En plein milieu d'une crise politique au Pakistan et des troubles faisant
suite aux attaques de missiles américains ainsi qu'à l'emploi de
mercenaires, il a été révélé qu'au cours des cinq dernières années, les
troupes d'opérations spéciales américaines ont mené un certain nombre
d'opérations clandestines en franchissant la frontière, dans ce qu'on
appelle la zone tribale du pays.
Selon un « ex-officier de l'OTAN » cité dans un article du quotidien
britannique Guardian de mardi, ces raids impliquaient « des soldats
d'élite emmenés en hélicoptère, passant discrètement la frontière de nuit,
et n'ont jamais été déclarés au gouvernement pakistanais. »
La seule incursion admise publiquement par les forces américaines a eu
lieu le 3 septembre 2008, des commandos de marine avaient été transportés en
hélicoptère dans un village du Sud Waziristân, pour s'introduire dans trois
bâtiments et massacrer 20 personnes. Washington a affirmé que ces morts
étaient des combattants d'Al Quaida, mais le gouvernement pakistanais a
déclaré que toutes les victimes n'étaient que des villageois, dont six
femmes et deux enfants.
Cet incident avait provoqué une vague d'indignation au Pakistan, le
gouvernement dénonçant ces attaques comme une « grave provocation » et le
parlement du pays exigeant que l'armée utilise la force pour empêcher toute
violation à venir de la souveraineté nationale. Des officiels américains ont
déclaré à la presse sous le couvert de l'anonymat que le régime pakistanais
avait donné son accord à ce raid, ce qu'Islamabad a démenti énergiquement.
Selon le Guardian, cependant, ce raid était le quatrième de la
sorte à se produire entre 2003 et 2008. Deux des précédents assauts étaient
des assassinats similaires contre des personnes soupçonnées de faire partie
d'Al Quaida, et un troisième avait été lancé pour récupérer un drone
Predator qui avait été abattu, l'armée américaine craignant que la
résistance afghane ne s'en empare.
À la suite du raid de 2008, il a été rapporté que le président George W.
Bush avait pris une décision confidentielle autorisant l'armée américaine à
mener des attaques transfrontalières au Pakistan au prétexte que ce pays et
l'Afghanistan faisaient tous deux partie du même théâtre d'opérations dans
la « guerre globale contre le terrorisme. »
Cette ligne de conduite semble apparemment être suivie par Barack Obama
et est sur le point d'être intensifiée dans le cadre du renforcement des
moyens militaires organisé par son gouvernement, qui envoie au minimum 30
000 soldats supplémentaires en Afghanistan.
Depuis qu'Obama a pris ses fonctions, la CIA et l'armée américaine ont
doublé le nombre des attaques de missiles lancées depuis les drones sans
pilote Predator, tuant des centaines de civils Pakistanais.
Maintenant, le gouvernement américain exige que le gouvernement pakistanais
accepte une nouvelle extension des attaques de drones et qu'il mène sa
propre offensive militaire contre les forces de la résistance afghane qui
opèrent depuis la Zone tribale sous administration fédérale du Pakistan,
près de la frontière afghane.
Un flot continu d'officiels américains, dont le directeur de la CIA Leon
Panetta et le président de la réunion interarmes des chefs d'état-major,
l'Amiral Mike Mullen, ont fait le voyage jusqu'à Islamabad pour faire
pression sur le gouvernement du Président Asif Ali Zardari et l'armée
pakistanaise et les remettre dans le droit chemin du renforcement militaire
d'Obama.
Ces officiels ont exigé de l'armée pakistanaise qu'elle lance une attaque
contre ce qu'ils qualifient de sanctuaires du "réseau Haqquani" au
Waziristân du Nord. Ce groupe est dirigé par Sirajuddin Haqquani et son père
Jalaluddin. Dans les années 1980, ce dernier était l'un des principaux
bénéficiaires de l'aide en armes et en argent apportée par la CIA dans la
guerre contre le régime pro soviétique de Kaboul.
Washington insiste également pour que le gouvernement Pakistanais lui
donne le feu vert pour l'extension des attaques de missiles par drones
depuis les zones tribales du Balûchistân, la plus grande province du
Pakistan. Le Balûchistân est voisin de la province afghane du Helmand, là où
se concentre l'essentiel des opérations américaines et britanniques contre
l'insurrection.
Des articles de presse aux États-Unis et au Pakistan indiquent que les
représentants américains sont allés jusqu'à proposer des attaques de drones
contre Quetta, une ville de 600 000 habitants. Le pentagone et les services
de renseignement américains affirment que les dirigeants talibans, dont le
Mollah Omar, fondateur du mouvement, préparent et dirigent les opérations
militaires en Afghanistan depuis une cachette dans cette ville.
