L’administration Obama a pris des
mesures extraordinaires pour empêcher les Haïtiens désespérés d’entrer
aux Etats-Unis depuis que le tremblement de terre du 12 janvier a dévasté la
nation caribéenne, tuant environ 200.000 personnes, faisant au moins 1,5 million
de sans-abris et faisant 1 million d’enfants orphelins. L’effort
pour empêcher les Haïtiens d’entrer au pays — incluant les blessés
qui recherchent un traitement médical — illustre que la priorité de
l’intervention menée par les Etats-Unis n’est pas de sauver es
vies, mais d’établir un contrôle militaire sur la population.
Cinq navires de la garde côtière américaine
ont rejoint des navires de la marine américaine déployés sur les côtes
haïtiennes — pas pour livrer de la nourriture, de l’eau ou des
médicaments aux malades et aux mourants, mais pour arrêter les Haïtiens qui
pourraient tenter de s’échapper. Le commandant de la garde côtière, Chris
O’Neil, a dit au New York Times que tous ceux qui tentent de fuir
Haïti seraient capturés et retournés, mais que, jusqu'à maintenant, son unité
n’a pas été témoin d’une tentative. « Rien, zéro, a dit
O’Neil, et pas d’indice qui nous montre que quelqu’un est en
train de faire des préparations pour faire une telle tentative. »
Les responsables américains ont dit
qu’il y a peu de preuve que les Haïtiens quittent les Etats-Unis, mais
« ils s’inquiètent que dans les prochaines semaines, les conditions
de vie qui iront en se dégradant en Haïti pourraient encourager un
exode. » Le fait que les responsables américains planifient des
« conditions qui iront en se dégradant » en Haïti lors des
« prochaines semaines » — au-delà de la situation désespérée
qui règne là-bas maintenant — est une admission flagrante que Washington
n’a pas l’intention de rendre les secours disponibles au plus grand
nombre, encore moins de rebâtir Haïti.
L’administration Obama fait aussi des
plans pour incarcérer les Haïtiens qui pourraient risquer le dangereux voyage
en mer jusqu’aux Etats-Unis, qui, à chaque année, coûte la vie de
centaines de personnes. Des responsables ont dit au Times qu’ils
« ébauchent des plans pour ramasser tout bateau qui transporte des
immigrants illégaux et les envoyer à Guantanamo Bay » — la base militaire
américaine à Cuba qui est célèbre pour ses abus de « terroristes
suspectés ». Le département de la sécurité intérieure a annoncé
qu’il allait vider des espaces dans sa prison de déportés du sud de la
Floride, le Krome Service Processing Center, au cas où un flot d’Haïtiens
arriverait.
Le porte-parole du département d’Etat
américain, Noel Clay, a annoncé que les Etats-Unis n’assoupliraient pas
leurs conditions pour l’obtention d’un visa pour les Haïtiens. La
politique stricte de visa s’étend aux 1 million d’orphelins qui
sont estimés provenir du tremblement de terre — 10 pour cent de la
population haïtienne. Le secrétaire du département de la sécurité intérieure,
Janet Napolitano, a dit lundi que les Etats-Unis prendront une poignée
d’orphelins sur « parole d’honneur humanitaire ». La
politique s’applique à ceux qui avaient des papiers d’orphelins
avant le tremblement de terre et qui devaient déjà être adoptés par des
familles américaines. Lundi, environ 50 enfants haïtiens qui dont toutes les
formalités pour leur adoption aux Etats-Unis avaient été remplies sont arrivés
à Pittsburgh, à l’Hôpital pour enfant de la Pennsylvanie, après que leur
orphelinat se soit effondré dans le tremblement de terre.
Le département d’État a même refusé
d’octroyer des visas à des Haïtiens malades ou mourants pour qu’ils
puissent être traités dans un hôpital d’urgence adjacent à
l’aéroport de Miami. Le Dr William O’Neill, le doyen de la faculté
de médecine de l’Université de Miami qui a créé l’hôpital, a
affirmé que cette politique était « plus qu’absurde ». Le
département d’Etat est dirigé par Hillary Clinton, qui, avec son mari
l’ancien président américain Bill Clinton, prend la posture d’un
ami des survivants au tremblement de terre en Haïti.
