L'article qui suit est la quatrième partie
et la conclusion du rapport d'ouverture de Nick Beams, secrétaire national du
Parti de l'égalité socialiste (Australie) et membre du Comité de rédaction du
WSWS, lors de l'université d'été organisée par le PES en janvier 2009 à Sydney.
Pour accéder aux autres parties : 1, 2, 3
Il découle de notre appréciation des origines
de la situation actuelle qu'il ne faut rien de moins qu'une révolution
socialiste internationale pour surmonter la crise du mode de production
capitaliste et, de plus, que c'est le seul moyen d'empêcher l'humanité de
sombrer dans une catastrophe. Cette conception est au centre de notre lutte
pour développer la conscience politique de la classe ouvrière.
La bourgeoisie a connu un effondrement
idéologique dévastateur. Toute l'idéologie du « libre marché » sur
laquelle elle s'appuyait pour lancer ses attaques contre la classe ouvrière
durant les trente dernières années est en lambeaux. En conséquence, nous sommes
témoins d'une tentative désespérée de créer l'illusion qu'une solution à cette
crise existe dans le cadre du capitalisme. Divers économistes keynésiens,
« de gauche », et même des soi-disant marxistes, sont mobilisés dans
cet objectif. Et au-delà, la bourgeoisie cherche activement à cultiver de
nouveaux appuis parmi les divers groupes radicaux.
Sur le front économique, une déclaration
signée par vingt économistes « de gauche » et publiée le premier
janvier, sous les auspices du Centre Schwartz pour l'analyse d’économie
politique de la New School et de l'Institut d'économie politique, basé à
l'Université du Massachusetts, en est un exemple typique.
Cette déclaration commence par avertir ses
lecteurs que le monde n'a pas été confronté à une crise économique comparable à
celle-ci depuis la Grande Dépression, avec une série de pressions à la baisse
de la part des marchés financiers ayant des conséquences sur l'économie réelle
et faisant échouer les stabilisateurs économiques et les institutions :
« Une action rapide et coordonnée de
l'administration Obama, des autres gouvernements nationaux et des institutions
financières internationales peut détourner le cours de ces crises si l'action vise
audacieusement à répondre aux besoins des gens et des communautés, au lieu de
sauvegarder les institutions en échec et les pratiques du passé qui ont
contribué à créer cette crise. »
Ces « gens de gauche » voudraient
présenter Obama comme une sorte de nouveau Roosevelt. Mais le capitalisme
américain se trouve dans une situation entièrement différente d'il y a 75 ans.
Lorsque Roosevelt est entré en fonction en 1933, les États-Unis étaient encore
une puissance économique en expansion. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui,
ils sont le pays le plus endetté au monde. Obama a promis de donner une
impulsion à la dépense, censée profiter surtout aux entreprises, mais dans des
conditions où le taux d'endettement américain menace d'exploser, il a dit
clairement qu’on s’attaquerait aux droits à la protection sociale.
Une déclaration similaire a été publiée en
septembre dernier par un groupe qui porte le nom d’Économistes européens pour
une politique économique d’alternative. Comme leurs homologues américains, ils
affirment que leurs recommandations économiques s'appuient sur les analyses
avancées par Keynes pendant la dépression des années 1930 :
« Nos propositions pour une politique
économique d’alternative, qui puisse contrer la crise financière et la
récession qui menace l’Europe, partent de la conception bien connue de John
Maynard Keynes selon laquelle les politiques publiques doivent encourager
« l'euthanasie des rentiers […] Dans un scénario d’alternative, le crédit
ne devrait pas être employé pour des gains financiers à court terme mais plutôt
pour encourager l'investissement productif afin de promouvoir le plein emploi
et de contribuer à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. »
Ces économistes poursuivent en traçant les
grandes lignes d'une série de réformes, dont la fin de la privatisation des
retraites, un contrôle plus démocratique sur les institutions financières et la
fin de ces pratiques financières qui ont accéléré le mouvement vers une plus
grande inégalité sociale. Des politiques visant au plein emploi et à la
cohésion sociale « [transformeraient] la finance et incluraient, en tant qu’élément important et indispensable,
le secteur financier dans ce nouveau cadre. Ce ne serait pas la fin du
capitalisme mais la fin du capitalisme à moteur financier. »
L'erreur fondamentale de ce programme
réformiste tient à ce qu'il part du principe que la vaste expansion de la
finance au cours des trente dernières années est en quelque sorte une
excroissance malencontreuse qui s'est développée sur une économie réelle tout à
fait saine par ailleurs ; que l'on a perdu le contrôle de la finance, supposée
fonctionner comme une aide aux activités économiques productives, à cause de
réglementations laxistes et de l'idéologie néo-libérale et qu'il faut
maintenant la reprendre en mains.
