Le Parti socialiste (PS) a avalisé le
principe du système d'une primaire ouverte de type américain qui permet à tout
électeur qui se dit de gauche d'élire celui, parmi une série de candidats PS,
qui devrait être le candidat PS à l'élection présidentielle. Comme le montrent
les documents produits par ceux qui prônent cette mesure, il s'agit d'une
initiative réactionnaire visant à rassembler le soutien populaire derrière le
PS malgré la désillusion populaire grandissante face à sa politique en faveur
des patrons.
Ce principe de primaire ouverte a longtemps
été associé à la candidate PS vaincue lors de l'élection présidentielle de 2007,
Ségolène Royal. Lors des élections qui s'étaient tenues au sein du PS, elle
avait reçu un nombre significatif de voix de la part de nouveaux membres qui
avaient adhéré au PS via internet avec des cotisations réduites à 20 euros lors
de sa nomination en 2006. Lors du congrès de Reims du PS en novembre dernier,
elle avait parlé de « l’ouverture du parti aux masses » et de
« la transformation de notre parti en un grand parti
populaire. »
Le 26 août, le quotidien Libération a
publié une « Pétition citoyenne pour une primaire populaire à
gauche! » initiée par Terra Nova, un groupe de réflexion lié au PS.
Depuis, la proposition de Terra Nova a été adoptée par quasiment l'ensemble de
la direction du PS.
Tandis que la proposition de Terra Nova
circulait, d'autres dirigeants en vue du PS ont eu tôt fait de rejoindre les
rangs. L'ancien premier ministre Laurent Fabius a qualifié les primaires
ouvertes d' « inévitables. » Le maire de Paris, Bertrand Delanoë a
dit, « Je crois effectivement qu'il faut ouvrir les portes et les fenêtres
et inviter tous les citoyens de gauche. »
Finalement, la première secrétaire du PS
Martine Aubry, la dirigeante de la faction la plus ostensiblement en faveur de
l'interventionnisme de l'Etat au sein du PS et principale rivale de Royal, a
accordé son soutien à cette proposition. La veille de la conférence annuelle du
parti qui s'est tenue à la Rochelle du 28 au 30 août, la première secrétaire du
PS a écrit un éditorial dans le journal Le Monde prônant que
« Réinventer la démocratie, c'est changer profondément les pratiques et
les règles politiques au sein de notre parti, » notamment par
« l'organisation de primaires ouvertes pour la désignation de notre
candidat. »
Ces changements ont été rendus officiels à
la conférence de la Rochelle. Dans son discours d'ouverture, Aubry a appelé à
« un changement du PS de A à Z. » Elle a annoncé que « Il sera
demandé aux adhérents leur accord sur le principe de primaires ouvertes pour
désigner le candidat à l'élection présidentielle de 2012. »
Royal a déclaré, « J'ai toujours pensé
que le PS devait s'ouvrir, s'élargir. Je vois que les bonnes idées font leur
chemin. Mais il faut que les décision soient prises rapidement pour passer à
autre chose. »
Comme le montrent clairement les documents
produits par la fondation Terra Nova, l'objectif de cette primaire ouverte est
de réparer le déclin électoral du PS. Dans les périodes successives où le PS
était au pouvoir, la présidence de François Mitterrand (1981-1995), puis le
gouvernement de la Gauche plurielle du premier ministre Lionel Jospin
(1997-2002), le PS s'est discrédité devant les masses avec ses mesures
d'austérité, ses coupes sociales et ses privatisations d'entreprises publiques.
Depuis la défaite de Jospin à l'élection
présidentielle de 2002, le PS a subi de nombreux revers dont sa récente défaite
à l'élection présidentielle de 2007 et un score très bas à l'élection
européenne de 2009. Des divisions internes au sein du parti ont pris de
l'ampleur lors du dernier congrès du PS qui s'est tenu à Reims en novembre
dernier. La faction Royal a publiquement accusé Aubry d'avoir truqué les
élections lorsque cette dernière a été élue dirigeante du parti à Reims.
Dans un rapport intitulé « Pour une
primaire à la Française », Terra Nova a écrit: « La succession de
Lionel Jospin n'est toujours pas assurée. La cause est structurelle: il
n'existe aucune procédure institutionnelle pérenne pour permettre la sélection
entre les candidats à la succession. Dans ces conditions, seule l'émergence
d'un leader'naturel' permet de résoudre la crise. »
Traditionnellement, la nomination du
candidat PS à la présidentielle se fonde sur le vote des adhérents du parti.
Néanmoins, Terra Nova défend l'idée que la nomination devrait être ouverte à
quiconque se dit électeur socialiste: « Nous appelons à une primaire
populaire, ouverte au vote des sympathisants, afin que les citoyens de gauche
et de progrès puissent choisir leur candidat à l'élection présidentielle. »
Terra Nova explique ensuite la motivation
politique de ce changement: « Il s'agit de privilégier l'effet de la
modernité et de dynamique qu'offre la primaire ouverte. Dynamique électorale:
la primaire ouverte aboutit d'abord a une légitimité forte du candidat. La
force de l'investiture de Prodi par 4 millions de citoyens, ou d'Obama par 35,
est incomparable à la désignation par 200.000 socialistes français. »
En bref, l'objectif consiste à donner au
candidat PS à la présidentielle un coup de pouce pour attirer l'attention des
médias et donner un semblant de légitimité politique à un candidat PS qui
mettra en place des mesures droitières contre la classe ouvrière.
