La semaine dernière, deux jeunes hommes ont été tués par balles tandis
qu'ils tentaient d'échapper à la police, dans la banlieue de Grenoble et
dans le village de Saint-Aignan dans le centre de la France. La police a
réagi aux émeutes provoquées par ces morts par des déploiements massifs et
des tirs à balles réelles.
La police a tué Karim Boudouda, 27 ans, d'une balle dans la tête devant
son domicile dans la nuit du 15 au 16 juillet après une course poursuite aux
environs de La Villeneuve, banlieue de la ville alpine de Grenoble, dans le
sud est de la France.
Il était soupçonné d'avoir participé au braquage d'un casino. La police a
déclaré avoir trouvé un sac dans le coffre de sa voiture contenant 20 000 €
volés dans le casino. La police dit avoir essuyé des tirs venant de la
voiture de Boudouda et n'avoir tiré qu'en situation de légitime défense.
La nuit suivante, la police a tiré sur Luigi Dequenet, membre d'un groupe
de gens du voyage, qui avait forcé un barrage de police près de
Saint-Aignan.
Dimanche, quelque 50 personnes de sa communauté ont attaqué la
gendarmerie de Saint-Aignan, armés de haches et de barres de fer. Ils ont
aussi tronçonné des arbres qui bordaient la route et renversé des feux
tricolores. Le maire du village a dit à Libération: « Il y a eu un
règlement de compte entre gens du voyage et la gendarmerie. »
Deux hélicoptères et un renfort de 300 hommes ont été envoyés dans ce
village qui compte 3 250 habitants.
Dans la région de Grenoble, les émeutes ont commencé la nuit suivant la
mort de Karim. Après avoir assisté vendredi soir aux prières d'un imam à la
mémoire de Karim dans un parc proche de son domicile, cinquante jeunes ont
attaqué des abris bus et un tramway avec des barres de fer et des battes de
base-ball. Selon la police, 50 à 60 voitures ont été incendiées cette
nuit-là, ainsi que des engins sur un chantier et deux magasins. Une
quinzaine de voitures ont été brûlées la nuit suivante.
A 2h30 du matin samedi, la police a de nouveau tiré à balles réelles dans
le quartier hlm de Villeneuve, disant que des jeunes leur avaient tiré
dessus avec une arme de poing. Depuis ils déclarent avoir essuyé des tirs
chaque nuit, et deux fois le dimanche, bien qu'on ne compte pas de blessés
parmi les policiers.
Le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux s'est rendu à Grenoble samedi.
Il a dit qu'il allait « rétablir l'ordre public et l'autorité de l'État
...par tous les moyens. » Il a ajouté que les détachements spéciaux de
police resteraient sur place « pour tout le temps nécessaire pour que le
calme soit revenu. »
Il a dit, «Il y a une réalité simple et claire dans ce pays : les voyous
et les délinquants n'ont pas d'avenir, car la puissance publique finit
toujours par l'emporter . »
Hortefeux a fait une visite éclair de 15 minutes à La Villeneuve et a
promis une réponse rapide: «Quand je dis vite, c'est à dire tout de suite,
c'est ainsi que nous allons rétablir l'ordre public et l'autorité de l'Etat. »
Cette nuit-là 300 policiers lourdement armés, dont 240 hommes du GIGN et
du Raid ont investi La Villeneuve. Les lumières de la ville ont été éteintes
et un hélicoptère de la police a survolé l'endroit, équipé d'un projecteur
balayant le quartier. Les forces de police resteront sur place au moins
jusque demain soir.
Dimanche, la mère de Boudouda a appelé au calme et dit à l'Agence
France-Presse qu'elle se battrait pour éclaircir les circonstances de la
mort de son fils. Elle a dit, « Ils ont déconné les flics, ils ont déconné.
Je vais voir le procureur et je vais porter plainte. »
Une femme du quartier a dit à l'Humanité que ce n'était pas le
sermon de l'imam qui avait provoqué les émeutes: «Karim Boudouda était
originaire de ce quartier et les jeunes qui ont manifesté leur colère
n’acceptent pas les conditions de décès de leur ami. »
La police a arrêté 20 personnes depuis vendredi dernier. Quatre personnes
ont été arrêtées car elles sont soupçonnées d'avoir tiré sur la police.
Dimanche soir, deux d'entre elles étaient encore en garde à vue, attendant
d'être déférées pour tentative de meurtre. Trois jeunes devaient être
présentés devant des magistrats en comparution immédiate hier pour vol dans
des magasins. Quinze domiciles ont été perquisitionnés.
