L'impuissance des
manifestations syndicales du printemps contre la politique gouvernementale, et
la défaite des grèves contre la fermeture d'usines touchées par la crise,
suscitent une vague d'opposition populaire contre les syndicats et des partis
politiques en France. Au sein du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), dont la
direction refuse toute critique du syndicat CGT, des courants minoritaires
tentent de faire écho à ce mécontentement. C'est le cas du collectif Prométhée
et de Tendance Claire, liée au PTS (Parti des travailleurs socialistes)
argentin.
Leur position, qui
reflète avant tout le soutien du NPA pour les syndicats, se distingue par son
absence de perspective politique et son incohérence primaire. Obnubilés par
l'organisation de manifestations syndicales, ils proposent paradoxalement de
répéter le même type d'initiative dont ils commencent par dénoncer les
conséquences.
Dans sa déclaration
« Priorité à un programme d'union et de combat », le groupe Prométhée
dénonce les journées d'actions organisées par les syndicats le 29 janvier et le
19 mars : « La "politique d’unité" des huit
confédérations et leur plateforme revendicative du 5 janvier ont ouvert –
avec la victoire symbolique de l’UMP aux élections européennes – un
boulevard pour la politique du gouvernement et de la classe capitaliste. »
Il ajoute : « La
classe ouvrière et la jeunesse sont entrées dans cette période de crise —
confrontées à une offensive de la classe capitaliste — avec des
organisations faibles, dispersées, et pour la plupart décidées à collaborer
avec le président. »
Ceci est une
référence au fait que les syndicats ont organisé des journées d'action
largement espacées dans le temps contre la politique du président Nicolas
Sarkozy, après s'être concertésavec lui et ses représentants dans de
multiples réunions tripartites et pourparlers, surla politique qu'ils
allaient suivre. Ceci a permis aux syndicats d'épuiser la résistance des
travailleurs en lutte contre la politique d'austérité et le sauvetage des
banques, tout en prétendant avoir mobilisé leurs forces. Le silence maintenu
sur cette tactique par les partis politiques, tels le NPA, a joué un rôle
central dans cette mauvaise farce anti-ouvrière.
Dans son numéro de
septembre 2009, qui recueille force critiques de la direction nationale de la
CGT par des délégués syndicaux, Tendance Claire dénonce « l'isolement et
l'orientation traître des syndicats ». Elle continue en disant que les
directions syndicales ont « boycotté la manifestation appelée par les
travailleurs de New Fabris le 31 juillet à Châtellerault, refusé de soutenir
les travailleurs de Continental poursuivis devant les tribunaux... »
Tendance Claire
critique aussi l'hommage rendu par le dirigeant du NPA, Alain Krivine, le 30
juillet dans le Nouvel Observateur, à l'ancien préfet de police de Paris
pendant les grèves de 1968, Maurice Grimaud. Krivine l'avait présenté comme « un
type bien », « un républicain de gauche ».
Tendance Claire
commente: « Il est plus que troublant qu’Alain Krivine prenne la
pose, à l’instar d’un Cohn-Bendit, du vieux combattant qui a su ne
pas aller trop loin. [...] Affirmer que "nous savions jusqu’où il ne
fallait pas aller", c’est donner à penser que nous ferions partie de
ces gens "raisonnables" sur lesquels Grimaud comptait pour contenir
le mouvement. »
En fait, c'est
précisément ce que Krivine laisse entendre par ses louanges adressées à la police :
la direction du NPA est du côté de l'Ordre.
Ces articles
constituent un aveu dévastateur — car provenant de l’intérieur —
sur l’orientation politique du NPA. Les luttes ont été trahies,
organisées sans aucune perspective de victoire, et les travailleurs se sont
retrouvés isolés face à des organisations syndicales et politiques qui leur
étaient hostiles. Les idées reçues charriées par les médias, selon lesquelles
la CGT est « combative » et le NPA « révolutionnaire », n'étaient
que mensonges au service de la bourgeoisie.
Sur quelles bases
Prométhée et Tendance Claire veulent-ils donc bâtir une nouvelle politique pour
les travailleurs ?
Le collectif
Prométhée propose de créer des comités « unitaires » englobant tous
les appareils — les partis politiques, les syndicats, et le milieu
associatif. Il propose de reprendre un vieux slogan du NPA et de son
prédécesseur la Ligue communiste révolutionnaire, celui de « l’interdiction
des licenciements ».
Dès le départ, le
slogan pour « l’interdiction des licenciements » sonne creux.
Aucune perspective n’est élaborée pour orienter les travailleurs dans une
lutte révolutionnaire qui pourrait imposer une entrave si fondamentale aux
privilèges de la bourgeoisie et aux prérogatives de l'Etat. Proposer une telle
initiative dans des collectifs « unitaires », réunissant des membres
de partis institutionnels tels le Parti communiste français (PCF) ou le Parti
de Gauche (PG), et même le PS,est dérisoire.
