Lors
du conseil des ministres du 21 avril, le président Nicolas Sarkozy
a annoncé qu'un projet de loi interdisant le port de la burqa ou du
niqab en public serait soumis au conseil des ministres en mai. Ce
projet de loi est une attaque flagrante contre les droits
démocratiques et une démarche conduisant la France vers un régime
sortant de la légalité.
Le
premier ministre François Fillon a déclaré que le gouvernement
entamerait une procédure d'urgence pour faire passer cette
législationmême
si une telle loi pouvait s'avérer inconstitutionnelle et
contrevenir à la Convention européenne des droits de l'Homme. « On
est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons
que l'enjeu en vaut la chandelle, »a-t-il dit avant d'ajouter
« On ne peut pas s'embarrasser de prudence par rapport
à une législation qui n'est pas adaptée à la société
d'aujourd'hui... S'il
faut faire évoluer la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
celle de la Cour européenne des droits de l'homme pour faire face
à une nouvelle question qui ne se posait pas il y a 20 ans, nous,
nous pensons que c'est notre responsabilité politique de le
faire. »
Le
30 mars, le Conseil constitutionnel, la plus haute cour
administrative du pays, s'est prononcé contre une législation
interdisant la burqa. Le magazine Le
Point a écrit que cette cour dont
les décisions ont valeur de conseil pour le gouvernement « a
estimé dans son rapport qu'une loi contre le port du voile intégral
"ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable" et
a précisé : "Une interdiction générale du port du voile
intégral en tant que telle, ou de tout mode de dissimulation du
visage dans l'ensemble de l'espace public, serait exposée à de
sérieux risques", à la fois "au regard de la
Constitution" et "de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales". »
Le
Conseil constitutionnel affiche ici son adhésion aux dispositions
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme
dans l'article 9 intitulé « Liberté de pensée, de
conscience et de religion. »Il dit, «Toute personne a droit à
la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi
que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le
culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des
rites. »
Les
déclarations de Fillon signifient que le gouvernement français ne
se considère plus être tenu par la législation existante. Au
contraire, ce gouvernement attise une atmosphère politique
droitière où les musulmans peuvent être politiquement pris pour
cibles et où toute personne, dont les opinions sont considérées
comme indésirables par l'establishment
politique, peut être effectivement mise hors la loi.
Ainsi,
le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux a accuséun musulman nommé Liès Hebbadj de
supposées polygamie et appartenance à un groupe islamique radical,
après que sa femme avait fait une conférence de presse pour
protester contre une amende de 22 euros qui lui avait été infligée
pour avoir pris le volant vêtue du niqab. Mais le procureur de
Nantes a confirmé au quotidien Le
Monde que bien que la polygamie
soit un délit en France, l'unique charge pesant sur la famille
d'Hebbadj est l'amende pour infraction au code de la route.
Que les
déclarations d'Hortefeux soient vraies ou fausses, il s'agit
clairement d'une campagne menée par le gouvernement pour cibler
politiquement et intimider les musulmans en France.
Les
déclarations selon lesquelles le gouvernement impose cette
législation du fait du danger posé par les femmes portant le niqab
sont à la fois réactionnaires et ridicules. Comme on l'a fait
largement remarquer, sur une population de plus de cinq millions de
musulmans que compte la France, moins de 2 000 femmes portent le
voile intégral.
La presse
bourgeoise a posé la question de savoir ce qu'il en serait des
épouses des riches Saoudiens faisant leur shopping sur les
Champs-Elysées à Paris. Le rapporteur de la commission sur la
burqa a répondu qu'aucune exception ne serait tolérée.
Le fait
d'insister pour dire que la loi anti-burqa est une mesure de
sécurité est en droite ligne avec l'idéologie de la « guerre
contre le terrorisme », couverture pour la destruction des
droits démocratiques de par le monde. Elle a aussi pour but de
fournir une crédibilité à l'occupation fortement impopulaire par
l'OTAN de l'Afghanistan où la France a plus de 3 000 soldats.
