Les médias français ont fait grand cas du refus des syndicats français
d'assister à l'université d'été du Nouveau parti anticapitaliste (NPA)
d'Olivier Besancenot, qui s'est déroulé du 23 août au 26 août à Port-Leucate.
Cet évènement soulève devant les travailleurs la question suivante: quel est
le poids politique des différends entre le NPA et les syndicats?
Le NPA, fondé par la LCR qui s’est dissoute le 10 février 2009, a
continué la tradition de son prédécesseur en invitant amicalement les
syndicats à son université d'été. Or, cette année la CGT, la CFDT et FO ont
décliné l'invitation. Alain Guinot, secrétaire confédéral de la CGT a envoyé
une lettre au NPA le 10 juillet pour justifier ce refus. Ce dernier explique
que la CGT ne peut participer à un débat intitulé "Quelles stratégies pour
les luttes ?", qui conforte la CGT "dans l'idée qu'il y a entre nos
organisations une divergence de conception sur nos prérogatives
respectives".
Conscients de la colère qui monte chez les travailleurs face aux
trahisons en série des luttes ouvrières par les syndicats, ces derniers ont
averti le NPA qu’ils ne tolèreraient aucune critique politique de leur
conduite. La CGT refuse qu'un parti "se substitue aux syndicats dans leurs
responsabilités d'assumer la défense des intérêts des salariés et la
conduite des luttes".
Face à cette injonction de se taire sur la politique réactionnaire des
syndicats, le NPA a tenté de pactiser avec la CGT. La réponse du NPA, parue
dans Le Monde par l'intermédiaire de sa dirigeante Sandra Demarcq, a
été la suivante : "Nous voulons discuter avec elle [la CGT] des perspectives
pour la rentrée, de l'unité large qu'il faut construire entre les syndicats
et les organisations politiques."
La brouille entre la CGT et le NPA s'est envenimée lors de l’invitation à
Port-Leucate par le NPA d’un délégué syndical CGT de Continental, Xavier
Mathieu, qui a dénoncé l'isolementde la lutte des travailleurs de
l'usine Continental à Clairoix par la direction nationale de la CGT.
Après avoir participé à une grève commune avec des travailleurs allemands
de Continental à Hanovre, les travailleurs de Clairoix avaient aussi occupé
l'usine Continental à Sarreguemines. Après une décision de la justice
déboutant leur demande de suspension du plan de fermeture du site, plusieurs
travailleurs de Continental dont Mathieu avaient saccagé la préfecture de
l'Oise, à Compiègne. Limités par le manque de soutien de la CGT à leur
lutte, les travailleurs n'ont réussi qu'à obtenir une prime de licenciement
lors de la fermeture de leur site.
A France Info,Xavier Mathieu a expliqué que « Les Thibault
et compagnie, c'est juste bon qu'à frayer avec le gouvernement, à calmer les
bases. Ils servent juste qu'à ça, toute cette racaille. »
Concernant le jugement au tribunal de grande instance de Compiègne suite
au saccagede la sous-préfecture dans l’Oise, il a ajouté : «Bernard
Thibault a refusé de demander notre relaxe. C’est honteux ! La seule réponse
qu’on a eue est que la CGT ne soutient pas les voyous et que la
radicalisation ne fait pas partie de ses méthodes».
L'invitation offerte à Mathieu par le NPA ne correspondait aucunement à
une lutte pour démasquer la politique des syndicats qui a trahi les luttes
ouvrières. Lors d'une interview dans le magazine Marianne, Olivier
Besancenot a expliqué: « Ce n’est pas nous qui rentrons en guerre
contre la CGT. C’est eux qui ne viennent pas à notre université quand on les
invite. On ne va pas nous faire ce procès-là en plus...Avec la CGT, il faut
qu’on se voit, qu’on relance le débat ».
Ces échanges soulignent le caractère épisodique des disputes entre les
syndicats et le NPA, pour qui l'orientation vers les syndicats reste un
dispositif central de sa politique. Loin de représenter l'expression de la
colère des salariés contre les syndicats, les initiatives de Besancenot ne
font que permettre au NPA de souligner son profond attachement politique au
syndicalisme.
C'est une longue tradition de la LCR que de couvrir les trahisons des
luttes ouvrières organisées par les syndicats. Pour rappel, en 1995 le
gouvernement d'Alain Juppé avait lancé une offensive contre les acquis de
l’après-guerre : retraite, sécurité sociale et emploi. Les travailleurs
avaient répondu en déclenchant une grève qui avait échappé au contrôle des
syndicats, menaçant de devenir une grève générale aboutissant à la chute du
gouvernement. Les syndicats, soutenus par « l’extrême gauche », avaient
obtenu qu’une partie du plan de Juppé soit retirée. Ceci avait donné au
président Jacques Chirac le temps de préparer la transition réglée du
gouvernement totalement discrédité du premier ministre gaulliste Juppé au
gouvernement socialiste de Lionel Jospin.