Les mesures prises pour empêcher les
Haïtiens de chercher refuge aux Etats-Unis sont presque sadiques. Alors que les
Etats-Unis ont refusé de donner la permission d’atterrir à Port-au-Prince
à de nombreux avions d’aide, tous les jours, un avion-cargo de
l’armée de l’air américaine survole pendant des heures les zones
sinistrées pour émettre le message suivant en créole : « Écoutez, ne
tentez pas de quitter le pays par bateau. Si vous tentez de faire cela, vous ne
ferez qu’empirer vos problèmes. Parce que, pour être honnête avec vous,
si vous pensez que vous pourrez atteindre les Etats-Unis et que les portes vous
seront ouvertes, ce ne sera pas le cas. Et vous serez intercepté sur la mer et
retourner là d’où vous êtes partis. »
Le Miami Herald a rapporté mardi que
les Etats-Unis avaient interdit tous les vols commerciaux en provenance
d’Haïti non pas à cause des dommages à l’aéroport, mais parce
qu’on ne pouvait pas déterminé si les passagers potentiels se trouvaient
sur une liste d’interdiction de vol ou les faire passer par des détecteurs
de métal. Spirit Airlines et American Airlines ont des vols cargos et amènent
des travailleurs de l’aide humanitaire à Port-au-Prince depuis le
lendemain du tremblement de terre, mais leurs avions reviennent toujours avec
des « centaines de sièges vides ». Une des rares exceptions à cet
état de fait, lundi dernier quelques douzaines d’étudiants américains et
le journaliste américain de Fox Geraldo Rivera ont obtenu l’autorisation
de prendre l’avion du secrétariat d’Etat et sont revenus aux
Etats-Unis sur un vol de Spirit.
Spirit et American ont dit qu’ils
recevaient beaucoup de demandes pour des vols hors de Haïti et qu’ils
perdaient de l’argent. « Les gens nous appellent
continuellement » pour des vols hors de Haïti a dit la porte-parole de Spirit,
Misty Pinson, au quotidien The Herald. « Nous sommes
submergés. »
Le département d’Etat a exempté les
vols nolisés privés provenant de Haïti des exigences
« anti-terroristes ». Ces compagnies peuvent prendre des passagers
qui louent des avions pour autant que 4000 $ l’heure ou qui peuvent
payer 1000 $ pour un aller vers la Floride.
L’indifférence complète et la cruauté
de l’embargo américain contre les Haïtiens venant aux Etats-Unis furent
mises en relief par un reportage en direct diffusé mardi lors des nouvelles de
la radio de CBS décrivant les milliers de résidents de Port-au-Prince
remplissant les plages dans un effort désespéré pour embarquer dans des bateaux
déjà surpeuplés.
Les efforts des Etats-Unis pour garder les
réfugiés haïtiens hors du pays font contraste avec leurs efforts, menées par
Bill Clinton, pour promouvoir le transfert des ateliers de misère de vêtements
en Haïti. La pauvreté extrême en Haïti est le résultat de décennies de
domination du capitalisme américain.
Les travailleurs américains doivent rejeter
cette dernière tentative de victimisation des Haïtiens et demander qu’ils
leur soient permis de s’installer aux Etats-Unis avec tous les droits.
Pendant ce temps, l’opération de
secours — le soi-disant objectif de la présence militaire américaine —
s’est avérée être une telle débâcle que même les médias ont été forcés
d’admettre l’échec évident à livrer de la nourriture, de
l’eau et des médicaments au peuple haïtien.
Très rapidement après le tremblement de
terre, l’armée américaine a pris l’aéroport de Port-au-Prince et a
pris le contrôle du port de la capitale de la ville, qui est largement détruit.
Des flottilles navales et de la garde côtière ont été rapidement déployées dans
les eaux d’Haïti. Des milliers de soldats ont été déployés.
Mais, non seulement l’armée
américaine n’a pas fourni une aide significative aux Haïtiens lors de la
dernière semaine, pendant laquelle des dizaines de milliers d’individus
sont morts sous les immeubles effondrés ou par l’absence de nourriture,
d’eau et de médicaments de base. Elle a, en fait, joué un rôle
contre-productif, ordonnant à des douzaines de vols contenant de l’aide
de rebrousser chemin. Ces vols provenaient des organisations de secours aux
sinistrés et d'autres pays.
L’armée américaine a prétendu que les
détournements d’avion sont le résultat de congestion à l’aéroport.
Mais, 40 pour cent de tous les atterrissages ont été militaire — un de
ces atterrissages étant l’avion Air Force Cargo qui a fait des vols en
cercle à chaque jour au-dessus du pays afin d’avertir les Haïtiens de ne
pas aller aux Etats-Unis.
