Le sommet franco-italien du 9 avril à Paris entre le premier ministre
italien Silvio Berlusconi et le président français Nicolas Sarkozy a permis
aux deux chefs d’Etat de signer une série d’accords industriels et
militaires et de faire des déclarations communes sur la crise politique en
Europe. Les deux chefs de gouvernement ont plaidé en faveur d’une aide pour
la Grèce et ont mis en garde contre des démarches visant au développement
d’un axe germano-russe.
On a conclu à ce sommet un accord de grande envergure sur l’énergie
nucléaire. Le groupe de l’énergie nucléaire français Areva a signé un accord
avec la firme italienne Ansaldo Nucleare (filiale du groupe industriel
italien Finmeccanica) dans l’ingénierie nucléaire et la fabrication de
composants de réacteur de conception française. Areva et le gouvernement
français ont également accepté de former des techniciens nucléaires
italiens. L’entreprise publique EDF (Electricité de France) et le groupe
d’énergie italien ENEL ont créé une entreprise commune pour construire, à
partir de 2013, quatre centrales nucléaires.
L’Italie n’a pas eu recours à l’énergie nucléaire depuis la catastrophe
nucléaire de Tchernobyl en 1986. Le quotidien italien La Repubblica a
remarqué que Berlusconi « a reconnu le besoin de convaincre la population
quant à la sécurité des futures centrales nucléaires. »
L’Italie importe 80 pour cent de ses besoins énergétiques, y compris une
importante quantité d’électricité provenant des 58 centrales nucléaires
françaises. Berlusconi espère améliorer la compétitivité en produisant de
l’énergie moins chère dans le pays. Il a assuré que les accords
permettraient à l’Italie d’« économiser plusieurs années » de recherche dans
le domaine de l’expertise technologique de la conception nucléaire. Rome
vise à produire 25 pour cent de ses besoins en énergie nucléaire d’ici 2030
et de réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz importés de
Russie ou du Moyen-Orient.
Pour Paris, c’était l’occasion de commercialiser l’industrie française de
l’énergie nucléaire après avoir perdu aux Emirats arabes unis un contrat
d’une valeur de 20 milliards de dollars au profit de la compagnie
sud-coréenne publique d’électricité Kepco.
Le constructeur automobile français Renault a signé un accord avec ENEL
pour la construction de bornes pour recharger les véhicules électriques.
ENEL avait signé en 2008 un accord avec la firme allemande Daimler qui
élabore actuellement un projet d’alliance stratégique avec Renault-Nissan
pour l’installation de 400 bornes de recharge électrique de batteries de
véhicules électriques à Rome, Milan et Pise. Renault projette de
commercialiser les véhicules électriques en Europe à partir de la fin de
cette année.
L’entreprise nationale française de chemins de fer SNCF a accepté
d’ouvrir son réseau ferroviaire à la concurrence de l’entreprise ferroviaire
publique d’Italie, Ferrovie dello Stato. La SNCF avait suscité des
inquiétudes en Italie en acquérant une part du capital de l’opérateur privé
italien NTV qui achetait son matériel roulant au groupe industriel français
Alstom.
Le sommet a aussi permis à la France et à l’Italie de faire pression pour
un sauvetage de la Grèce endettée et auquel l’Allemagne s’est jusque-là
fortement opposée. Une démarche ayant lieu alors que monte l’inquiétude au
sujet d’une défaillance de l’Etat grec et que la hausse des taux d’intérêt
sur la dette grecque vient de passer à 7,5 pour cent, soit plus du double du
taux payé par l’Allemagne.
Le 8 avril, les valeurs de plusieurs banques françaises, fortement
exposées à la dette grecque et ayant leurs propres filiales en Grèce, ont
chuté à la Bourse de Paris. Le gouverneur de la Banque de France, Christian
Noyer, a affirmé que les autorités françaises n’avaient « pas d’inquiétude
particulière, » mais, étant donné que les banques françaises étaient
exposées à hauteur de quelque 50 milliards d’euros à la dette publique
grecque, elles surveillaient « de près » la situation.
