La
victoire du Parti socialiste (PS) aux élections régionales de mars
dernier est largement considérée comme la préparation à un
retour potentiel au pouvoir national, peut-être à la
présidentielle de 2012. Selon un sondage Ifop publié le 28 mars,
la cote de popularité du président conservateur Nicolas Sarkozy
est de 30 pour cent, soit au plus bas depuis son élection en 2007.
Un sondage du 22 mars suggérait que 58 pour cent des Français
préfèreraient que Sarkozy ne se présente pas pour un second
mandat en 2012.
La
difficulté confrontant le PS est que, alors que les électeurs lui
ont apporté son soutien principalement pour exprimer leur hostilité
envers la politique d'austérité de Sarkozy, le programme du PS
n'est pas foncièrement différent de celui de Sarkozy. On voit ceci
non seulement au bilan bien connu d'austérité sociale et de déclin
industriel accumulés par les gouvernements PS du président
François Mitterrand (1981-1995) et du premier ministre Lionel
Jospin (1997-2002), mais aussi par les homologues sociaux-démocrates
actuels du PS en Grèce, au Portugal et en Espagne. En réponse à
la crise grecque de l'endettement, ils procèdent à des coupes
draconiennes dans les dépenses publiques afin de satisfaire les
banques et les marchés financiers.
La
tâche cynique de présenter cette politique sous le meilleur jour
possible a incombé à Manuel Valls, député PS et maire de la
ville d'Evry en banlieue parisienne, dans une récente interview de
première page au Monde
intitulée
« il
faut rompre 'avec la magie du verbe.' »
Valls
y explique, « la
gauche devra proposer une autre façon de faire de la politique, »
appelant le PS à «rompre
avec la tentation de l'incantation et à proposer
une alternative crédible. »C'est
à dire que le PS doit prôner l'austérité sociale afin d'éviter
de stimuler des attentes dangereuses dans la classe ouvrière et de
contrarier les marchés financiers.
Valls
a appelé à des réductions des retraites et a laissé entendre la
possibilité de la privatisation du système de retraite: «Le
rôle de la gauche n'est pas de nier les changements démographiques,
ni de cacher l'ampleur des déficits...la gauche peut défendre une
retraite à la carte et l'allongement de la durée de cotisation . »
Cette année, Sarkozy
négocie les réductions des retraites avec les syndicats, incluant
l'allongement au-delà de 41 ans de la période de cotisation et
repoussant au-delà de 60 ans l'âge de départ à la retraite.
Durant la campagne des régionales, des ténors du PS, dont la
première secrétaire Martine Aubry, ont aussi appelé à allonger
de deux ans, soit à 62 ans, l'âge de départ à la retraite.
Dans
ce contexte, Valls a immédiatement appelé à un « un
pacte national »sur
les retraites, comprenant les syndicats, les groupes de patrons
« mais
aussi avec la majorité, »
c'est à dire l'Union pour un mouvement populaire (UMP) de Sarkozy.
Au début du mois de
février, le gouvernement Sarkozy avait présenté son programme de
stabilité pour 2010-2013 à la commission européenne. Il prévoit
une réduction du déficit public qui passerait de 8,2 pour cent à
3 pour cent du PIB d'ici 2013, entraînant une réduction des
dépenses publiques de l'ordre de 100 milliards d'euros.
Valls
a soutenu sans réserve une telle politique. Le
Monde lui
a demandé: «L'ampleur
des déficits ne prive-t-elle pas le politique de toute marge de
manouvre ?»
Valls a répondu que les déficits «obliger[ont]
tous les prochains gouvernements à la responsabilité et à la
rigueur. »
Il
a aussi attaqué la loi dite des 35 heures, introduite par Aubry
lorsqu'elle était ministre du gouvernement de gauche plurielle
conduite par le PS (1997-2002), loi maintenant abrogée par Sarkozy.