Terra Nova poursuit: « Il y a aussi une
dynamique démocratique: une telle primaire répond au désir de participation
citoyenne. L'exemple de la 'primaire Veltroni' en Italie - 3.5 millions de
votants pour une élection sans enjeu réel - est révélateur de cette jubilation
participative. »
Cette remarque est au coeur du contenu
antidémocratique de l'initiative de la primaire. L'initiative cherche à
manipuler de façon cynique l'intérêt populaire pour la politique, en
encourageant les électeurs à soutenir le candidat pro-patronat du PS. La
méthode leur propose un spectacle électoral qui rappelle la situation
italienne, à savoir, « sans enjeu réel. »
Les modèles étrangers que Terra Nova
présente pour la primaire du PS sont hautement significatifs. Dans les deux
cas, Prodi en Italie et Obama aux Etats-Unis, les candidats ont remporté les
élections parce qu'ils étaient faussement promus par les médias et l'establishment
politique comme représentant une rupture d'avec leurs prédécesseurs
droitiers. Cela correspond à la situation de la France, où le PS cherche à
déloger le président conservateur en exercice, Nicolas Sarkozy.
Dans les primaires italiennes de 2005, une
coalition de partis politiques de centre gauche (l'Unione) avait choisi Romano
Prodi comme son candidat. Prodi allait par la suite battre le premier ministre
de l'époque Silvio Berlusconi lors des élections de 2006. La primaire avait été
utilisée pour créer un climat politique où Prodi, politicien pro-patronat ayant
des projets de droite à mettre en place une fois aux affaires, était mis en
avant comme un représentant légitime de l'opinion de la classe ouvrière en
Italie.
En fait, le gouvernement Prodi, avec la
collaboration de l'ensemble de la gauche italienne, y compris des organisations
ayant succédé au Parti communiste italien telles Rifondazione comunista, a
continué la politique de Berlusconi. Lorsqu'il était au pouvoir, le
gouvernement Prodi a supervisé le déploiement de soldats italiens en
Afghanistan et au Liban et les projets d'extension d'une base aérienne
américaine en Italie. En politique intérieure, il a privatisé des entreprises
publiques, réduit les retraites et mis en place des mesures d'austérité
fiscale.
La tentative de présenter Walter Veltroni
comme le successeur de Prodi aux primaires de 2007, bien qu'applaudi par Terra
Nova pour son spectacle creux, a été un échec. L'Unione a subi une défaite
cinglante aux élections de 2008, marquées par un taux d'abstention important
des électeurs issus de la classe ouvrière. Il en a résulté le retour au pouvoir
de Berlusconi et une augmentation significative de la fortune politique de
l'ultra droite, notamment l'élection du maire néo-fasciste de Rome.
Terra Nova revient aussi maintes fois sur
l'exemple du président américain Barak Obama. Il dénigre le fait que, étant
donné la condition actuelle requise du candidat PS à la présidentielle qu'il
obtienne le soutien de 15 pour cent du comité national du PS, « dans la situation
actuelle, un Barak Obama français n'aurait aucune chance d'émerger. »
Par cette remarque, Terra Nova en dit
peut-être plus qu'il ne le souhaite. La campagne de Barak Obama était en grande
partie une création de l'establishment politique et médiatique américain,
qui a hissé rapidement à la fonction publique la plus élevée un candidat
précédemment inconnu et relativement peu expérimenté. Faisant campagne avec le
slogan ambigu du « changement », Obama a remporté une élection qui a
été largement interprétée comme une répudiation populaire du précédent
gouvernement, celui de Bush.
Mais depuis son accession au pouvoir, Obama
a poursuivi et poussé plus loin la politique réactionnaire de son prédécesseur
Bush. L'occupation américaine de l'Irak se poursuit, et le nombre de soldats
américains déployés en Afghanistan a doublé. Il a accordé plus de mille
milliards de dollars aux banques et à l'aristocratie financière tout en mettant
en place un programme d'austérité sociale massif en supervisant la faillite des
entreprises automobiles américaines, en détruisant l'éducation et les
prestations sociales par le refus d'accorder le financement nécessaire aux
Etats, en préparant une « réforme » de santé réactionnaire dont les
effets seront de limiter les soins de santé pour les travailleurs.
Il en résulte un effondrement catastrophique
du niveau de vie de la classe ouvrière américaine.
Le fait que de tels précédents sont cités
comme la norme à laquelle le PS devrait aspirer est une indication de plus
qu'en 2012, le PS et ses partis alliés vont chercher à poursuivre la politique
anti-ouvrière de Sarkozy.