Le virage
à droite accusé de Sarkozy vient à un moment où, après la
défaite du parti au pouvoir, l'UMP (Union pour un mouvement
populaire) aux élections régionales du mois dernier, la cote de
popularité du président est tombée à un niveau record de 35 pour
cent, avec 70 pour cent des sondés désapprouvant son bilan et 60
pour cent s'opposant à sa politique.
Le projet
de Sarkozy pour une loi anti-burqa défie tout particulièrement
l'impopularité massive du débat droitier sur « l'identité
nationale » que Sarkozy avait initié durant la campagne pour
les élections régionales. Dans ces conditions, il tente de
s'assurer ce qui lui reste de soutien politique en faisant appel au
racisme néofasciste, à savoir l'islamophobie et une répression
féroce des jeunes des cités défavorisées.
Sarkozy
et Fillon représentent le fer de lance d'une campagne raciste et
islamophobe de l'élite politique européenne. Juste avant son
effondrement, le parlement belge se préparait à voter sur une loi
semblable qui existe déjà dans plusieurs municipalités belges et
jouit du soutien de tous les partis. En Italie, plusieurs villes du
nord interdisent déjà le voile intégral. Des municipalités
allemandes prennent des mesures contre le port du voile islamique
dans les établissements scolaires. En Suisse un référendum bien
suivi a été organisé l'an dernier contre la construction de
minarets.
La
stigmatisation des femmes portant le voile intégral est aussi le
signe du soutien de la France aux gouvernements répressifs de ses
anciennes colonies du Maghreb (le Maroc, l'Algérie et la Tunisie)
qui représentent des régions importantes d'investissement du
capitalisme français. Ces gouvernements sont sous la menace de
mouvements islamistes qui, en l'absence d'une direction de la classe
ouvrière qui soit indépendante, pourraient venir au pouvoir dans
un contexte d'agitation de masse contre l'oppression et la pauvreté.
La
loi de Sarkozy n'est rendue possible que par le soutien des forces
qui se réclament faussement de « gauche. » C'est ce
manque d'opposition parmi les cercles politiques qui a encouragé
Sarkozy et Fillon à prendre cette mesure brutale contre les droits
démocratiques et qui représente un pas en avant significatif vers
un régime d'Etat policier. André Gerin, député PCF (Parti
communiste français) qui a présidé la commission parlementaire
pour la suppression de la burqa, établie l'an dernier par Sarkozy,
a dit à Radio RTL, « Je me réjouis que le
gouvernement ait pris cette décision de projet de loi dans la
continuité de la mission parlementaire. Il a affirmé que « ce
qui est très important derrière cette interdiction » est
« qu'elle va sanctionner de manière impitoyable les gourous
intégristes qui sont derrière et qui pourrissent la vie des
quartiers ».
Le
principal parti bourgeois d'opposition, le Parti socialiste (PS)
soutient le principe d'une attaque contre les droits civiques des
femmes portant la burqa. Axel Urgin, porte-parole du PS sur ces
questions, a dit que le PS était contre « un dispositif
juridique contestable » mais était pour l'exploration
d'un arsenal juridique visant à restreindre la possibilité du port
de la burqa.
Dans
la mesure où le PS a exprimé quelques réserves sur la politique
de Sarkozy, il est à craindre que l'interdiction, surtout si elle
est générale, pourrait provoquer une dangereuse agitation sociale.
Sur France Inter, un dirigeant du PS Pierre Moscovici a dit qu'une
interdiction générale de la burqa « risque de raviver une
série de querelles religieuses, communautaires ».
Le PS, le
PCF, Lutte ouvrière et la Ligue communiste internationale
(prédécesseur du Nouveau parti anticapitaliste, NPA) avaient
apporté leur soutien à la loi de 2004 interdisant aux jeunes
musulmanes le port du voile islamique à l'école. LO soutient
l'interdiction de la burqa. Le NPA a attendu des mois avant de
publier une brève déclaration contre la proposition de loi mais il
n'a pas fait campagne contre.