Ce point de vue ignore les grands changements
structurels du capitalisme mondial ces trente dernières années. Au début des
années 1980, le secteur financier aux États-Unis s'appropriait entre 5 et 10
pour cent des profits des entreprises. En 2006, ce taux était de 40 pour cent.
Cela constitue un changement qualitatif de l'économie américaine. Il s'est
développé en réponse à la crise de l'accumulation de la fin des années 1970. Ce
nouveau mode d'accumulation s'appuyait sur des opérations financières alimentées
par une vaste croissance de la dette. En pourcentage du Produit intérieur brut
(PIB), la dette américaine est montée de 163 pour cent en 1980 à 346 pour cent
en 2007. Les dettes des ménages sont elles, passées de 50 pour cent du PIB en 1980
à 100 pour cent en 2007.
L'augmentation la plus rapide s'est produite
dans le secteur financier. Ses dettes sont passées de 21 pour cent du PIB en
1980 à 83 pour cent en 2000 et 116 pour cent en 2007.
Ces chiffres indiquent le rôle crucial du
secteur financier dans l'accumulation du profit et le rôle de la création de
dettes dans tout le processus. Cette transformation du mode d'accumulation, qui
a généré toute une série de nouveaux instruments financiers, notamment les
produits dérivés, n'est pas confinée aux États-Unis. En Grande-Bretagne, par
exemple, on estime que l'emploi dans le secteur financier a augmenté de 22 pour
cent depuis 1984. Il y a 30 communes en Grande-Bretagne où au moins 25 pour
cent des travailleurs qui y vivent sont employés dans le milieu des affaires et
des services financiers. 9 des 11 régions britanniques ont au moins une commune
où 20 pour cent des résidents travaillent dans ces services.
Une étude publiée en 2003 a établi que dans la
plupart des pays de l'OCDE, la part des revenus de la rente – les revenus qui
partent vers le secteur financier – a « augmenté de manière importante ».
Elle a établi que des années 1960-70 aux années 1980-90, la part des rentiers
au Royaume-Uni a augmenté de 143 pour cent, de 92 pour cent aux États-Unis, de
112 pour cent en Corée et de 155 pour cent en France.
Loin d'être une sorte d'excroissance sur le
corps, par ailleurs sain, de l'économie capitaliste, la croissance de la
finance signifie l'émergence de toutes les contradictions inhérentes à ce mode
de production. Le circuit du capital va de M à M' – un apport d'argent initial,
M, qui revient avec une plus-value, M'. Le capital-argent est le point de
départ et le point d'arrivée de tout le processus.
« C'est précisément parce que la forme
argent de la valeur est la forme indépendante et concrète sous laquelle il
apparaît, que la forme de circulation de M à M', qui commence et se termine
avec de l'argent réel, exprime le plus concrètement la création de monnaie, la
force motrice de la production capitaliste. Le processus de production apparaît
simplement comme une étape intermédiaire inévitable, un mal nécessaire pour
créer de l'argent. » (Marx, Capital Tome 2, p. 137).
En d’autres mots, ce n’est pas la finance qui
est accidentelle vis-à-vis de la production réelle, mais bien plutôt la
production qui, comme l’écrit Marx, est un « simple moyen de valorisation
de la valeur avancée ».
C’est pourquoi la crise historique du système
capitaliste dans son ensemble prend l’apparence d’une crise financière, parce
que le processus même de la financiarisation a donné à toutes les
contradictions du mode de production capitaliste une nouvelle et extrême
intensité.
L’ascension de la finance a été inséparable du
développement d'un régime d'accumulation qui a intégré toutes les sections de
la population du globe dans le circuit capitaliste mondial.
Dans la première décennie du vingtième siècle,
Rosa Luxembourg a, par erreur, envisagé que le capitalisme s'effondrerait parce
que toutes les régions non capitalistes du monde avaient été incorporées par
les puissances impérialistes.
Bien que son évaluation ait été erronée sur ce
point, l'histoire a incontestablement confirmé son insistance sur le rôle
crucial des régions du monde les moins développées.