Libération daté de la veille a cité des résidents de La Villeneuve,
« Le quartier a très mal vécu la mort du jeune. Ils l'ont laissé crever par
terre, ils ont laissé son corps sur le bitume au lieu de le transporter. »
Le journal ajoute avoir entendu ces mêmes accusations à maintes reprises
dans le quartier: « Ils sont venus l'abattre dans son quartier......Ils
l'ont tué devant sa mère. »
Le meurtre de ces deux hommes par la police, et l'autorisation donnée à
la police de tirer à balles réelles sur des habitants du quartier, sont non
seulement un acte d'agression contre les habitants de Grenoble et de
Saint-Aignan, mais un avertissement à l'ensemble de la classe ouvrière. La
visite éclair de Hortefeux à La Villeneuve souligne le fait que les
représentants haut placés du gouvernement traitent de tels quartiers un peu
comme les villes rebelles d'un pays occupé.
C'est la conséquence politiquement criminelle de l'aggravation des
inégalités sociales et de la rhétorique raciste sécuritaire qui infiltre la
politique française.
De tels appels ont fourni la base de l'adoption par les médias de Nicolas
Sarkozy avant son élection à la présidentielle en 2007, ainsi que de la
campagne de sa principale rivale, Ségolène Royal du Parti socialiste (PS.)
L'establishment politique a soutenu sans broncher cette dernière
atrocité policière en date. Le porte-parole du PS Benoît Hamon a critiqué le
gouvernement pour s'être trouvé « débordé » dans « sa lutte contre
l'insécurité », c'est à dire pour n'avoir pas déployé un nombre suffisant de
policiers contre les sections les plus opprimées de la classe ouvrière.
La Villeneuve fait partie de ces nombreuses ZUS (zone urbaine sensible)
socialement défavorisées et abritant 4,5 millions de personnes dans toute la
France. Selon un rapport de décembre de l'Observatoire national des ZUS la
pauvreté ne cesse d'augmenter dans ces quartiers. En 2008 déjà avant le
début de la crise économique mondiale, le chômage dans les ZUS chez les
18-24 ans s'élevait à 41 pour cent.
L'establishment politique a cherché à gérer la montée du
mécontentement devant l'oppression sociale par la répression policière tout
en désorientant d'autres sections de la population par des appels racistes
contre les banlieues immigrées.
Les provocations racistes de Sarkozy en 2005 contre les jeunes immigrés
qu'il avait appelés « racaille » avaient rapidement été suivies par la mort
de deux jeunes, Zyad Benna et Bouna Traore, alors qu'ils tentaient
d'échapper à la police dans la banlieue parisienne de Clichy-sous-Bois. Cela
avait déclenché trois semaines d'émeutes dans les banlieues. La réaction du
président d'alors, Jacques Chirac, avait consisté à imposer l'état d'urgence
pendant trois mois, avec le soutien des partis de la « gauche » officielle.
En 2007, deux adolescents, Larami et Moushin, étaient tués en banlieue
parisienne à Villiers-le-Bel dans une collision avec une voiture de police.
Les policiers n'étaient pas restés sur place après l'événement. Ceci avait
provoqué trois nuits d'émeutes au cours desquelles la police avait dit être
la cible de coups de feu par des tireurs non identifiés. Les jeunes arrêtés
durant ces émeutes se sont vus condamnés à des peines sévères lors de procès
sommaires.
La tolérance de l'establishment politique envers les meurtres de
la police et la répression massive de type loi martiale, est le produit du
climat raciste et réactionnaire en France, dans une situation de crise
économique mondiale et de mécontentement social de masse au sein de la
population.
Sarkozy a réagi aux manifestations de masse contre les renflouements de
banques de 2008-2009 par des propositions d'interdiction de la burqa et une
campagne raciste sur « l'identité nationale » ayant pour but de diviser la
classe ouvrière selon des lignes racistes et ethniques. Ces campagnes n'ont
été contrées par aucune section de l'establishment politique. Cela a
attisé davantage encore les tensions raciales, et on a vu des politiciens et
des personnalités médiatiques critiquer les joueurs non blancs de l'équipe
de football française qui a perdu à la Coupe du monde, les traitant de
« racaille. »
Comme le montrent clairement ces récents meurtres et répression, ces
initiatives constituent la base politique pour une utilisation
officiellement approuvée du 'tirer pour tuer' face au mécontentement de la
classe ouvrière.