En 2003, la réforme des retraites prévoyant une baisse de 30 pour cent du
niveau des retraites et la réforme de la décentralisation de l’Education
nationale avait entraîné des millions de salariés du secteur public et du
secteur privé dans la rue. Craignant une répétition de 1995, les syndicats
avaient ressenti une pression politique très forte. La CFDT avait saboté les
protestations en concluant un accord avec le gouvernement, tandis que FO, la
CGT et la FSU, syndicat majoritaire de l'Education, suivaient une tactique
de grèves dispersées.
Les syndicats ont repris ce même rôle dans la lutte contre le Contrat
première embauche (CPE) en 2006 et l'étouffement des grèves des cheminots
contre la réforme des retraites par Sarkozy en 2007-2008.
Aujourd'hui, la crise économique mondiale aiguise toutes les tensions
politiques que l'action des syndicats et du NPA-LCR essayait d'effacer.
Alors que le gouvernement donne des milliards d'euros du contribuable aux
banques, il impose des mesures contre les travailleurs – réforme des
retraites, fermetures d'usine, etc. – démontrant sa vraie nature de classe.
Depuis le début de la crise, le chômage est passé de 7,6 pour cent de la
population active au 4ème trimestre 2008 à 9,1 pour cent sur le 2éme
trimestre 2009, soit environ 2,5 millions de chômeurs. De plus, le chômage
doit encore augmenter, avec l'arrivée de 300 000 étudiants sur le marché de
l’emploi.
Le gouvernement compte sur la traîtrise des syndicats pour éviter une
contre-attaque politique des travailleurs contre la crise économique. Les
syndicats ont systématiquement isolé les luttes ouvrières à Continental, New
Fabris, Caterpillar, et ailleurs, forçant les travailleurs à accepter des
indemnités de licenciement ou la flexibilité du temps de travail pour
sauvegarder la rentabilité des entreprises.
En même temps, les syndicats ont aidé la politique réactionnaire du PS.
Entre les mois de janvier et de mai, ils ont organisé des manifestations
pour soutenir la modification proposée au plan de relance de Sarkozy par
Martine Aubry du PS. Le NPA a également collaboré avec le PS, signant les
appels de ce dernier et appelant les travailleurs à participer aux
mobilisations organisées par les syndicats dans le cadre des initiatives
politiques d'Aubry.
Lors de son congrès fondateur au mois de février, le NPA a dénoncé
le trotskysme comme axe politique fondamental. L'abandon du trotskysme est
un signe lancé à la bourgeoisie que le NPA est prêt à devenir une
institution politique de la bourgeoisie. Le NPA tente déjà d'établir les
conditions sous lesquelles se déroulera son alliance avec des partis
bourgeois comme le Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon et le Parti
communiste (PCF) pour les élections régionales de 2010.
Les retombées de la dispute entre le NPA et la CGT soulignent également
le caractère réactionnaire et opportuniste des conceptions
politiques de la direction du NPA.
Pour le NPA, une lutte politique est inséparable d'une orientation vers
le PS et d'autres partis de la bourgeoisie française. Ainsi Philippe
Pignarre, membre du bureau politique du NPA, écrit dans son livre Être
anticapitaliste aujourd'hui : « la condition pour qu’un mouvement social
quitte le terrain seulement revendicatif et commence à poser de sérieux
problèmes au pouvoir politique, estqu’il oblige les partis
traditionnels de gauche à prendre position. Dans ce cas, il peut y avoir une
étape suivante : demander au gouvernement de partir ».
Lors d'une interview avec Olivier Besancenot, l'hebdomadaire Marianne
lui a posé la question: « Vous êtes partisan de la grève générale. Ce à quoi
les syndicats répondent que la grève générale ne se décrète pas ? »
Olivier Besancenot a répondu : « Nous, quand on parle de grève générale, on
n’a pas en tête le Grand Soir. On cherche juste l’efficacité ».
Dans ce refus du « Grand Soir » - c'est-à-dire d'une révolution politique
qui transformerait la société - s'expriment tout le pessimisme et
l'hostilité accumulés du NPA envers le prolétariat en tant que classe
révolutionnaire. Vidé par Besancenot de son contenu d'affrontement
révolutionnaire entre l'ensemble du prolétariat et la bourgeoisie, le terme
"grève générale" n'est qu'un slogan creux.