Plusieurs grands journaux français réclament que les gouvernements européens
augmentent leurs dépenses militaires pour se préparer à des guerre de grande
envergure à l'avenir. Ces demandes et les scénarios sinistres que les médias
exposent, sont un avertissement sérieux pour la classe ouvrière.
Participant des réductions des dépenses, en réponse à la crise de la
dette souveraine, les gouvernements de par l'Europe annoncent une réduction
temporaire ou un gel des dépenses de défense. La France prévoit d'économiser
quelque 5 milliards d'euros sur trois ans, comprenant une réduction de 54
000 emplois dans les forces armées. Le budget 2011 pour la défense s'élèvera
à 30,1 milliards d'euros, soit le même qu'en 2010.
Ces sommes sont considérées être totalement inadéquates par la presse
bourgeoise de premier plan. Dans son éditorial du 3 juillet intitulé «Aux
armes,citoyen européens. » le quotidien français de référence Le Monde
écrit, «Dans un monde qui s'arme, l'Europe désarme. Sous le choc de la crise
et la nécessité d'assainir leurs finances publiques, les pays européens
taillent dans les budgets de la défense - massivement. C'est dangereux. »
Le 24 juin, le quotidien de droite Le Figaro publiait un article
intitulé « L'Europe, puissance militaire? » de Thérèse Delpech, chercheur
associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Paris.
Elle écrit, « L'avenir de la puissance militaire européenne, à un moment de
coupes sombres dans les budgets de la défense, n'est pas une raison pour
célébrer la paix européenne ou 'la puissance soft'. Au contraire, c'est
potentiellement inquiétant. »[retraduit de l'anglais]
De tels commentaires témoignent de la perspective de classe flagrante qui
domine dans la presse. Les coupes massives dans les retraites ou le droit du
travail sont applaudies, mais toute coupe budgétaire menaçant la capacité de
la France à mener la guerre est inacceptable à l'ensemble de l'éventail de
la presse bourgeoise.
En fait, la France consacre des ressources gigantesques à l'armée. En
2008, la France a introduit un livre blanc sur la défense, définissant
l'orientation stratégique de l'armée française. Ce livre blanc accordait la
stabilité du budget de la défense pour 2009-2011, puis une augmentation d'un
pour cent pour 2012. Il accordait 377 milliards d'euros de dépenses pour la
défense sur six ans. Les économies prévues dans les dépenses de la défense
ne toucheraient pas les principaux programmes d'armement de la France: les
avions Rafale, la modernisation des sous-marins nucléaires ou l'avion de
transport militaire Airbus A400.
Comme le montrent clairement ces projets, l'objectif de la bourgeoisie
française est de préparer des interventions impérialistes à l'étranger, soit
aux côtés des Etats-Unis, soit pour rivaliser avec eux.
Le Monde écrit, « La défense, pour un continent comme l'Europe, c'est
la capacité à justifier ses ambitions stratégiques (en a-t-elle encore ?) ;
c'est l'aptitude à projeter sa puissance sur des théâtres éloignés où se
joue une partie de son avenir économique ; c'est la possibilité d'intervenir
pour s'interposer sur un autre continent… Bref, tenir son rang parmi les
puissances de l'époque.. »
Il y a un prix à payer au privilège d'être une puissance impérialiste
majeure, poursuit Le Monde. Faisant remarquer que «la majorité des
pays européens consacre moins de 1.5 percent de leur produit intérieur brut
(PIB) à la défense. » écrit-il, « Les Etats-Unis entendent rester une des
grandes puissances militaires de leur temps - avec plus de 4 % de leur PIB
consacré à la défense ; les Russes de même, en plein effort avec plus de 5 %
; les Chinois plus encore... »
L'article de Delpech présente des scénarios à faire froid dans le dos,
dont celui d'une guerre mondiale conduite par les Etats-Unis et l'Europe
contre la Chine, dans laquelle la France interviendrait pour aider à stopper
l'approvisionnement en énergie de la Chine au Moyen-Orient.
Elle écrit, «L'Asie est encore largement perçue en Europe comme un
partenaire économique, alors même que les Etats-Unis la considèrent à juste
titre comme un problème stratégique potentiel. Bien plus près de nous, le
Moyen-Orient n'est souvent compris qu'en termes de conflit arabo-israélien,
quand même au-delà de l'énigme nucléaire iranienne, il existe bon nombre
d'autres questions qui méritent que l'on s'y attarde: la nouvelle politique
régionale de la Turquie ou le destin de l'Egypte et de l'Arabie saoudite
après que leurs dirigeants actuels ne soient plus. »[retraduit de l'anglais]
Delpech ajoute, « Les conflits potentiels du 21 siècle sont trop évidents
pour que l'Europe se contente uniquement d'être un observateur. Même l'Asie
n'est pas aussi éloignée que bien des gens voudraient nous le faire croire.
La Chine est présente en Asie centrale, au Moyen-Orient, en Afrique et en
Amérique latine, ce qui veut dire partout. »[retraduit de l'anglais]
Depech traite la montée de la Chine comme une menace potentielle majeure
pour ses intérêts mondiaux. S'il y a un conflit entre la Chine et
l'Amérique, écrit-elle, les Européens « devront peut-être intervenir; au
Moyen-Orient par exemple, pour aider à bloquer des routes maritimes.
