Juste avant de
partir en vacances, le gouvernement Sarkozy-Fillon a opéré un nouveau virage à
droite en liant le thème de la sécurité intérieure aux attaques racistes contre
les Roms et les immigrés en adoptant ainsi la ligne du parti
d’extrême-droite Front national (FN). Marine Le Pen, la vice-présidente
du FN jubile en remarquant que le président de la République vient de confirmer
officiellement les thèses que le Front national défend depuis trente ans.
Dans le discours qu’il a prononcé le 30 juillet lors de son
déplacement pour l’installation officielle du nouveau préfet de
l’Isère, Sarkozy a détaillé les grandes lignes de sa nouvelle orientation
politique et qui avait été adoptée par l’ensemble du gouvernement deux
jours plus tôt. En conséquence, l’ensemble des camps de Roms devra être
démantelé, la Sippenhaft (la répression qui s’étend à la famille)
devra être mise en place et la nationalité française retirée aux Français
d’origine étrangère ou issue des flux migratoires.
Le prétexte immédiat qui avait servi à
Sarkozy furent les émeutes qui avaient éclaté deux semaines plus tôt dans le quartier
de Villeneuve à Grenoble (Isère) et à Saint-Aignan (Loir et Cher) après que la
police ait tué par balle deux jeunes hommes. Ces nouvelles mesures
s’alignent néanmoins parfaitement sur les provocations perpétrées
jusque-là et par lesquelles le gouvernement attise les tensions racistes pour
renforcer l’appareil de répression de l’Etat. C’est ainsi
qu’il y a un mois, l’Assemblée nationale avait voté une loi
sanctionnant sévèrement les femmes islamistes portant le voile intégral — une violation flagrante des droits démocratiques fondamentaux.
Certains commentaires critiques considèrent
que les agissements du gouvernement sont surtout motivés par les difficultés
politiques que connaît Sarkozy. Le président de la République est englué dans
l’affaire financière Woerth-Bettencourt et tente de faire diversion de la
suspicion de financement illégal de parti politique. Parallèlement, il pêche en
eaux troubles pour améliorer ses chances de succès aux élections
présidentielles de 2012. Sarkozy pour ce faire recourt à son expérience de ministre
de l’Intérieur durant les années 2002-2004. A l’époque déjà, il
avait fait de la minorité rom et des gens du voyage des boucs émissairesen adoptant la
Loi pour la sécurité intérieur (LSI).
Ce nouveau virage à droite est en réalité
plus qu’une simple tentative d’améliorer ses propres chances de
réussite électorale en lançant des appels aux électeurs du Front national. Au vu d’une situation sociale catastrophique dans les
banlieues et des mesures d’austérité prévues qui vont coûter des milliers
d’emplois publics, des réductions de la retraite et d’autres
prestations sociales, le gouvernement s’attend à de violents conflits
sociaux. Avec le renforcement de l’appareil d’Etat, le gouvernement
se prépare pour la mise en œuvre de mesures de répression visant non
seulement les Roms, les musulmans et autres minorités, mais la classe
ouvrière en général.
Le discours de Sarkozy à Grenoble affichait
de toute évidence un caractère martial. Le président a annoncé qu’il
« avait décidé d’engager [une guerre] contre les trafiquants et les
délinquants. » A l’adresse du nouveau préfet, Eric Le Douaron, il a
précisé : « Aucune cité, aucune rue, aucune cage d’escalier,
aucune barre d’immeubles ne doit échapper dans ce département et dans
cette ville [Grenoble] à l’ordre républicain. C’est votre
devoir. » Il a aussi annoncé qu’une expérience serait tentée dans le
département de l’Isère « en dotant un certain nombre de véhicules de
police et de gendarmerie de nuit, de caméras embarquées… 60.000 caméras seront installées
d’ici 2012. »
Dès la rentrée, le parlement
s’occuperait de l’instauration de sanctions plus lourdes pour
toutes les formes de violences aggravées, « c’est-à-dire notamment
les violences sur des personnes dépositaires d’une autorité
publique, » a promis le président. « Je souhaite notamment que les
magistrats puissent condamner automatiquement les multirécidivistes au port du
bracelet électronique pendant quelques années après l’exécution de leur
peine. »
De plus, il veillera personnellement à ce
que la nationalité française demeure propre. « La nationalité française
doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait
volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou
d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire
de l’autorité publique. La nationalité française se mérite et il faut
pouvoir s’en montrer digne. »
Dans une interview accordée récemment au journal Le Parisien,
le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux (UMP), s’était
également déclaré en faveur de la déchéance de la nationalité française dans le
cas de certains délits —par exemple
en cas d’excision « ou d’actes de délinquance grave ».
Dans une interview accordée dernièrement au
Figaro, le ministre de l’Immigration et de l’Identité
nationale, Eric Besson qui est chargé de l’élaboration du projet de loi,
a déclaré vouloir empêcher les jeunes délinquants multirécidivistes nés en
France de parents étrangers, d’acquérir automatiquement la nationalité
française et avoir déjà plusieurs fois depuis qu’il est ministre
« interdit l’accès à la nationalité française de ressortissants
étrangers qui n’avaient pas respecté un certain nombre de nos valeurs
républicaines fondamentales… des étrangers qui imposaient le voile
intégral à leurs femmes, des étrangers qui refusaient de
serrer la main de femmes fonctionnaires, des étrangers qui refusaient le
principe de la laïcité. »
La pratique de déchéance de la nationalité
française remonte au régime de Vichy qui avait gouverné la France durant
l’occupation nazie. A l’époque, c’étaient avant tout les
Français de croyance juive naturalisés qui en étaient touchés – ce fut le
cas du peintre Marc Chagall et de la famille de l’auteur-compositeur et chanteur,
Serge Gainsbourg. Depuis, les cas de déchéance de nationalité avaient été
extrêmement rares. Selon le ministère de l’Immigration, en tout cinq cas avaient
été répertoriés avant 2006 et que deux raisons seulement, la trahison et le
terrorisme, avaient pu justifier.