Le quotidien pakistanais Dawn a écrit mercredi que « les sources
diplomatiques indiquent que les dirigeants pakistanais ont tous sans
exception été mis en garde par divers représentants des États-Unis que si le
Pakistan ne prenait aucune décision, les Américains pourraient prendre des
mesures directes, y compris l'extension des attaques de drones au
Balûchistân. »
Les tensions se sont accrues entre Islamabad et Washington. Alors que le
gouvernement Pakistanais et l'armée ont depuis longtemps obéi au doigt et à
l'œil à l'impérialisme américain dans la région, cette guerre en Afghanistan
voisin et les incursions américaines au Pakistan menacent de déstabiliser
tout le pays. Par souci de se préserver, l'élite dirigeante pakistanaise
semble renâcler devant les dernières exigences américaines.
Cela a transparu dans une comparution jeudi du ministre des affaires
étrangères Shah Mahmoud Qureshi devant le comité des affaires étrangères de
l'Assemblée nationale, durant laquelle il a critiqué la stratégie d'escalade
du gouvernement Obama.
Selon un communiqué du ministère des affaires étrangères, il a déclaré
aux députés que le gouvernement Zardari ne permettrait pas aux troupes des
États-Unis ou de l'OTAN d'entrer au Pakistan pour ce que l'on appelle des «
poursuites urgentes », et qu'il n'autoriserait pas non plus l'extension de
la campagne de bombardements par drones.
« Il y a de sérieuses implications pour le Pakistan dans la nouvelle
stratégie américaine en Afghanistan, » citait le communiqué. « Suite à
l'intensification militaire, il pourrait y avoir plus de violences en
Afghanistan ce qui pourrait, à son tour, entraîner un nouvel afflux de
militants et de réfugiés afghans au Pakistan. »
Le ministre a qualifié les attaques de drones de « contre-productives et
inutiles. » Cette position officielle du gouvernement est cependant infirmée
par le fait que la CIA lance ces attaques depuis une base aérienne au
Balûchistân, donc avec la bénédiction d'Islamabad.
L'Associated Press a, au même moment, cité un « diplomate
américain de haut rang » anonyme, disant que « de nouvelles actions
américaines contre le réseau Haqquani sont attendues, » et que cela « serait
soutenu par le Pakistan. »
Pour l'instant, l'armée pakistanaise a rejeté les demandes américaines de
lancer une nouvelle offensive au Nord Waziristân contre les forces des
Haqquani. Elle a maintenu que ses troupes sont déjà engagées dans une
offensive au Waziristân du Sud et qu'elle ne peut pas mener les deux
campagnes simultanément.
« On ne peut pas se battre sur autant de fronts, » a déclaré un officiel
de la sécurité pakistanaise au Times de Londres.
Cette attitude a provoqué la colère de Washington, qui affirme toujours
que le gouvernement pakistanais est prêt à lancer des attaques contre les
militants talibans au Pakistan qui lancent des attaques à l'intérieur du
pays mais ne fait rien contre les éléments qui utilisent le Pakistan pour
lancer des attaques contre les forces d'occupation américaines en
Afghanistan tout proche.
Ce qui fonde la position pakistanaise, selon de nombreux analystes, ce
sont les liens établis de longue date entre les Haqquani et le service de
renseignement militaire pakistanais, l'ISI (Inter-Services Intelligence
- renseignements interservices).
L'influence du Pakistan sur les Talibans, et les éléments de la
résistance qui leur sont associés est vue comme un moyen d'assurer la
préservation des intérêts pakistanais en Afghanistan une fois que les
États-Unis seront contraints à évacuer le pays. Islamabad craint
particulièrement le développement d'une présence indienne en Afghanistan.
« Si l'Amérique s'en va, le Pakistan est très inquiet d'avoir l'Inde à sa
frontière Est et l'Inde en Afghanistan à sa frontière Ouest, » a déclaré un
ex-ambassadeur pakistanais aux États-Unis, Tariq Fatemi, au New York
Times.
La crise politique du régime pakistanais contribue également à
l'aggravation des tensions entre les États-Unis et le Pakistan, une décision
de la Cour suprême Afghane annulant une amnistie obtenue par le gouvernement
Bush à l'époque de l'ex-dictateur militaire, le Général Pervez Musharraf, a
ébranlé le régime. Cette amnistie négociée protégeait les politiciens du
Parti populaire Pakistanais (PPP) de Zardari contre des poursuites pour
corruption.
