En octobre dernier, les travailleurs ont organisé une puissante vague de
grève contre les coupes impopulaires du président Nicolas Sarkozy dans les
retraites. Ces coupes comprennent le report de 60 à 62 ans de l'âge légal de
départ en retraite et de 65 à 67 ans le départ en retraite sans décote. La
France a été paralysée par les occupations de secteurs stratégiques tels les
raffineries et les ports, ce qui a provoqué des pénuries de carburants dans
toute la France. L'opposition sociale aux coupes s'est propagée et un
sondage fait à ce moment a montré que 70 pour cent de la population
soutenait la poursuite des grèves.
Finalement ce mouvement a été étouffé par les syndicats qui étaient
hostiles à la grève contre des coupes sociales qu'ils avaient eux-mêmes aidé
à préparer avec Sarkozy. Ils ont isolé les grèves du secteur pétrolier et
n'ont pas essayé de mobiliser des couches plus larges de la classe ouvrière
contre la répression policière des travailleurs en grève. Mais des
reportages sur la grève d'octobre dans le secteur pétrolier apparaissent à
présent qui montrent que les représentants syndicaux ont directement aidé la
police à briser les occupations des raffineries de pétrole bloquées par les
travailleurs.
Le mouvement de grève s'est propagé à toutes les raffineries à partir du
12 octobre. Cette grève, ainsi que la grève des terminaux portuaires de
Fos-Lavéra près de Marseille ont forcé toutes les raffineries du pays à
complètement cesser la production, ce qui a entraîné des perturbations
massives de ravitaillement et la ruée sur les stations service dans toute la
France. En conséquence, plus d'un quart des stations service de France se
sont retrouvées à sec. C'est à ce moment, alors que le gouvernement Sarkozy
était confronté à une situation de crise, que les syndicats sont intervenus
pour aider la police à briser la grève de la raffinerie de Grandpuits.
Grandpuits est un site de raffinage de la compagnie pétrolière française
Total qui contrôle 6 des 12 raffineries de France. Le site qui produit 5,7
millions de tonnes de produits pétroliers raffinés par an, est essentiel à
l'approvisionnement de carburants de la capitale et des principaux aéroports
parisiens, Orly et Roissy-Charles de Gaulle.
Tandis que qu'une grève nationale contre les coupes dans les retraites
bloquait la production de carburants et paralysait l'économie française, le
gouvernement a donné l'ordre à la police de débloquer les occupations des
raffineries et de contraindre les travailleurs à reprendre le travail. La
police a aussi attaqué les dépôts de pétrole de Fos dans le sud de la France
et de Donges, Le Mans et La Rochelle.
Etant donné les difficultés d'approvisionnement des stations service,
notamment en région parisienne, les autorités locales de Seine-et-Marne
avaient ordonné la réquisition de la raffinerie de Grandpuits, forçant les
travailleurs à mettre fin à leur grève. L'ordre de réquisition disait: «La
continuation de la grève est de nature à entraîner des troubles graves à
l'ordre public (pénuries, émeute. » Cet ordre de réquisition menaçait les
travailleurs qui n'obtempèreraient pas de leur infliger une peine de prison
de six mois et une amende de 10 000 euros.
Tôt dans la matinée du 22 octobre, la police a été déployée pour
débloquer la raffinerie. Selon un reportage de l'AFP, « Quatre fourgons de
gendarmerie étaient arrivés vers 3 heures du matin et ont d'abord stationné
devant l'entrée de l'une des raffineries du site où les gendarmes ont
indiqué les noms des salariés réquisitionnés. »
Un délégué CGT (Confédération générale du travail) de Grandpuits contacté
par le WSWS a expliqué que les travailleurs de Grandpuits qui bloquaient
leur lieu de travail avaient été rejoints par d'autres travailleurs et des
particuliers résidant dans le voisinage. Ils formaient une chaîne humaine à
l'entrée de la raffinerie pour stopper les travailleurs réquisitionnés
d'entrer. Mais des échauffourées se sont produites tandis que la police
s'avançait pour dégager l'entrée et la police avait attaqué les travailleurs
sur le piquet de grève et avaient dégagé le site, faisant trois blessés
parmi les travailleurs.
Un représentant de la CGT a minimisé la gravité de l'attaque: « il y a eu
trois personnes qui ont reçu des coups. Ce n'était pas des coups volontaire.
Il y en a un qui est tombé par terre et une autre personne qui était déjà
par terre. » En fait le propre rapport du délégué de la CGT laisse
clairement entendre que la police avait chargé les grévistes délibérément.