Prométhée veut « des
collectifs unitaires pour l’interdiction des licenciements (collectifs
qui doivent décider de tout, slogan, textes, matériels, date de réunion et de
manifs) et l’organisation d’une manifestation nationale (là encore
décidée collectivement) ». Ayant commencé par critiquer
l’impuissance politique des journées d’action syndicale, Prométhée
finit ainsi par en proposer une de plus.
Quant à Tendance
Claire, elle propose également « une manifestation nationale contre les
licenciements », signalant que la direction nationale du NPA a défendu
cette revendication « au premier semestre ». L’apport principal
de Tendance Claire est de proposer un « courant intersyndical ».
Celui-ci « devrait regrouper les militants et les équipes de lutte de
classe au-delà des différentes sensibilités politiques » —
c’est-à-dire, représentant tous les partis.
On entrevoit unparti
qui s'irrite de son propre opportunisme, qui sombre dans l’incohérence —
proposant de continuer une pseudo-protestation syndicale tout en dénonçant les
effets de cette politique, pour défendre son flanc gauche contre les
travailleurs.
Les travailleurs se
retrouvent dans une situation politique difficile, trahis par toute
l’armature des syndicats et des partis politiques qui ont dominé la
politique française au 20e siècle. Ce qui est indispensable au prolétariat,
c’est la construction d’un nouveau parti révolutionnaire de masse,
résolument hostile aux syndicats et aux partis existants, qui pourra orienter
les travailleurs dans une lutte globale pour le pouvoir. La lutte pour le trotskysme,
c’est-à-dire pour la continuité avec les luttes révolutionnaires des
marxistes, est l’élément essentiel de toute politique ouvrière.
Né au mois de
février en appelant à « dépasser » le trotskysme qu’il
dénonçait comme « ringard », le NPA ne peut se transformer en parti
révolutionnaire ni lutter pour en construire un. Même ceux qui critiquent la
direction du NPA ne font que proposer davantage de manifestations isolées, qui
s'alignent fondamentalement sur la stratégie officielle du gouvernement de
relance de l'économie par d'énormes transferts de l'argent du contribuable aux
banques et à la grande entreprise.
Le manque
d’indépendance critique de Prométhée et de Tendance Claire vis-à-vis de
l’opinion publique bourgeoisie ressort de leur traitement de la crise
iranienne, après la ré-élection de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Le
candidat malheureux, Mirhossein Moussavi, a organisé des manifestations de la
moyenne bourgeoisie urbaine, avec l’aide de l’élite cléricale y
compris le multimilliardaire Akbar Hashemi Rafsanjani. Ceux-ci voulaient mener
une politique de libéralisation de l'économie et d’ouverture envers
l’impérialisme américain et européen, qui occupent l’Irak et
l’Afghanistan, deux pays voisins de l'Iran.
Le NPA a qualifié
Moussavi de « démocrate » à l'instar de la diplomatie française, et
les mouvements de protestation comme étant peuplés de travailleurs aspirant à la
démocratie. Sur cette question, il n’y a aucune différence réelle entre
l’analyse de Prométhée ou de Tendance Claire et celle du NPA et de
l'impérialisme français.
Dans un article du
24 juin, Prométhée dénonce sans preuve l’élection d’Ahmadinejad :
« Le peuple iranien descend dans la rue pour dire non aux résultats
truqués par la clique d’Ahmadinejad et pour le respect de son vote,
c’est-à-dire pour le respect de la démocratie qui est incompatible avec
la dictature. »
Prométhée décrit
ainsi le mouvement pro-Moussavi : « Une puissante vague qui vient de
loin, un peuple qui descend dans la rue, un pouvoir qui ne peut plus dominer
comme avant, on a là les ingrédients d’une révolution qui commence. »
Le fait que ce serait une « révolution » visant à imposer un joug
impérialiste sur le peuple iranien, entouré de toutes parts d'armées de l'OTAN,
semble échapper à Prométhée.
Dans son numéro de
juin, Tendance Claire explique même que le mouvement pro-Moussavi était « favorable
à une ouverture économique et à une "normalisation" des relations
avec l'impérialisme pour développer ses propres affaires ». Cependant,
Tendance Claire propose aux travailleurs de participer à ce mouvement, espérant
enclencher à terme un « processus d'auto-organisation » sur les lieux
de travail.
Comme si Total ou
ExxonMobil, ayant pillé le pétrole irakien, accepteraient de partager les
ressources de l'Iran avec les travailleurs iraniens, une fois que Moussavi
aurait négocié ses arrangements avec les gouvernements et les grandes sociétés
occidentales!
Le contexte iranien
démontre clairement le contenu réactionnaire des tentatives de mobiliser les
travailleurs dans des manifestations sans perspective et derrière quelque
organisation que ce soit. Ayant aidé les « réformes » réactionnaires
de Sarkozy en France, l'effet de la politique de Prométhée et de Tendance
Claire en Iran serait une capitulation encore plus criante aux intérêts de
l'impérialisme. Quel que soit leur lexique légèrement mâtiné de termes
marxistes, ce sont des « révolutionnaires » à la traîne de la CGT, de
l’Elysée et du Quai d'Orsay.