Actuellement, le ministre de la défense Ahmed Muktar et le ministre de
l'intérieur Rehman Malik, deux des principaux coordonnateurs de la politique
militaire avec Washington, doivent faire face à la justice et ont été
interdits de quitter le territoire. Les partis d'opposition ont demandé la
démission du gouvernement.
Le représentant spécial du gouvernement d'Obama pour l'Afghanistan et le
Pakistan, Richard Holbrooke, a commenté ce qu'il appelle un « drame
politique majeur qui se déroule à Islamabad. » au cours d'une interview par
Charlie Rose à la télévision publique américaine.
« Comment cela va se terminer, cela reste à voir, » a déclaré Holbrooke,
ajoutant, « c'est quelque chose que nous suivons de très près. »
Toujours au cours de cette interview, Holbrooke a qualifié de « dilemme »
le fait que « les dirigeants d'Al Quaida et des Talibans soient tous deux
dans un pays proche où nos troupes ne peuvent pas se battre. » Il a affirmé
que les États-Unis devraient « trouver d'autres moyens » de régler ce
problème. Il a également défendu les attaques de drones, que les
organisations de défense des droits de l'homme appellent des exécutions
extrajudiciaires : « Certains des gens les plus dangereux du monde… ne sont
plus en vie aujourd'hui, » grâce à ces frappes, a-t-il dit.
Mais ces frappes de missiles, ajoutées à la présence de plus en plus
importante des États-Unis au Pakistan, provoquent une opposition populaire
croissante.
Cela a pris la forme au cours des semaines récentes de manifestations
dans plusieurs villes pakistanaises contre la présence alléguée de
mercenaires américains dans le pays de la tristement célèbre compagnie de
mercenaires Blackwater-Xe.
Des milliers de gens se sont rendus à une manifestation anti-Blackwater
dimanche à Rawalpindi, la quatrième ville du Pakistan, qui abrite le
quartier général de l'armée. À l'appel du Jamaat-e-Islami, le plus
grand parti islamiste du Pakistan, et sous le slogan « Dehors, l'Amérique,
Dehors, » les orateurs ont dénoncé Blackwater comme des « terroristes
américains » et ont accusé Washington de saper la souveraineté pakistanaise
et de chercher délibérément à déstabiliser le pays pour prendre le contrôle
de ses armes nucléaires.
Le week-end dernier, des centaines d'avocats du barreau d'Islamabad ont
organisé une autre manifestation anti-Blackwater devant l'école de police de
Sihala, demandant que le gouvernement expulse les instructeurs étrangers,
qui sont, suivant les accusations des manifestants, des salariés de
Blackwater. Les avocats et ceux qui les avaient rejoints ont également
affirmé que les opérations d'entraînement servent en fait de couverture à de
l'espionnage américain sur la centrale nucléaire de Kahuta toute proche.
Après la manifestation, le gouvernement pakistanais a annoncé qu'il allait
déplacer l'école de police dans le quartier général de la police
d'Islamabad.
Blackwater a changé son nom en Xe Services en raison de la réputation
morbide qu'elle s'était taillée après le massacre de 17 civils irakiens par
ses soldats en 2007.
Les dirigeants de Blackwater comme ceux de Washington nient avoir déployé
du personnel au Pakistan. Pourtant, de multiples articles de presse aux
États-Unis et en Grande-Bretagne ont cité des officiels américains actuels
et passés qui déclaraient que cette compagnie de mercenaires est
effectivement active au Pakistan.
Jeremy Scahill, auteur du livre Blackwater : l'émergence de l'armée
mercenaire la plus puissante du monde, a déclaré dans le magazine
Nation le mois dernier que Blackwater joue un rôle de premier plan dans
la récolte d'informations pour les attaques de drones et dans leur
exécution, et qu'elle est « au cœur d'un programme secret dans lequel ils
organisent des assassinats ciblés de Talibans présumés et d'agents d'Al
Quaida. »
Les attaques de drones, les raids derrière la frontière menés par les
troupes d'opérations spéciales et l'usage des mercenaires américains,
couplés à l'intensification de la pression par Washington pour que l'armée
pakistanaise étende ses offensives militaires aux régions de l'Afghanistan
immédiatement derrière la frontière, contribuent toutes à la déstabilisation
politique de ce pays de 180 millions d'habitants, doté de l'arme nucléaire.
Mené en secret et dans le dos du peuple américain, cet élément
fondamental de l'escalade militaire organisée par le gouvernement Obama
menace de déchaîner une guerre bien plus grande.