Un
sommet de deux jours à Bruxelles s'est terminé hier avec
l'annonce de projets d'un plan d'aide nécessaire pour la
Grèce et de sanctions plus dures à l'encontre des pays de la
zone euro dont les déficits dépassent les critères européens. La
réunion a été l'aboutissement de semaines de tensions entre les
principales puissances européennes quant à savoir comment faire
face à la crise de la dette grecque.
Le
plan a été adopté jeudi soir très tard. Il contient mot pour mot
une déclaration rédigée quelques heures plus tôt par la
chancelière allemande Angela Merkel et le président français,
Nicolas Sarkozy. Elle stipule que le Fonds monétaire
international (FMI) et les pays de la zone euro pourraient ensemble
renflouer la Grèce si la Grèce adoptait des mesures d'austérité
draconiennes.
Le
plan a laissé un maximum d'ambiguïté quant
à l'aide mise à la disposition de la Grèce de façon à
permettre au premier ministre grec Giorgios Papandreou de continuer
à avancer des pressions financières pour justifier une réduction
des salaires, des emplois et de la retraite. Des rapports ont
toutefois fait état d'évaluations indiquant une aide potentielle
de la Grèce allant de 22 et 30 milliards d'euros, dont deux tiers
proviendraient de la zone euro. Les pays de la zone euro y
contribueraient au pro rata de leur capital respectif acquis à la
Banque centrale européenne (BCE) qui émet la monnaie commune.
Les
seize pays de la zone euro doivent
accepter unanimement le sauvetage pour qu'il puisse avoir lieu.
Ceci accorde effectivement à Berlin, qui avait vigoureusement
rejeté tout projet européen de sauvetage, un pouvoir de veto sur
toute proposition d'aide. La déclaration du sommet a ajouté que
le « mécanisme de sauvetage doit être considéré comme
ultima ratio » c'est-à-dire en dernier recours pour éviter
une faillite de la Grèce.
Le plan
n'a pas spécifié les taux d'intérêt
auxquels les pays de la zone euro accorderaient leur prêt, mais a
précisé qu'ils seraient « non-concessionnels, ne
conten[ant] aucun élément de subvention » -- c'est-à-dire
à des taux plus élevés que ceux prélevés par le FMI. La Grèce
devra refinancer 23 milliards d'euros de dette en avril et mai,
provoquant des craintes d'une nouvelle crise de liquidité. Elle
paie actuellement des taux d'intérêt extrêmement élevés -
de l'ordre de 7 pour cent, en gros le double du taux payé par
l'Allemagne.
Dans le
but de stimuler les profits des banques et
d'apaiser les craintes d'une défaillance de la Grèce sur les
marchés financiers, la BCE a abaissé le seuil d'acceptation des
obligations prises comme collatéral (garantie) pour des prêts.
Ceci augmentera la volonté des banques privées de prêter à la
Grèce étant donné qu'elles peuvent à présent obtenir des
liquidités de la BCE en échange d'obligations notées BBB-, y
compris des obligations grecques notées BBB+. Les banques feront
des profits énormes correspondant à la différence entre les taux
élevés que leur verse le gouvernement grec et leur propre paiement
à la BCE dont le taux d'intérêt est actuellement de seulement 1
pour cent.
Dans un
communiqué publié à la fin du sommet, les dirigeants de l'UE
ont proposé de mettre en place une force
opérationnelle pour assurer « une meilleure discipline
budgétaire. » Le Pacte de Stabilité et de Croissance de la
zone euro appelle à la limitation des déficits budgétaires à 3
pour cent du Produit intérieur brut (PIB). Le pacte prévoit que
des amendes et des pénalités soient infligées contre les pays ne
respectant pas ces conditions, mais de manière typique, ces
sanctions ne sont pas appliquées. La Grèce a violé six fois les
critères et le Portugal, la France et l'Allemagne les ont violé
cinq fois chacun.
« C'est
tout simplement un fait que [.] la gestion des procédures de
déficit n'est actuellement pas suffisamment régulée, » a
dit la chancelière allemande Merkel lors de la conférence de
presse. Elle a réclamé des modifications du traité communautaire
en réponse aux problèmes budgétaires de la zone euro.
Le FMI
est une institution qui aide surtout les pays
endettés du Tiers Monde en réclamant des coupes massives du budget
et des salaires. Il n'est pas intervenu en Europe de l'Ouest
depuis les années 1970. Son intervention en Grèce est un
avertissement cinglant quant au caractère des projets que prévoit
la bourgeoisie. Le FMI a financé le renflouement d'un nombre de
pays d'Europe de l'Est, dont la Hongrie, la Roumanie, l'Ukraine
et la Lettonie après que le resserrement du crédit en 2008 a
déclenché la faillite de Lehman Brothers. Cela donne une idée du
genre de mesures qui sont envisagées pour la Grèce et le reste de
l'Europe.
Lors
d'un point presse le mois dernier à
Bloomberg News, l'analyste chez S&P, Frank Gill, a révélé
quelles étaient les conséquences de l'intervention du FMI en
Lettonie. Avec des réductions de salaire énormes de 45 pour cent
dans le secteur public et de 5 à 30 pour cent dans le secteur
privé, « les niveaux des salaires sont une fois de plus très
compétitifs. » De plus, l'économie de la Lettonie a
souffert d'une baisse de 19 pour cent et le taux chômage a
atteint 22,8 pour cent en décembre, soit le plus élevé de la zone
euro.
Les
conditions de pauvreté imposées aux travailleurs lettons empêchent
toute amélioration de l'économie ou des finances publiques, a
remarqué Gill : « Ce qui fait défaut c'est la
création d'emplois. Seule la création d'emplois procurera un
fondement à l'économie. En attendant, il ne fait pas de toute,
la baisse des salaires et la hausse du chômage pèseront lourd sur
les finances publiques. » Gill s'attend à ce que l'économie
lettone se contracte à nouveau en 2010.
