur
« l'importance de la coopération internationale », le
renversement de position sur les plans de relance économique
n'était qu'une de plusieurs décisions signalant le
développement des divisions au sein du G-20.
En ce
qui concerne les plans gouvernementaux de relance, l'économie
d'un pays représente le marché d'exportation d'un autre.
Conséquemment, à la veille de la rencontre, le secrétaire du
Trésor américain Tim Geithner a écrit aux ministres des Finances
du G-20 exprimant sa préoccupation que le retrait des mesures de
relance pourrait affaiblir toute reprise économique.
« Les
réformes fiscales sont nécessaires à la
croissance », écrit-il, « mais elles ne réussiront que
si nous sommes en mesure de renforcer la confiance dans la reprise
mondiale. Le défi consiste à démontrer que nous pouvons avoir la
viabilité budgétaire à moyen terme sans qu'il soit perçu comme
obligatoire d'abolir les plans de consolidation de façon
généralisée et indifférenciée. Le
retrait nécessaire et inévitable des plans de relance fiscaux et
monétaires doit être ajusté pour demeuré en phase avec le
renforcement du rôle du secteur privé dans la reprise dans nos
économies. »
En
d'autres termes, alors que les plans de
relance fiscaux doivent être réduits à long terme, si tous les
gouvernements s'engagent simultanément dans un tel programme,
cela causerait un ralentissement significatif dans l'économie
mondiale, dans des conditions où la demande du secteur privé n'est
pas suffisante pour maintenir les taux de croissance.
Dans
sa lettre, Geithner prévient que, dû à la baisse de la demande de
la consommation aux États-Unis, l'économie américaine ne
pourrait continuer à absorber l'exportation mondiale et que
« sans progrès dans le rééquilibrage de la demande
mondiale, les taux de croissances mondiaux seront en deçà de leur
potentiel. Dans ce contexte nous sommes inquiétés par les
faiblesses prévues dans la demande intérieure en Europe et au
Japon. »
Il y a
aussi eu d'autres inquiétudes. Un haut
responsable de l'Afrique du Sud, Trevor Manuel, qui a été
ministre des Finances, a dit lors d'une conférence en marge de la
rencontre qu'il était important de comprendre « combien
fragile était la reprise mondiale ». Les dirigeants mondiaux
pourraient « empêcher que le monde tombe dans une nouvelle
récession », a-t-il dit. « Des pays qui par le passé
tendaient à prendre des décisions basées sur leurs intérêts
nationaux et a ignoré leurs responsabilités multilatérales »
commencent à écouter d'autres points de vue, a-t-il continué.
Le ministre des Finances
de la Chine, Xie Xuren, a demandé que les pays du G-20 demeurent
prudents en mettant un terme à leurs programmes de stimulation
fiscaux. La Chine, quant à elle, devrait continuer avec ses
politiques fiscales « actives » et une politique
monétaire « plutôt ouverte », a-t-il dit dans une
déclaration qui fut publiée sur le site web de la banque centrale
chinoise.
On a aussi vu des signes
de divisions sur les propositions de réformes de la réglementation
internationale des banques. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
font pression pour l'adoption de nouvelles règles ayant pour
objectif d'augmenter le capital et les liquidités que les banques
devront conserver. Mais les puissances européennes ont cherché à
atténuer ou à retarder leur introduction, craignant qu'une
recapitalisation des banques européennes entraîne une diminution
de leur capacité à prêter ce qui ouvrirait leur marché aux
banques américaines et britanniques.
La ministre des Finances
de la France, Christine Lagarde, a nié que la France tentait de
retarder le processus et a insisté qu'elle voulait qu'il soit
implanté comme prévu à la fin de 2012. On peut toutefois voir une
indication de ses inquiétudes lorsqu'elle a ajouté qu'il
fallait effectuer une « évaluation technique » de cette
question et que cela était trop compliqué pour être fait
rapidement.
Le
mois dernier un rapport de Nicolas Vernon du comité d'experts
Bruegel basé à Bruxelles affirmait que les responsables des
banques nationales en Europe cachaient le « piètre état »
de plusieurs banques européennes importantes, de peur que la
divulgation au public de leur véritable situation les expose à des
tentatives d'achat.
La rencontre du G-20
semble avoir signifié la mort de la proposition pour une taxe
internationale sur les banques. Cette demande a été vivement
opposée au Japon, au Canada et en Australie, qui affirment qu'étant
donné que leurs banques n'ont pas reçu d'aide directe des
gouvernements, elles n'ont donc pas à se voir imposer une taxe.
Le
communiqué du G-20 a exprimé un accord sur le principe que le
secteur financier doit contribuer aux coûts des interventions
gouvernementales, mais ajoutait que de telles mesures devraient être
développées en prenant en compte « les circonstances et les
options des différents pays ». Comme l'a noté le Financial
Times, il s'agit là du jargon
typique dans un communiqué qui annonce la mort d'une proposition.