La décision d’ordonner à des vols
transportant des docteurs, des infirmières et des vivres de rebrousser chemin a
sans doute eu comme conséquence des milliers de morts. Médecins sans frontières
a dit que, pendant la fin de semaine, cinq de ses vols n’ont pas eu la
permission d’atterrir à Haïti, mais furent plutôt détournés vers la
République dominicaine. Benoit Leduc, le chef des opérations de
l’organisation, a dit que les délais encourus ont coûté des
« centaines de vies ». La Croix-Rouge a aussi dit que ses avions
n’avaient pu atterrir pendant la fin de semaine.
Dans un communiqué de presse mardi,
Médecins sans frontière a dit que ses avions sont encore en train d’être
retournés. Un avion-cargo transportant 12 tonnes d’équipements, de
médicaments et d’équipements chirurgicaux a été retardé trois fois dans
la nuit de dimanche, selon le communiqué.
Les centaines de vols militaires qui ont
atterri n’ont fourni que peu d’aide. S’il y avait des preuves
que les soldats américains fournissent de l’aide, c’est certain que
les médias américains la télédiffuseraient de manière incessante. Des soldats
ont dit qu’ils n’avaient toujours pas quitté leurs navires de
guerre et leur base à l’aéroport. Ils « n’ont, pour la majeure
partie, pas été une présence significative dans les rues, » comme le New
York Times l’a dit de manière charitable.
Il y a eu une exception mardi matin,
lorsque les médias ont diffusé des images d’hélicoptères de l’armée
américaine atterrissant devant le palais national effondré, où des dizaines de
milliers d’Haïtiens ont attendu pendant près d’une semaine en ne
recevant pratiquement aucune aide. Les soldats ont distribué du matériel de
secours, mais ils ont aussi semblé construire un centre de commande, situé
symboliquement au même endroit que le siège du gouvernement haïtien.
L’ambassade américaine en Haïti
prétend qu’elle n’a pas été en mesure de livrer le matériel
nécessaire « pour des raisons de sécurité ». Il est donc sous-entendu
que les vies des travailleurs humanitaires sont mises en danger par des
Haïtiens « pilleurs ». En fait, il n’y a pas eu un seul cas
rapporté de travailleurs humanitaires attaqués par des Haïtiens. Comme le Wall
Street Journal de mardi l’a noté, « Les responsables américains
ont pointé du doigt les questions de sécurité pour le retard dans
l’approvisionnement en aide. Mais, une équipe de docteurs cubains a été
vue lundi en train de traiter des centaines de patients sans qu’il
n’y ait de fusil ou de soldat visible. »
Même si de tels dangers existent, cela ne
ferait que soulever la question de ce que l’armée américaine fait en Haïti
si ses milliers de soldats ne sont pas en train d’amener l’aide
humanitaire à la population ou de protéger ceux qui le font.
Étant donné les preuves de plus en plus
grandes qu’elle entrave les opérations de sauvetage, l’armée
américaine fut contrainte mardi de nier la nature évidente de sa mission en
Haïti. « Il y a eu des reportages dans les actualités selon lesquels les
Etats-Unis envahissent Haïti », a dit le colonel Kane de l’armée
américaine. « Nous n’envahissons pas Haïti. C’est ridicule. Il
s’agit d’aide humanitaire. »
Le colonel Kane a déclaré aux journalistes
à l’aéroport de Port-au-Prince « qui en est venu à ressembler à une
base militaire américaine, où des hélicoptères décollent et atterissent sans
cesse », selon le New York Times. Ce qui reste du gouvernement
haïtien doit se réunir dans un poste de police adjacent à l’aéroport.
La présence militaire internationale à
Haïti, sous direction des Etats-Unis, continue à gagner en importance. Les
soldats américains et internationaux ont maintenant l’autorité de
réprimer la population en vertu d’un décret du gouvernement haïtien
promulgué hier à la demande de la secrétaire d’Etat américaine Hillary
Clinton.
On s’attend à ce que les forces
américaines en Haïti même et au large du pays atteignent 11.000 personnes au
cours des prochains jours. Le Pentagone a dit que le 22e corps expéditionnaire
de la marine arrivera bientôt à l’ouest de Port-au-Prince.
Les soldats canadiens, au nombre
d’environ 2000, seront déployés dans les villes dévastées de Léogâne et
de Jacmel, près de l’épicentre du tremblement de terre au sud-ouest de
Port-au-Prince. Le Canada a envoyé deux navires de guerre auxquels se joindront
bientôt des navires de l’Italie, de l’Espagne et du Venezuela.