Le capital parvint à surmonter la dernière
crise d'accumulation par l'incorporation du travail à bas salaires en Chine, en
Inde et dans d'autres régions dans son circuit mondial. Mais, ce faisant, il
n'a pas résolu ses contradictions fondamentales. Il a plutôt créé les conditions
de leur éruption sous une forme encore plus explosive. La tendance à la baisse
du taux de profit a été contrée pour un temps par la surexploitation du travail
en Chine et ailleurs, ainsi que par la baisse du niveau de vie de la classe
ouvrière dans les tous les pays avancés au cours des 30 dernières années.
Mais ce processus, à son tour, a créé une
vaste masse de capital fictif, qui prétend à sa part de la plus-value
accumulée. Comment va-t-on satisfaire ces prétentions ? Il n'y a pas
d'autre Chine en attente pour envoyer du sang frais dans les artères du
capitalisme, et même s'il y en avait une, le regain obtenu en employant des
travailleurs coûtant un trentième de ce que coûtent ceux des pays avancés ne
pourrait pas être répété.
Des sections entières du capital vont devoir
être éliminées par la récession et la dépression, par la guerre commerciale et,
si besoin, mécaniquement par une véritable guerre. Et partout dans le monde,
les « gens de gauche » vont jouer un rôle majeur en soutenant leur « propre
» bourgeoisie dans la guerre de chacun contre tous.
Les préparatifs idéologiques sont déjà en
route. Le dernier numéro du The Nation [magazine politique de référence
du camp démocrate, ndt] contient un article de William Greider, qui fait remarquer
qu'un plan de relance par un pays seul ne marchera pas parce que « l'obstacle
le plus complexe au rétablissement est la mondialisation et ses effets négatifs
sur l'économie ». Le plan de relance d'Obama, toujours selon Greider,
pourrait faire redémarrer les usines en Chine tout en laissant un chômage élevé
aux États-Unis.
Quelle est la réponse adéquate ? Un plan
de relance mondial. Mais que faire si les autres puissances ne sont pas d'accord ?
« Les États-Unis pourraient en proposer les grandes lignes avec une
condition fondamentale : si les partenaires commerciaux ne sont pas prêts
à agir ensemble, Washington devra agir unilatéralement. »
Autant pour les critiques « de gauche »
de George W. Bush. Et en quoi consisterait ce programme ? Des pénalités douanières
et des politiques économiques incitant les multinationales à maintenir leur
production au pays, qu'il faudra mettre en application par un régime fiscal
adapté et « Si nécessaire, un tarif général qui impose une limite maximale
aux importations. » C'est le retour au pré carré – le retour à la
politique du « ruine ton voisin ».
Ce n'est pas par hasard si l'effondrement du
capitalisme a émergé sous la forme d'une crise financière globale. Comme
l'expliquait Marx, le système de crédit est le moyen par lequel le capitalisme
a toujours surmonté les difficultés de son développement. Ainsi, le crédit « accélère
le développement matériel des forces productives et la création du marché
mondial, qu’il est de la responsabilité du mode de production capitaliste d’amener
à un certain niveau de développement, pour constituer les fondations
matérielles d'une nouvelle forme de production. En même temps, le crédit
accélère les manifestations violentes de cette contradiction, les crises, et
avec celles-ci les éléments de dissolution du vieux mode de production. »
« Le système de crédit a un double
caractère qui lui est inhérent : d'une part, il développe la motivation
pour la production capitaliste, l'enrichissement par l'exploitation du travail
des autres, en le système le plus pur et le plus colossal du jeu et de
l’escroquerie, il réduit encore plus le nombre déjà petit des exploiteurs de la
richesse sociale ; d'autre part, il est la forme de transition vers un
nouveau mode de production. »
Où en sommes-nous du point de vue historique ?
Il ne fait aucun doute que l'année 2008 marque un tournant dans la courbe du
développement capitaliste. Ce n'est pas qu'une sorte de récession très
profonde, mais la fin de toute une époque historique. L'effondrement historique
du mode de production capitaliste signifie que nous sommes à nouveau entrés
dans une période de guerres et de révolutions.
Toutes sortes de luttes sociales et politiques
vont avoir lieu sur l’ensemble du globe. Cela créera de nouvelles opportunités
et de nouveaux défis pour notre parti.
Notre tâche centrale pour la période à venir
est d'introduire dans ces luttes une perspective marxiste, s'appuyant sur
l'analyse développée par notre mouvement, et par lui seul, des leçons
historiques des expériences stratégiques de la classe ouvrière tout au long du
siècle passé.