Il a ajouté: « Il y a un gréviste qui a eu un arrêt de travaille de 10
jours et les deux grévistes hospitalisés sont vite sortis de l'hôpital. »
Une vidéo tournée le jour de l'intervention policière à Grandpuits montre
qu'en fait les syndicats ont étroitement travaillé avec la police pour
rouvrir le site et mettre fin au blocage. Peu après les heurts, les
syndicalistes ont appelé au calme et ont ensuite parlé avec la police,
disant qu'ils voulaient sécuriser le site et éviter tout incident. Les
travailleurs réquisitionnés se sont vus invités à reprendre le travail pour
le réapprovisionnement des carburants.
Une scène de la vidéo montre un porte-parole de la CGT disant aux
grévistes rassemblés: «Nous allons pratiquer, par l'intermédiaire d'un
représentant de la direction, à une réquisition des salariés afin
d'effectuer des manoevres qui permettront de remplir ,entre autres, des
camions-citernes. Ces salariés vont travailler sous la contrainte, ces
salariés vont travailler avec l'envie de faire la grève. »
Une autre scène de la même vidéo montre un représentant de la direction
de Total, entouré de représentants de la CGT, en train de lire le nom des
travailleurs réquisitionnés. La caméra montre ensuite les travailleurs
réquisitionnés qui se frayent un chemin à travers le piquet de grève tandis
que le représentant de la CGT demande aux grévistes de les laisser passer.
La vidéo montre des syndicats mettant en scène des protestations
inefficaces et cyniques. On voit les représentants CFDT et CGT de la
raffinerie déclarant que les droits démocratiques fondamentaux ont été
foulés aux pieds. Le dirigeant CGT-Total Charles Foulard appelle à une
minute de silence pour la mort de la démocratie, et sur l'air d'un chant
funèbre, un cercueil est solennellement emporté puis incinéré. La CGT
entonne la Marseillaise, l'hymne national français.
Cette politique a été adoptée par la direction nationale de la CGT tout
comme les délégués locaux. Après que la police a débloqué Grandpuits, la CGT
a publié un communiqué déclarant qu'elle n'organiserait que « des actions
symboliques » contre les actes de la police pour briser la grève et
l'occupation de Grandpuits.. Autrement dit, elle ne chercherait pas à
mobiliser la classe ouvrière pour défendre les travailleurs de Grandpuits.
C'est ce qui a permis à l'Etat de poursuivre sa politique contre les
travailleurs, dans le plus profond mépris de la loi et des droits
démocratiques fondamentaux. Les travailleurs ont porté plainte auprès des
tribunaux contre l'ordre de réquisition et les tribunaux ont donné raison
aux travailleurs. Le jour suivant les autorités locales ont à nouveau
ordonné la réquisition de la raffinerie.
Il apparaît clairement que les syndicats n'avaient aucune intention de
remettre en question les actions de la police pour briser la grève. Cela se
voit dans leur comportement non seulement à Grandpuits mais aussi à la
raffinerie de Fos où Sarkozy avait envoyé les CRS briser le blocage des
travailleurs une semaine auparavant. Le dépôt pétrolier de Fos est un site
stratégique pour entreposer les produits pétroliers près de Marseille, dans
le sud de la France. (voir Comment les CRS ont brisé l’occupation des dépôts
pétroliers à Fos)
L'isolement de la grève du dépôt pétrolier de Fos par les syndicats a
encouragé le gouvernement Sarkozy à étendre ses opérations pour briser la
grève et sa répression aux autres raffineries, tel Grandpuits.
Après avoir aidé l'Etat à briser les grèves et à réapprovisionner les
stations service, les syndicats ont conseillé la classe dirigeante sur la
manière de mettre fin à l'ensemble de la grève du secteur pétrolier.
Le Journal du Dimanche écrit: « Les syndicats ont d'ailleurs estimé que
les déblocages par la force faciliteront certes l'acheminement des
carburants vers les stations-service, mais ils ont également rappellé qu'un
retour à la normale dépendra, à terme, de la fin du mouvement de grève aux
terminaux pétroliers de Fos-Lavera et du Havre.»
Les syndicats n'ont rien obtenu pour les travailleurs en échange de la
trahison de leur grève, que ce soit au niveau national, les coupes de
Sarkozy, ou sur des lieux de travail particuliers tel Grandpuits. Quand le
WSWS a cherché à savoir sous quelle condition les syndicats avaient appelé
les travailleurs à reprendre le travail à Grandpuits, le représentant de la
CGT a répondu tout de go: «Il n'y a eu aucune condition, monsieur.
C'est-à-dire, à un moment donné tout mouvement doit s'arrêter. »