L'Europe est-elle prête à envisager ceci, voire même à le faire? »
[retraduit de l'anglais]
Les dépenses militaires européennes ne visent pas uniquement des
puissances hors de l'Europe, mais visent de plus en plus des relations
stratégiques au sein même de l'Europe.
Le déclenchement de la crise de la dette d'Europe méridionale, à
commencer par la crise de la dette souveraine de la Grèce a aussi généré des
tensions au sein de l'Europe, notamment entre la France et l'Allemagne. En
mai dernier, quand l'Allemagne traînait des pieds pour donner son accord au
renflouement de l'euro pour rembourser les banques détentrices de la dette
grecque, le président français Nicolas Sarkozy aurait menacé de quitter la
zone euro. Le directeur de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet
a dit que la situation internationale était la plus difficile depuis le
début de la Deuxième guerre mondiale.
Les mesures d'austérité à mettre en place menacent la classe ouvrière et
la base industriellede toute l'Europe. Dans le système d'Etat-nation,
ceci pose inévitablement la question de savoir qui maintiendra une base
industrielle suffisamment forte, capable de soutenir une armée importante.
En effet, la rivalité économique dans une situation de dépression mondiale
prend également le caractère de rivalité militaire.
Ecrivant dans Le Post, Jean-Pierre Chauvin fait remarquer que les
pays européens « redoutent un déclassement des forces armées et un
décrochage industriel, qui auraient des conséquences à long terme sur
l’emploi, l’économie, la souveraineté, la puissance même du pays [la
France]. »
Evoquant la défaite militaire de la France en 1940, au début de la
Deuxième guerre mondiale, il ajoute, « L’histoire de France, aiment-ils
rappeler, et notamment la période qui précède la Seconde Guerre mondiale au
cours de laquelle Paris a assisté sans réagir au réarmement allemand,
devrait pourtant servir de leçon. »
Au même moment, la classe dirigeante française approfondit sa relation
économique et politique avec la Russie, dont le principal partenaire
commercial bilatéral européen est l'Allemagne. En 2009 la France et la
Russie ont échangé 14 milliards d'euros de marchandises, alors que le volume
d'échange entre l'Allemagne et la Russie était de 44 milliards d'euros.
En juin, le président Sarkozy s'est rendu en Russie pour participer au
Forum économique international de Saint Petersbourg. Accompagné de groupes
d'affaires, Sarkozy a supervisé la signature de quelque 25 contrats,
concernant des accords sur l'alimentaire, l'énergie, les transports et
l'aérospatiale entre des entreprises françaises et russes. Ils sont estimés
à 5 milliards d'euros. Les compagnies énergétiques françaises GDF-Suez et
EDF (Electricité de France) ont acheté respectivement 9 et 10 pour cent de
parts dans les pipelines de gaz North Stream et South Stream de Russie.
Ceci est lié à une relation militaire en train de se développer. En mars
dernier, la France avait annoncé que des négociations avaient débuté pour la
vente à la Russie de quatre navires d'assaut amphibiens classe Mistral.
Dans son discours principal Sarkozy avait dit, «j'ai une conviction,
c'est que l'Europe et la Russie, nous devons travailler ensemble de façon
stratégique, de façon très proche et dans un rapport de confiance. » Il
avait ajouté, « La guerre froide, c'est fini. Le mur, c'est fini. La Russie
est une grande puissance, nous sommes des voisins, nous avons vocation à
être des amis. Nous devons nous rapprocher. »
Les accords de la France avec la Russie, visant à rivaliser avec
l'Allemagne, sont le signe de tensions stratégiques grandissantes au sein de
l'Europe. De plus en plus, elles comprennent une rivalité avec des
puissances autres que les Etats-Unis et les principales puissances de
l'OTAN.
L'élite dirigeante française s'inquiète de la pénétration chinoise
croissante dans le marché européen. Depuis l'annonce par la Grèce de la
privatisation de sa compagnie publique de chemin de fer OSE, une des mesures
clé que la Grèce doit prendre selon l'accord de renflouement de 110
milliards d'euros signé avec l'Union européenne et le Fond monétaire
international, l'opérateur des chemins de fer français SNCF s'y intéresse.
Selon divers rapports, les entreprises chinoises cherchent aussi à
acheter des partsdans les chemins de fer grecs. En juin, la Chine a
signé des accords commerciaux d'une valeur de plusieurs milliards d'euros
avec la Grèce, considérés comme le plus important investissement unique de
la Chine en Europe. Les entreprises chinoises ont signé 14 accords dans les
secteurs de la construction navale, du tourisme, du bâtiment et des
télécommunications.
Le 1er juillet, le ministre français des Transports, Dominique Bussereau
s'est rendu en Grèce et a signé un «accord de coopération stratégique dans
le domaine du transport ferroviaire » avec son homologue grec Dmitris Reppas.
Bussereau a ajouté, « Je regarde froidement la réalité : si la France ne se
mobilise pas, d'autres et pas seulement des Européens, le feront à sa
place. »