Le Conseil de sécurité des Nations unies
qui s’est réuni mardi dernier à New York a approuvé l’envoi de 3500
soldats et agents de police supplémentaires en Haïti. Avec ces nouvelles troupes,
l’ONU aura 10.500 dans ce pays.
Alors que plus de soldats sont dépêchés sur
les lieux, les efforts internationaux d’aide sont loin d’être
suffisants pour satisfaire aux besoins de nourriture, d’eau et de soins.
Ces efforts jusqu’à présent ont résulté en ce que seulement « une
petite fraction de l’aide promise a pu se rendre aux centaines de
milliers de Haïtiens qui en ont désespérément besoin » selon une
évaluation qu’a faite le Guardian de l’aide distribuée mardi
dernier.
La recherche pour des survivants dans les
décombres des immeubles qui se sont écroulés n’a sauvé que 90 personnes à
ce jour selon les chiffres de l’ONU. L’espoir diminue, mais deux
femmes ont été extirpées des décombres d’un immeuble de
l’université mardi dernier et les équipes de sauvetage ont pu détecter
des battements cardiaques au moyen d’équipements sophistiqués sous les
décombres d’une banque.
Malgré le fait que des experts affirment
que des victimes sont toujours en vie sous les ruines des villes d’Haïti,
l’armée américaine a dit qu’il était de mettre un terme aux
opérations de recherche et de sauvetage. « Nous nous attendons à passer
très bientôt de la phase de recherche à une phase de reconstruction », a
dit le général de la marine Daniel Allyn, l’adjoint au commandant des forces
américaines en Haïti.
Selon le Programme alimentaire mondial
(PAM), une agence de l’ONU basée à Rome, seulement 250.000 rations
alimentaires quotidiennes auraient été distribuées à ce jour, la moitié de ce
nombre par l’armée américaine. Le PAM a réussi a distribué environ 50.000
rations lundi passé, environ la moitié du nombre prévu. Les Etats-Unis ont
commencé mardi à parachuter de la nourriture et de l’eau. La première
semaine de la crise, le Pentagone a refusé de considérer cette méthode de
distribution en disant que cela finirait en émeutes.
Des journalistes ont rapporté des scènes
d’horreur et de peur à Port-au-Prince. Des dizaines de milliers de Haïtiens
quittent la capitale pour la campagne, soit à pied, soit en s’entassant
dans des autobus et des bateaux. Des camions servant habituellement à la
collecte des ordures viennent déposés des centaines de corps dans des fosses
communes.
A cause du manque d’antibiotiques et
d’autres médicaments, beaucoup d’amputations sont réalisées
d’une façon sommaire, souvent sans morphine ou autre antidouleur, dont on
manque partout. Des docteurs et des infirmières au comble du désespoir
continuent à demander des anesthésiants, des scalpels et des scies pour amputer
les membres écrasés, selon Associated Press. Un représentant de Médecins sans
frontières a dit que les chirurgiens de son hôpital de première ligne à Cité
Soleil ont été forcés d’acheter une scie au marché local pour pouvoir
réaliser des amputations après qu’un autre de ses avions s’est vu refuser
la permission par l’armée américaine d’atterrir à Port-au-Prince.
« C’était l’amputation ou
la mort », a dit à NBC le Dr Nancy Snyderman, travaillant pour
l’aide humanitaire. « Il y a beaucoup d’infections
secondaires. C’est la principale cause de mort actuellement. »
« Dans un pays où il est si difficile
de survivre en temps normal, cela devient presque impossible pour un amputé.
Cela soulève immédiatement la question de ce qui viendra ensuite », a
déclaré Snyderman. « On ne trouve pas de prothèses dans ce pays qui sera
bientôt un pays d’orphelins et d’amputés. »
« J’ai vu des bébés dont le
crâne était fendu comme un melon d’eau », a-t-elle continué.
« Les médecins ne pouvaient rien faire que de leur bander la tête, les
couvrir et les laisser mourir. »
L’indifférence de Washington devant
ces horreurs est palpable. Après avoir vu des chirurgiens stérilisés leur
équipement avec de la vodka, Bill Clinton, en tête des opérations de sauvetage,
a déclaré « C’est incroyable ce que les Haïtiens peuvent accomplir. »
Avant la visite de Clinton, l’hôpital
a été mis sous la protection de 100 parachutistes américains, a rapporté
l’Agence France-Presse. Les parachutistes refoulaient les foules désespérées
de Haïtiens aux portes de l’hôpital.
(Article original anglais paru le 20 janvier 2010)