Lors de la conférence de presse tenue après le sommet, Sarkozy et
Berlusconi ont appelé à un plan d’aide à la Grèce conformément aux projets
approuvés lors du sommet de l’UE le 25-26 mars à Bruxelles. Berlusconi a
dit, « Nous sommes parfaitement d’accord sur l’appartenance de la Grèce à la
zone euro et sur la nécessité de donner tout notre soutien, sinon il y aura
des conséquences bien négatives sur notre monnaie. »
Sarkozy a dit, qu’« un plan de soutien [avait] été approuvé par
l’ensemble des Etats de la zone euro. Nous sommes prêts à l’activer à tout
moment pour venir en aide à la Grèce. » Il a insisté pour dire : « Il
appartient à la Grèce et aux Etats de la zone euro […] de décider si les
conditions sont réunies pour l’activer. » Il ajouta : « Chaque fois que
l’Europe a été confrontée à une crise – la crise financière, la crise
hongroise, la crise lettone – à chaque fois l’Europe a su réagir en temps et
en heure. Que personne ne doute qu’il en sera de même s’agissant de la
Grèce. »
Les commentaires de Sarkozy survenaient au moment où plusieurs
responsables européens avaient insisté pour un plan d’aide à la Grèce. Le 8
avril, lors d’une conférence de presse, le président de la Banque centrale
européenne, Jean-Claude Trichet avait dit : « Un défaut de paiement de la
Grèce est hors de question. »
Dans un entretien commun accordé le 9 avril à de grands journaux
européens, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, De Standaard,
El Pais, et Le Monde, le président du Conseil européen, Herman
van Rompuy, avait réclamé un plan d’aide et avait précisé n’avoir « pas à
demander l’autorisation de qui que ce soit. »
Dans une interview accordée le 8 avril au Figaro, le ministre
italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, avait exposé les vues de
son gouvernement sur l’ordre du jour du sommet. A la question de savoir si
la Grèce figurerait à l’ordre du jour de la réunion, Frattini avait
répondu : « Nous devons proclamer que notre appui sera total, non seulement
au plan politique, mais aussi économique. Si nous abandonnions la Grèce à
son sort, les marchés pourraient en déduire que d’autres pays pourraient
l’être à leur tour. Cela fragiliserait la zone euro. »
Frattini ne l’a pas dit, mais l’Italie est elle-même préoccupée par ses
dettes. C’est l’un des pays qui a la dette la plus élevée de la zone euro,
s’élevant à 116 pour cent du PIB. Elle a eu des difficultés à concurrencer
les importations allemandes vu que les deux pays partagent la même monnaie.
En 2005, après l’échec du referendum sur la constitution européenne, le
ministre italien des Affaires sociales, Roberto Maroni, avait réclamé que
l’Italie abandonne l’euro pour retourner à la Lire.
Frattini et Le Figaro ont évoqué les tensions stratégiques
montantes en Europe, notamment la gestion de la guerre en Géorgie en 2008 –
où le gouvernement géorgien du président Mikhail Saakashvili, soutenu par
les Etats-Unis, avait attaqué les troupes russes en Ossétie du Sud – et les
craintes que l’Allemagne pourrait développer une relation étroite avec la
Russie.
A la question de savoir s’il partageait l’avis des analystes qui voyaient
« l’Allemagne prendre ses distances vis-à-vis de Paris, » Frattini a
répondu : « Franchement, non. Ce ne serait d’ailleurs pas dans son intérêt.
Au contraire, l’Allemagne, comme l’Italie et la France, a intérêt à tout
faire pour rapprocher la Russie de l’Europe. Cela s’est déjà vérifié dans
des crises comme celle de la Géorgie où Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy
ont travaillé main dans la main. La France et l’Italie sont ainsi d’accord
pour maintenir le conseil OTAN-Russie qui a donné de très bons résultats. »
Au sommet de Paris l’Italie et la France ont annoncé des projets
d’intensification de la coopération miliaire comme la création d’une brigade
alpine commune. L’Elysée l’a décrite comme un « état-major intégré » capable
de « planifier et d’exécuter des opérations dans des régions montagneuses
« […] notamment en Afghanistan. » Des articles de presse ont suggéré qu’elle
serait basée sur le modèle de la brigade franco-allemande qui compte 5.000
hommes.
L’Italie et la France coopèrent déjà dans le développement d’un bâtiment
de guerre de surface de la prochaine génération, le soi-disant FREMM
(Frégate européenne multi-missions) dont la mise en service est prévue pour
2012. Les deux pays ont également signé un accord pour développer des
pétroliers pour le ravitaillement en carburant les vaisseaux de la marine.
Des projets destinés à intensifier la participation franco-italienne à
l’occupation de l’Afghanistan renforcerait leur collaboration avec
l’impérialisme américain et britannique en dépit de la forte impopularité de
l’occupation de l’OTAN, à la fois en Afghanistan et dans les pays de l’OTAN
mêmes. Le gouvernement néerlandais était tombé en février sur la question de
ses négociations secrètes pour maintenir ses troupes en Afghanistan au-delà
de la date fixée de fin 2010.
Un Livre vert publié le 7 avril par le ministère britannique de la
Défense avait réclamé une coopération miliaire plus étroite entre la
Grande-Bretagne et les autres pays de l’Union européenne. Il remarquait que
« Le retour de la France dans les structures intégrées de l’OTAN [en 2009]
permet de multiplier dans toute une série d’activités de défense les
occasions de coopération militaire avec un partenaire clé. »
Bastian Giegerich, un spécialiste de la défense européenne à l’IISS
(Institut international d’études stratégiques) à Londres a déclaré au
Figaro : « Le Royaume-Uni et la France sont les deux pays en Europe qui
investissent le plus dans la défense en pourcentage de leur PIB, et ils sont
les seuls à avoir une capacité d’intervention stratégique dans le monde. Ces
deux pays sont les mieux placés pour tirer parti d’une meilleure coopération
militaire en Europe et de la mise en place de programmes d’armement
communs. »