La Commission des services publics de la Fédération des syndicats
irlandais (ICTU) a voté la semaine dernière en faveur d’un accord en bonne
et due forme pour interdire les grèves pendant quatre ans, pour des
rationalisations en grand dans les services publics, l’élimination de
milliers d’emplois (sans qu’on en connaisse le chiffre précis) et la
poursuite du blocage des salaires. L’accord, connu sous le nom de Croke Park
Agreement, est le pire accepté jusqu’ici par une fédération syndicale en
Europe en réponse à la crise économique.
Des coupes représentant 4 milliards d’euros, c'est-à-dire 3 pour cent du
PIB, ont déjà été effectuées cette année et on a l’intention d’imposer 3
milliards de coupes supplémentaires en 2011, 2012 et les années suivantes.
Ces coupes budgétaires sont en ligne avec la campagne menée par la coalition
Fianna Fail -Verts au pouvoir pour réduire le déficit du secteur public de
14 à 3 pour cent d’ici 2014.
Depuis 2008, les salaires du secteur public ont été réduits par deux
fois, une fois par une « contribution retraite » de 7 pour cent et ensuite
par des réductions nettes allant de 5 à 15 pour cent. Dans des conditions où
le chômage augmente, les étudiants sans travail dépendants de l’allocation
chômage et les bénéficiaires de diverses allocations d’aide sociale ont eux
aussi été durement touchés. Les réductions représentent pour cette année
seulement presque 1.000 euros de moins dépensés par personne, toutes aides
sociales confondues.
En réponse à cela, le ICTU a consacré tous ses efforts à ignorer les
actions de protestation, à réprimer les grèves et à insister pour dire aux
travailleurs qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Depuis le début de la
crise économique en 2008, l’objectif principal de l’ICTU a été de rétablir
une relation de travail avec le gouvernement en prouvant sa capacité à faire
passer les mesures d’austérité.
Avant même que la décision de l’ICTU ne soit ratifiée dans les formes,
les dirigeants des deux plus importants syndicats du secteur public ont
demandé à jouer un rôle dans la supervision directe des coupes. Jack
O’Connor du SIPTU enjoignit le premier ministre, Brian Cowen, de convoquer
une table ronde réunissant le gouvernement, les responsables du service
public et les syndicats afin de « considérer comment on pouvait faire
avancer les réformes ». Shay Cody, le prochain secrétaire général du
syndicat Impact, se joignit à lui. Tous deux demandèrent la mise en place
d’un commission commune, gouvernement et syndicats, de mise en oeuvre des
coupes.
L’accord fut salué par Brendan McGinty le représentant de la Fédération
patronale irlandaise IBEC, comme « du réalisme bienvenu ». Le secteur
public, exigea McGinty, devrait continuer d’imiter la réduction des coûts
dans le secteur privé ; on prédit que le coût du travail devrait y baisser
de 9 pour cent entre 2009 et 2011.
L’accord de Croke Park a été imposé aux adhérents des syndicats, auxquels
on a dit que s’il n’était pas accepté, ce qui allait arriver serait pire
encore. En même temps, les syndicats ont dit d’une façon très nette qu’ils
ne mèneraient aucune lutte en défense des conditions de travail et des
salaires. L’accord stipulait qu’à condition qu’il n’y eût pas de
« détérioration imprévue » dans la position budgétaire de l’Etat irlandais,
il n’y aurait pas d’autres réductions de salaire avant 2014 et que, si le
budget le permettait, il y aurait peut-être des efforts faits pour compenser
les pertes que les travailleurs avaient déjà subies.
Un grand nombre de travailleurs a tout de même rejeté l’accord. Malgré
des attaques permanentes de la part des médias contre les travailleurs du
service public et malgré l’exigence de sacrifices au niveau national, 9 des
19 syndicats des services publics ont rejeté l’accord, certains à une grande
majorité. 75 pour cent des 10.000 enseignants organisés dans la Teacher’s
Union of Ireland ont voté contre l’accord. Dans les syndicats les plus
importants SIPTU et IMPACT seulement 50 et 57 pour cent des membres
respectivement ont voté, bien qu’une majorité ait voté en faveur de
l’accord.
Les clauses de cet accord s’opposant à des réductions de salaires futures
n’ont aucune valeur. Presque chaque jour de nouvelles conséquences de la
débâcle financière deviennent visibles. Le quotidien Irish Independent
écrit que quelque 77 milliards d’euros de dettes des banques irlandaises
arrivent à échéance cette année. Ces dettes doivent être soit remboursée,
soit renégociées en septembre et en octobre. Etant donné que les banques
irlandaises sont plus ou moins ruinées, la seule option sera de renégocier
les emprunts.
