La défaite majeure subie par le Parti libéral démocrate (PLD) aux
élections japonaises le mois dernier marque plus que la fin de la mainmise
prolongée de ce parti sur le pouvoir politique. La montée du capitalisme
japonais après la seconde guerre mondiale, accompagnée par les succès des
démocrates libéraux, dépendait avant tout d'un cadre stratégique et
économique international construit sur la domination globale des États-Unis,
laquelle est aujourd'hui en train de reculer. L'effondrement électoral
dramatique du PLD dans le contexte de la plus grave crise économique depuis
les années 1930 constitue un signe supplémentaire de ce que la politique, au
Japon comme partout ailleurs, se dirige vers des temps troublés et
imprévisibles.
Les mythes classiques concernant la politique japonaise – sur la
domination naturelle des partis conservateurs au sein d'une société très
stricte avec une population laborieuse placide et disciplinée – passent
utilement sous silence les troubles révolutionnaires qui ont suivi la
seconde guerre mondiale, quand le sort du capitalisme japonais était en jeu.
Deux millions de personnes, dont beaucoup de civils, étaient morts durant la
guerre, près de la moitié de la surface urbaine avait été détruite et
l'industrie était à l'arrêt. Ayant subi les horreurs de la guerre, les
privations économiques et la répression de l'état policier, la classe
ouvrière était profondément hostile au régime militariste en place pendant
la guerre, et elle était déterminée à se battre pour ses droits
fondamentaux.
Dans une situation où les grands paris bourgeois étaient largement
vilipendés, la stabilisation d'après-guerre au Japon, comme en Europe,
s'appuya sur les trahisons de la Sociale-démocratie et, encore plus, du
Stalinisme. Le Parti socialiste japonais (PSJ), le Parti communiste japonais
(PCJ) et leurs syndicats respectifs connurent une croissance explosive. Au
milieu d'une disette et d'une pauvreté constantes, les grèves et les
manifestations étaient très répandues et amenèrent une large radicalisation.
Une grève générale planifiée en février 1947 fut annulée sur ordre du chef
de l'occupation américaine, le Général Douglas MacArthur. Pour les
communistes, la décision d'abandonner cette grève était la conséquence
logique de leur théorie stalinienne des deux étapes, celle-ci interprétait
les réformes limitées apportées par l'occupation américaine comme un élément
de la prétendue première étape démocratique de la révolution.
En réalité, en contenant le militantisme de la classe ouvrière, le PCJ
donna à l'occupation américaine et à la bourgeoisie japonaise une bouffée
d'air frais dont ils avaient grand besoin. Dans l'immédiat après-guerre,
l'armée américaine avait libéré les prisonniers politiques, dont les
dirigeants du PCJ, et purgé les politiciens et les bureaucrates associés au
régime de guerre. Après 1947 et l'éclatement de la Guerre froide, Washington
inversa la vapeur, permettant à des personnalités de droite de revenir à la
vie politique et de mener une "purge des rouges" contre les communistes et
leurs sympathisants dans la bureaucratie étatique et également, avec l'aide
de certains dirigeants syndicaux américains, dans les syndicats.
Le PLD, créé en 1955 par la réunion du Parti libéral conservateur et du
Parti démocrate, reposait entièrement sur le cadre établi par l'occupation
américaine. La pierre angulaire de sa politique étrangère était le traité de
sécurité américano-japonais conclu en 1952 qui mettait fin à l'occupation et
établissait le Japon comme l'allié principal des États-Unis en Asie dans la
Guerre froide. Économiquement, la renaissance de l'industrie dépendait
fortement de relations commerciales privilégiées avec les États-Unis. La
guerre de Corée de 1950 à 1953 donna un fort coup d'accélérateur économique
au Japon, qui servait de base d'opérations aux troupes américaines.
Politiquement, le PLD resserra son emprise sur le pouvoir par un habile
découpage des circonscriptions électorales dans les campagnes, renforcé par
des taxes à l'importation favorables aux paysans, ainsi que des subventions
et le financement des projets de construction uniquement dans les
circonscriptions qui élisaient ses membres.
Dans les années 1960, dans le contexte d'une croissance mondiale
continue, le Japon devint le premier "miracle économique" asiatique. Les
entreprises japonaises, entretenues derrières des barrières commerciales par
le puissant ministère du commerce international et de l'industrie,
exploitait la main d'œuvre à bon marché du pays pour trouver des débouchés
importants sur les marchés américain et européen. Au cours de cette
décennie, la croissance économique avait un taux annuel moyen de 10 pour
cent.