Valls l'a critiquée du fait que les 35 heures « ont endommagé
notre compétitivité. » Il a appelé à un système de
« flex-sécurité » c'est à dire un système social à
la danoise où il est plus facile de licencier les travailleurs et
de
les placer sous allocations chômage.
Politicien
d'origine espagnole, Valls a salué de par la droite le patriotisme:
«Né
étranger, je suis fier d'être devenu français et je reste
toujours ému quand on chante la Marseillaise. »Dans
la même ligne que les politiciens UMP, et jusque récemment la
ligne
de l'ensemble du PS qui a pleinement participé à la commission
anti-burqa mise en place par Sarkozy l'année dernière, Valls est
en faveur de l'interdiction réactionnaire de la burqa dans tous les
lieux publics.
Valls
est connu pour être une personnalité comme Blair [premier ministre
britannique du New Labour de 1997 à 2007] au sein du PS, cherchant
à créer une justification ouvertement pro-marché et droitière
pour la politique du PS. Durant l'élection présidentielle de 2007,
où il était un proche allié de la candidate PS Ségolène Royal,
Valls a dit: « Nous
pouvons faire un bout de chemin avec la majorité, à condition
qu'elle nous entende, sur des sujets qui peuvent faire consensus.
Je pense aux moyens qu'il faut donner à la justice, à la
lutte contre la criminalité ou encore au dossier de
l'immigration. »
Se faisant l'écho à la fois de Sarkozy et de Royal, il a dit que
le PS devrait exprimer son opposition à «une
société de l'assistanat. »
Lorsqu'en
juin dernier il a annoncé sa candidature pour la primaire PS de
l'élection présidentielle de 2012, Valls a proposé que le PS
cesse de s'appeler « socialiste ». Il a dit, «Il
faut transformer de fond en comble le fonctionnement du PS, nous
dépasser, tout changer : le nom, parce que le mot socialisme est
sans doute dépassé; il renvoie à des conceptions du 19e siècle. »
Alors
qu'un tel changement de nom aurait été une reconnaissance franche
du caractère droitier, anti ouvrier du PS, il n'a pas été adopté
principalement de peur d'exposer au grand jour le PS devant les
électeurs ayant des sympathies socialistes. Ainsi dans cette
récente interview, Le
Monde
s'est inquiété: « Candidat
aux primaires, ne risquez vous pas d'apparaître comme le marginal
qui incarne l'aile droite ?»
Valls
a répondu: «Je
n'ai pas à démontrer mon engagement à gauche. Ce qui est en jeu
c'est notre crédibilité et notre capacité à gouverner dans des
temps difficiles. C'est le sens de ma candidature. »
Une telle déclaration est
une révélation dévastatrice de l'état de décrépitude de ce qui
passe pour « la gauche » ou « l'extrême-gauche »
en France. Valls a raison de penser que le PS sera en mesure de
procéder à diverses tergiversations verbales en cherchant à
revenir au pouvoir, sans jamais être inquiété à sa gauche par
aucune force établie de la politique française.
Ni les
diatribes droitières de la part des ténors du PS, ni le bilan du
PS n'ébranleront l'insistance de forces telles le Parti communiste
français (PCF) et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) que le PS
fait partie de la « gauche. » S'ils parlaient avec
franchise, ils diraient qu'ils partagent l'opinion de Valls selon
laquelle le socialisme révolutionnaire et la lutte politique de la
classe ouvrière sont dangereuses et doivent à tout prix être
relégués au passé.
A
leur place, Valls met en avant l'individualisme petit-bourgeois dans
son interview au Monde:
«Le
nouvel espoir que doit porter la gauche, c'est celui de
l'autoréalisation individuelle : permettre à chacun de devenir ce
qu'il est. »
Voilà ce que propose la
« gauche » française et en fait européenne: En
contrepartie de l'abandon des retraites et des emplois, chacun
recevra l'extraordinaire privilège de devenir ce qu'il est. On
n'est qu'à deux doigts de déclarer que, quoi qu'il arrive aux
travailleurs, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.