Lors d'interviews
effectués jeudi soir et vendredi matin, le fondateur de WikiLeaks Julian
Assange a affirmé que son organisation avait été renforcée après avoir essuyé
les attaques des autorités politiques suisses, britanniques et américaines et
que les publications dans Internet de télégrammes diplomatiques secrets des
États-Unis continueraient indéfiniment.
Assange a
fait ces déclarations dans les 24 heures suivant sa libération de la prison de
Wandsworth à Londres, une prison datant de l'époque victorienne où il a été
incarcéré durant neuf jours sur la base d'un mandat d'extradition de la Suède
où il fait face à de fausses accusations d'agression sexuelle.
S'adressant
à des journalistes jeudi soir à Londres, après avoir été libéré sous caution,
Assange a qualifié l'enquête de la Suède de « campagne de
diffamation ».
« C'est
ce qui arrive à quiconque est à la tête d'une organisation qui dévoile les
secrets des grandes puissances et qui fait face à une grande opposition :
il sera attaqué et chaque aspect de sa vie sera examiné de près », a-t-il
déclaré.
« Je
ne veux pas dire par là, car nous n’avons pas de preuve, que tout ceci a
été sciemment conçu pour attaquer l'organisation, mais, une fois que l'affaire
a été mise en branle, elle a été utilisée, très agressivement, pour attaquer
l'organisation. »
Il a
parlé du « sourire méprisant du secrétaire à la Défense Gates
lorsqu’il a appris mon arrestation, comme s'il venait de gagner quelque
chose... »
Assange a
affirmé ensuite : « L'une des choses qui nous inquiètent depuis que
je suis au Royaume-Uni est de savoir si les procédures d'extradition vers la
Suède, qui se déroulent de manière très étrange et inhabituelle, viseraient en
fait à me faire déplacer dans une juridiction où il serait ensuite plus facile
de m'extrader vers les États-Unis. »
S'adressant
à des journalistes au manoir de campagne dans le comté de Suffolk, où il est
quasiment assigné à domicile, Assange a commenté que des tentatives
d'extradition venant des États-Unis « sont de plus en plus sérieuses et
probables ».
Il a de
plus déclaré que les attaques prenaient d'autres formes. WikiLeaks fait face à
« ce qui semble être une enquête illégale… certaines personnes, que
l'on présume être affiliées à nous, ont été détenues, suivies, se sont vu
confisquer leurs ordinateurs, et ainsi de suite. » Il a dit que
l'organisation devait consacrer plus de 85 pour cent de son temps et de ses
ressources pour repousser les attaques technologiques et légales.
Les
appels publics aux États-Unis pour son arrestation et même son assassinat
étaient « très sérieux », a-t-il dit. « Les États-Unis ont
démontré récemment que leurs institutions ne semblent pas respecter la loi. Et
faire face à une superpuissance qui semble ne pas respecter la loi est quelque
chose qui doit être pris très au sérieux. »
Interviewé
à deux émissions de télé du matin aux États-Unis, le Today Show à NBC et Good
Morning America à ABC, Assange a défendu son innocence face aux accusations de
la Suède, indiquant que les autorités suédoises n'avaient jamais présenté de
preuve contre lui, ni au tribunal, ni à ses avocats suédois.
Il a
prévenu que le seul but des accusations était de fournir un prétexte à son
incarcération et à son extradition vers les États-Unis, où un jury d'accusation
l'a peut-être déjà inculpé sur la base de l'Espionage Act.
« Toute
cette foutue affaire est gardée secrète », a-t-il lancé au Today Show.
« Il doit y avoir quelque chose de malsain aux États-Unis pour qu'une
telle enquête contre moi, et en fait contre mon organisation… doive être
menée en secret. »
Il s'est
aussi dit inquiet du traitement réservé à Bradley Manning, le soldat de l'armée
des États-Unis qui est détenu par l'armée, car on le soupçonne d'être la source
d'au moins une partie du matériel dévoilé à WikiLeaks. (Voir, « Accused
WikiLeaks source Bradley Manning held in solitary confinement »)
Lorsque
l'intervieweur du réseau ABC, George Stephanopoulos, a fait référence à un
article publié dans le New York Times du vendredi, indiquant que le
gouvernement américain pourrait accuser Assange d'avoir conspiré avec Manning
pour obtenir des documents militaires et diplomatiques des États-Unis, Assange
a répondu, « Je n'avais jamais entendu le nom de Bradley Manning avant
qu'il ne soit publié dans les journaux. La technologie de WikiLeaks a été
conçue dès le départ pour assurer que nous ne connaissions jamais l'identité ou
le nom de la personne qui nous soumet du matériel. » C'était la seule
façon de garantir à nos sources qu'elles allaient être protégées, a-t-il
ajouté.
Lorsque
Stephanopoulos lui demanda si les accusations en Suède étaient le résultat d'un
coup monté, Assange répondit : « J'ai appris que des textos
entre les deux femmes qui auraient été interceptés confirmeraient que
c’est un coup monté, mais la police suédoise a refusé de les rendre
publics. » Questionné s'il avait eu une relation sexuelle avec les deux
femmes sans leur consentement, il a répondu : « Absolument
pas. »
Lors des
deux émissions de télé américaines, quand les intervieweurs ont suggéré que les
documents révélés par WikiLeaks mettaient en danger la vie de diplomates ou
« sabotaient la paix », Assange a répondit en brandissant l'édition
du vendredi de Guardian, le quotidien britannique ayant eu accès à la
totalité des précieux télégrammes diplomatiques, et en lisant l'article à la
une du journal sur le recours systématique à la torture par les forces
indiennes au Cachemire.
Ce type
de révélation allait se poursuivre indéfiniment, a-t-il indiqué, rappelant à
ABC que seulement 2000 des 250.000 télégrammes secrets avaient été rendus
publics sur le site de WikiLeaks.
À une
audience du Congrès jeudi à Washington, une demi-douzaine de juristes et
d'avocats du domaine des libertés civiles ont affirmé qu'accuser Assange
d'après l'Espionage Act était peu probable, car aucun jury n'a condamné, selon
les clauses de cette loi, de journaliste ou autre personne qui auraient obtenu
des informations secrètes.
Le
congressiste John Conyers, président sortant de la commission des affaires
judiciaires de la Chambre, qui avait convoqué l'audience, a indiqué que le
prochain Congrès allait certainement réviser l'Espionage Act, laissant entendre
qu'une intervention du législatif pour fournir une nouvelle base légale dans
l'objectif de criminaliser WikiLeaks était probable.
Le même
jour, lors d'une conférence de presse dans la capitale américaine, Daniel
Ellsberg, qui avait dévoilé les papiers du Pentagone au New York Times
en 1971, s'est porté à la défense d'Assange et de Bradley Manning. Ellsberg,
qui a maintenant 79 ans, a parlé de Manning comme d'un « frère » qui,
s'il a vraiment fourni les documents à WikiLeaks, a agi de façon « très
admirable ».
Il a
déclaré que les actions de Manning et d'Assange ne justifiaient pas plus la
poursuite de ces derniers que celles du Times lorsqu'il avait publié les
papiers du Pentagone ou du Washington Post en révélant la conspiration
du Watergate.
(Article
original anglais paru le 18 décembre 2010)