Cependant, comme tous les booms d'après-guerre dans le monde, le
"miracle" japonais fut relativement court. La première fissure apparut en
1971 lorsque le président américain Richard Nixon mit un terme au taux
d'échange fixe entre l'or et le dollar qui avait établi le cadre économique
mondial. L'année suivante, le gouvernement Nixon choqua profondément la
bourgeoisie japonaise en établissant des liens diplomatiques avec la Chine
sans se donner la peine de demander son avis à son allié de la Guerre
froide. Les fortes montées du prix du pétrole dans les années 1970
frappèrent également durement le Japon. Même si l'économie s'en remit, la
hausse des salaires obligea les entreprises japonaises à investir dans
d'autres pays asiatiques où le travail était moins cher. De plus, le succès
économique qui avait transformé le Japon en seconde puissance économique
mondiale entraîna des tensions commerciales vives avec les États-Unis.
La ruine des Démocrates libéraux commença en 1993 par une série de
défections de ceux qui voulaient un programme de libre marché et une
politique étrangère plus agressifs. Le PLD perdit le pouvoir pour 11 mois en
1993-94 en faveur d'une coalition instable de nouveaux petits partis
conservateurs et des socialistes. Le PLD revint au pouvoir en 1994 au sein
d'une étrange coalition avec le parti socialiste dont le dirigeant, Tomiichi
Murayama, était Premier ministre. Tout au long de la période d'après-guerre,
le PLD au pouvoir et son opposition loyale, le PSJ, furent les principaux
défenseurs du capitalisme japonais. Leur grande alliance au pouvoir détourna
profondément les partisans du parti socialiste, qui subit de nombreuses
divisions par la suite et ne put plus jouer de rôle politique important. Le
PLD avança à tâtons d'une crise à l'autre, formant une suite de
gouvernements faibles de courte durée, traversés de crises internes et
incapables de mener à bien les restructurations économiques demandées par
les grandes entreprises.
Le mandat du Premier ministre Juichiro Koizumi de 2001 à 2006 semble être
une exception. Mais le succès politique de Koizumi reposait entièrement sur
sa capacité à apparaître comme un "rebelle" contre la hiérarchie de son
parti. Le PLD n'a fait confiance à Koizumi, qui a toujours été considéré
dans le parti comme un inadapté excentrique, qu'au moment précis où il était
confronté au risque de disparaître de l'arène politique. Koizumi exploita
son image populiste pour faire passer une série de mesures de droite – la
promotion du militarisme japonais, le soutien inconditionnel à la "guerre
contre le terrorisme" de Bush, et des restructurations économiques
supplémentaires. Après que des membres du PLD ont fait capoter son projet de
privatisation postale en 2005, il a fait exclure les rebelles et a appelé à
une élection anticipée – une première dans la politique japonaise. En se
concentrant sur la privatisation de la poste, il a réussi à faire que les
autres questions ne soient pas abordées – y compris la large opposition
populaire à la guerre en Irak.
Mais l'impact des grandes restructurations libérales de Koizumi est vite
apparu avec clarté, ce qui a entraîné un débat public sur les "gagnants" et
les "perdants" de l'économie. Lorsqu'il a démissionné en 2006, sa popularité
était déjà en forte baisse. Aucun de ses successeurs au poste de Premier
ministre – Shinzo Abe, Yasudo Fukuda ou Taro Aso – n'a été en mesure de
reproduire la mystification de Koizumi pour gagner de la confiance. La crise
économique mondiale de l'année passée a fait ressurgir des ressentiments et
une hostilité profonds, non seulement contre les démocrates libéraux, mais
contre tout l'establishment politique japonais, au sujet de la
dégradation du niveau de vie, des inégalités sociales grandissantes et du
retour du militarisme.
Le déclin du PLD rouvre toutes les questions politiques et sociales
irrésolues qui avaient éclaté après la seconde guerre mondiale avant d'être
étouffées par le carcan de la politique d'après-guerre. La classe dirigeante
va maintenant être obligée de se servir du Pari démocrate, un amalgame
réalisé à la hâte entre des factions issues du PLD et du parti socialiste
pour réaliser son programme – ce processus entraînera inévitablement le
nouveau gouvernement vers une collision avec la classe ouvrière. Si
l'histoire peut servir de guide, alors ces luttes prendront un tour
révolutionnaire, et assez rapidement. Pour se préparer à ces convulsions,
nous conseillons vivement aux travailleurs et aux jeunes d'étudier
sérieusement l'histoire et le programme du mouvement trotskyste mondial, ce
serait le premier pas vers la construction d'une section japonaise du Comité
international de la Quatrième Internationale.