Dans son discours, Sarkozy a aussi propagé
un genre de Sippenhaft. « La question de la responsabilité des
parents est clairement posée, » a-t-il dit en menaçant de punir les
parents d’enfants qui ne vont pas à l’école en les privant des
allocations familiales.
Le député UMP, Eric Ciotti prépare actuellement une
nouvelle loi qui punit « de deux ans d’emprisonnement et de 30.000
euros d’amende un père ou une mère qui laisse son enfant mineur, lorsque
celui-ci a été poursuivi ou condamné pour infraction, violer les interdictions
et les obligations auxquelles ils sont soumis. » De telles méthodes
rappellent fortement la « Sippenhaft » du régime national-socialiste
qui consistait à faire payer l’ensemble de la famille pour des faits
imputés à l’un de ses membres.
Les enfants aussi devraient être plus
fréquemment placés dans des établissements pénitentiaires. A cette fin, le
gouvernement tient à réformer l’ordonnance 45-174 de 1945 relative à
l’enfance délinquante. Aux dires de Sarkozy, celle-ci n’est
« plus adaptée aux mineurs d’aujourd’hui. » Cette
ordonnance qui avait longtemps proclamé la prééminence de l’éducatif sur
le répressif avait fait l’objet d’une série d’assouplissements
et avait connu en 2002, avec l’instauration des centres éducatifs fermés,
un durcissement sensible à l’encontre des mineurs délinquants.
Sarkozy avait annoncé à Grenoble
qu’« une vingtaine d’établissements » seraient ouverts à
la rentrée et qui « disposeront d’un encadrement renforcé et
adapté » qu’il a qualifié de « réinsertion scolaire ». En
ajoutant qu’on ne pouvait « plus tolérer le comportement de certains
jeunes qui empêchent les autres d’étudier ».
Une partie spéciale du discours de Sarkozy
visait les Roms, les gens du voyage et les immigrés dont les opinions et les us
et coutumes sont considérés indésirables. En les faisant passer pour la
principale source des problèmes économiques et sociaux du pays, il a menacé de
leur retirer les prestations sociales et de les expulser.
« Nous allons donc évaluer les droits
et les prestations auxquelles ont aujourd’hui accès les étrangers en
situation irrégulière…La règle générale est claire : les clandestins
doivent être reconduits dans leur pays, » a dit Sarkozy. Le ministre de
l’Intérieur a déjà été chargé de « mettre un terme aux implantations
sauvages de campements de Roms. Ce sont des zones de non-droit qu’on ne
peut pas tolérer en France ».
Sarkozy a promis que, là où une décision
de justice avait déjà été prise, le gouvernement procèderait d’ici fin
septembre au démantèlement de l’ensemble des camps. Là où la décision de
justice n’avait pas encore été prise, des démarches seraient engagées le
plus rapidement possible pour que cela intervienne. « Dans les trois mois,
la moitié de ces implantations sauvages auront disparu du territoire
français, » a-t-il précisé.
C’est ainsi que le gouvernement
français contribue à ce que la population rom d’Europe, à qui l’on
fait porter tous les torts, devienne à nouveau le bouc-émissaire après avoir
subie les persécutions nazies et payé un lourd tribut durant la Deuxième Guerre
mondiale.
Selon Le Monde, plus de 400.000 gens du voyage sont
recensés en France. En 1990, 95 pour cent d’entre eux étaient des
citoyens français et seul un tiers des nomades. A ce jour, les Roms, qui sont
originaires d’Europe de l’Est, forment une minorité. De nombreux
Roms de Roumanie, de Bulgarie et d’autres pays d’Europe centrale
sont arrivés à l’Ouest suite à l’élargissement de l’UE.
Selon le même article du Monde, en 2009, plus de 10.000
Roms avaient été expulsés de France, dont 8.000 vers la Roumanie, et ce malgré
le fait qu’en tant que citoyens européens ils devraient pouvoir circuler
librement au sein de l’Europe.
Le Monde cite aussi le secrétaire d’Etat français aux Affaires
européennes, Pierre Lellouche (UMP), qui a indiqué que l’Europe élargie
avait découvert « en son sein un quart-monde » de 9 à 12 millions de
personnes discriminées vivant « dans des conditions abominables. »
L’article poursuit en précisant qu’« à plus de 90 pour cent
sédentaires, les Roms sont toujours souvent indésirables en Europe, alternant
entre l’entassement dans des bidonvilles et des expulsions…
L’an dernier, 25 pour cent des Roms ont subi agressions, menaces ou
harcèlement. »
Les attaques de Nicolas Sarkozy contre des familles roms et
d’immigrés font partie d’une manœuvre bien réfléchie pour
attiser des sentiments racistes dans le but de « diviser pour mieux
régner. » Pour pouvoir rejeter le coût de la crise économique sur les
travailleurs, il compte mobiliser les préjugés les plus arriérés. Dans le même
temps, il prépare un Etat policier en le justifiant dans l’opinion
publique par le mot d’ordre de « la lutte contre l’insécurité
intérieure. »
Ce faisant, Sarkozy peut être sûr qu’aucune opposition
sérieuse ne viendra ni des partis d’opposition ni des syndicats. La loi
sur la burqa qui interdit le port du voile intégral dans les espaces public
avait déjà été adoptée il y a deux semaines à l’Assemblée nationale avec
une seule voix contre (celle d’un député ex-UMP). L’ensemble de la
soi-disant « opposition » avait voté pour ou s’était abstenue.