Quant
aux gouvernements de la zone euro, ils ont signalé
leur soutien unanime à l'imposition de conditions identiques en
Grèce - tout en exigeant des taux d'intérêts plus élevés
pour leurs prêts. La presse bourgeoise a largement loué
l'intervention du FMI comme un moyen de renforcer l'offensive du
gouvernement contre la classe ouvrière.
Ainsi,
Le Monde a
salué l'implication du FMI comme « un soulagement, non
seulement financier, mais aussi 'psychologique'. L'UE n'a
pas l'habitude d'affronter l'impopularité des thérapies de
choc et pourrait céder aux manifestations de rues à Athènes. Le
Fonds, au contraire, n'aura pas peur de jouer de sa réputation de
'grand méchant loup'
pour aider le gouvernement grec à imposer des sacrifices à sa
population. »
De tels
projets sont une mise en accusation
accablante du caractère sclérotique du capitalisme européen et de
la façade pseudo-démocratique que son régime politique confère à
la dictature des banques. Ces projets intensifient également les
divisions nationales au sein de l'Europe.
D'autres
pays européens, notamment ceux dont la position financière
est plus faible, ont essayé d'adopter une attitude accommodante.
La ministre espagnole de l'Economie et des Finances, Elena
Salgado, a affirmé que l'Espagne serait prête à fournir 2
milliards d'euros - sa part d'aide - à la Grèce. La valeur
actuelle de cette promesse n'est pas claire, toutefois, étant
donné que les quinze autres membres de la zone euro n'ont pas
décidé d'engager une aide.
Dans
une interview accordée le 15 mars au Financial
Times, la ministre française de
l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Christine Lagarde,
a critiqué la politique économique allemande : « Il est
clair que l'Allemagne a accompli un extrêmement bon travail au
cours des dix dernières années environ, améliorant la
compétitivité. Si vous considérez le coût par unité de la main
d'ouvre, ils ont fait un travail énorme à cet égard. Je ne
suis pas sûre que ce soit un modèle viable à long terme et pour
l'ensemble du groupe [de la zone euro]. »
Un
accueil hostile a toutefois été réservé à de tels commentaires.
La bourgeoisie allemande n'a nullement l'intention d'augmenter
les salaires ou de permettre à ses concurrents de reprendre des
parts de marché. Alexander Dobrindt, le secrétaire
général de l'Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU) a
qualifié les commentaires de Lagarde de « déclarations
indignes » et de « comportement d'un mauvais
perdant. »
Dans
une interview au magazine allemand Der
Spiegel, Thomas Mayer, économiste de
la Deutsche Bank a dit, « Nous ne pouvons pas nous excuser
pour la capacité de nos industries à faire face à la concurrence
internationale, » en ajoutant que l'Allemagne « ne
peut pas appliquer artificiellement des freins à la
compétitivité. »
Toutefois,
il a admis que ceci était aussi un dilemme économique pour
l'industrie allemande une fois que les autres pays européens
commencent à réduire leurs déficits : « C'est
inévitable que nos voisins nous achèteront moins parce qu'ils
manqueront d'argent. »
Berlin
refuse de céder les avantages qui ont contribué à en
faire l'une des premières puissances exportatrices du monde :
une considérable main d'ouvre à bas salaire contrôlée par une
législation sociale telle les lois Hartz IV, et des marchés
d'exportation au sein de l'Europe utilisant leur propre monnaie
forte, l'euro.
Le
journal britannique Daily Telegraph a
rapporté dernièrement que l'on s'attend à ce que l'excédent
commercial allemand atteigne 190 milliards de dollars cette année.
Citant les chiffres de l'UE, le Telegraph
a estimé que: « L'Allemagne
a gagné quelques 30 à 40 pour cent en avantage de coûts par
rapport à l'Italie et à l'Espagne depuis le milieu des années
1990 et plus de 20 pour cent par rapport à la France. »
Rétablir à nouveau
l'équilibre économique de l'Europe sur la base de la
concurrence et des entreprises privées implique une réduction
draconienne des salaires et des niveaux de vie, en plongeant
l'économie dans une dépression.
Une
proposition identique, quoique
superficiellement différente, a été faite par quatre professeurs
-- Wilhelm Hankel, Wilhelm Nölling, Karl Albrecht Schachtschneider
et Joachim Starbatty - dont les commentaires parus le 25 mars dans
le Financial Times ont
appelé à la suppression de l'euro.
Ils ont
remarqué que pour un retour à la compétitivité, « Les
Grecs auraient besoin d'une dévaluation
de 40 pour cent. Mais dans une union monétaire, c'est
impossible. » Ils ont appelé la Grèce à « abandonner
l'euro » et « à revenir à la drachme, »
l'ancienne monnaie nationale de la Grèce. La valeur de la drachme
plongerait en rendant les exportations de la Grèce plus
compétitives et en appauvrissant les travailleurs du fait de
l'inflation par les coûts des produits importés.
Redoutant
que le déficit des dépenses publiques
impliqué dans un renflouement grec n'entraîne une inflation, ils
ont émis la menace que : « Si les gouvernements de la
zone euro venaient à fournir une aide à la Grèce de manière à
enfreindre la clause de no bail-out
(clause de non-renflouement) » -- à savoir, un jugement de
1993 de la cour constitutionnelle allemande prescrivant que
l'Allemagne ne participera à l'union monétaire que si elle
respecte les directives de lutte contre l'inflation - « nous
n'hésiterions pas à engager un nouveau procès auprès de la
cour constitutionnelle pour enjoindre l'Allemagne à quitter
l'union monétaire. »