Le « mur d’inquiétude » de la dette est considéré par les dirigeants des
banques comme étant le plus grave risque systémique encouru par les banques
irlandaises et la situation est suivie étroitement tant par le régulateur
financier que par le ministère des Finances. Si les banques, en particulier
l’Anglo Irish Bank, la plus endettée, étaient incapables d’obtenir des
emprunts sur un marché fortement troublé, le gouvernement irlandais va, une
fois de plus, être obligé de leur offrir de l’argent. Le prêt aux banques
dans la zone euro s’est effondré, passant de 38 milliards d’euros par mois à
1,9 milliard en mai de cette année, bien qu’il se soit détendu quelque peu à
la suite du plan de renflouement de 750 milliards de l’Union européenne.
Mais la dette gouvernementale irlandaise est elle-même de plus en plus
chère à financer, précisément à cause des mesures de renflouement massif
d’environ 70 milliards d’euros déjà offertes aux banques. Actuellement, le
gouvernement n’est capable de se financer qu’au taux d’intérêt de 5,5 pour
cent, bien au-dessus de ce que paye l’Allemagne. Ont estime que des taux
d’intérêt de 6 pour cent ou plus pour des obligations d’Etat sont
particulièrement dangereux.
L’économiste Morgan Kelly a insisté le mois dernier sur le danger d’une
banqueroute de l’Etat provenant d’un niveau de dette élevé et d’un niveau
rédhibitoire de paiement des intérêts.
Deux rapports publiés récemment et commandités par le ministre des
finances, Brian Lenihan, ont révélé certaines des caractéristiques du boom
immobilier qui a précédé une crise qui va s’aggravant.
Dans leur « Rapport préliminaire sur les sources de la crise bancaire
irlandaise », Klaus Regling et Max Watson remarquent que le Krach irlandais
fut entraîné par la fin d’une « bulle immobilière… renforcée par une
concentration extrême de prêts à des fins liées à l’immobilier ». Du fait de
l’intégration financière européenne, le marché immobilier irlandais s’est
soudain trouvé inondé par de larges sommes d’argent offertes en prêts par
les banques irlandaises et internationales.
Entre 2004 et 2006, le crédit individuel augmenta de 30 pour cent par an.
Pendant le même période, les banques irlandaises eurent une croissance
allant jusqu’à 46 pour cent par an, alors que jusqu’à 75 pour cent des prêts
bancaires étaient dirigés vers le secteur immobilier. Sur les nouveaux
prêts, un volume croissant concerna des prêts à court terme passant de 11,1
milliards d’euros en 2003 à 41 milliards en 2006.
Regling et Watson démontrent que même si Lehmann Brothers ne s’était pas
effondrée, en 2008 l’Irlande était en route vers une crise majeure. Le
rapport remarquait aussi qu’une dépendance trop marquée de l’immobilier
signifiait que le revenu de l’impôt devenait lui-même dépendant du boom.
Cette dépendance fut renforcée par des baisses d’impôt à travers lesquelles
le gouvernement irlandais cherchait à maintenir l’illusion de hausses de
salaires. Cela a, comme il fallait s’y attendre, intensifié l’effondrement
du revenu de l’Etat au moment où la bulle immobilière a éclaté.
Un autre rapport rédigé par le nouveau président de la Banque centrale
irlandaise, Patrick Honohan, était centré sur l’échec complet du régime
régulatoire à prédire ou à empêcher l’effondrement financier.
Selon Honohan, il existait « des signes patents d’un échec général de
l’administration bancaire… prenant des risques financiers externes immenses
afin de soutenir un marché immobilier alimenté par le crédit et la frénésie
de construire. »
Face à cela, les autorité régulatrices irlandaises manquaient de
personnel, n’étaient pas suffisamment formées et tendaient à « se faire
petites et à ne pas se munir d’un bâton ». Quand leur personnel manifestait
des inquiétudes, les banques intervenaient simplement auprès de contacts à
un plus haut niveau au sein des autorités régulatrices.
C’est là le contexte de l’accord de Croke Park. On demande à la classe
ouvrière de payer la facture d’une énorme gabegie spéculative pour laquelle
elle n’a aucune responsabilité et de laquelle elle n’a aucunement profité.
L’ICTU est l’expression accomplie d’une tendance universelle. En réponse à
l’effondrement financier de 2008 et à la crise subséquente de l’Eurozone,
les syndicats officiels sont apparus comme l’instrument favori de
l’aristocratie financière européenne pour faire porter le coût des
renflouements à la classe ouvrière.
(Article original publié le 28 juin 2010)