L'article qui suit est la troisième partie
du rapport d'ouverture de Nick Beams, secrétaire national du Parti de l'égalité
socialiste (Australie) et membre du Comité de rédaction du WSWS, lors de
l'université d'été organisée par le PES en janvier 2009 à Sydney.
Pour accéder aux autres parties : 1, 2, 4
Je voudrais insister sur l'importance d'une
approche globale, parce que sans cela on ne peut rien comprendre des origines
et des causes de la Grande Dépression. Et ce ne sont pas simplement des
questions qui relèvent d'un intérêt historique. La Grande Dépression, de
fait, est devenue une question politique brûlante, au moment où le gouvernement
Obama prépare son prétendu plan de relance, et où divers économistes keynésiens
et « de gauche » de par le monde entrent en scène pour expliquer que
la crise qui menace actuellement les États-Unis et l'économie capitaliste
mondiale pourrait être évitée si seulement les mesures qu'ils proposent étaient
adoptées avec suffisamment de vigueur.
John Maynard Keynes était bien conscient de
son rôle politique lorsqu'il chercha à démontrer que l'intervention
étatique dans l'économie, en s'appuyant sur les dépenses en hausse, pouvait
résoudre les problèmes de l'économie capitaliste. Son but politique était
d'empêcher une révolution socialiste.
Comme il l'expliquait dans une lettre ouverte
au président Roosevelt à la fin de 1933 : « Vous êtes devenu celui sur qui
reposent les espoirs de tous ceux qui, dans chaque pays, cherchent à améliorer
notre sort par des expériences raisonnables dans le cadre de l'ordre social
existant. Si vous échouez, le changement rationnel sera gravement dévalué
partout dans le monde, laissant l'orthodoxie et la révolution régler leurs
comptes. »
Dans un cours présenté à l'Université de
Columbia en juin 1934, Keynes insista sur le fait que le problème économique
n'était plus de savoir comment chaque compagnie pouvait produire plus
individuellement, mais comment assurer une demande suffisante pour que chacune
produise ce qu'elle était capable de produire. Si ce « nouveau
problème » n'était pas résolu, « l'ordre existant dans la société
serait tellement discrédité que des changements sauvages, insensés,
destructeurs, deviendront inévitables. »
Pour Keynes, la crise du capitalisme n'émanait
pas de processus qui lui étaient inhérents, encore moins de lois objectives,
mais d'une mauvaise compréhension de celui-ci. Dans l'introduction de ses Essais
de persuasion, publiés en 1931, il résuma sa position comme « La
conviction profonde que le problème économique, comme on pourrait l'appeler
pour faire court, le problème du besoin et de la pauvreté et de la lutte
économique entre les classes et les nations, n'est rien d'autre qu'une horrible
période de troubles, une confusion transitoire et inutile. »
Toujours selon Keynes, la cause de la crise
tient à une erreur intellectuelle. La solution, en conséquence, se trouve dans
un raisonnement correct. C'était, comme le fait remarquer son biographe Robert
Skidelsky, sa réponse à Marx. Si les dirigeants du capitalisme ne
changeaient pas leurs habitudes et n'arrêtaient pas de réduire les salaires des
ouvriers pour rétablir les profits, une guerre de classe risquait d'éclater et
de confirmer Marx. Ces questions sont toujours d'actualité.
Les analyses de la Grande Dépression ont
toujours été profondément politiques parce qu'aucun autre événement économique
– avec ses conséquences monstrueuses, le chômage de masse, le fascisme et la
guerre – n'a démontré aussi clairement la faillite historique du mode de
production capitaliste.
Il est incontestable que des considérations
politiques figurent au cœur de l'analyse avancée par Milton Friedman dans son
livre Une histoire monétaire des États-Unis, co-écrit avec Anna Schwartz
et publié en 1963. Friedman, un des défenseurs les plus acharnés du
« libre marché », voulait démontrer qu'il n'y avait aucun problème
inhérent à l'économie capitaliste qui aurait pu causer un tel désastre. Il ne
voulait pas seulement réfuter les marxistes, mais aussi les keynésiens, qui
attribuaient la dépression à un manque de demande effective et appelaient à ce
que le gouvernement intervienne dans l'économie capitaliste.
Pour Friedman, la cause fondamentale de la
Dépression tenait à la politique monétaire contradictoire poursuivie par la
Réserve fédérale (la Fed), qui réduisit les liquidités, en particulier lors de
la crise bancaire de 1932, et transforma ce qui n'aurait dû être qu'une
mauvaise passe normale dans le cycle des affaires en une catastrophe.
Dans l'esprit de Friedman, une expansion de la
masse monétaire aurait pu empêcher l'effondrement si seulement des
personnalités différentes avaient été à la tête de la Fed. Pourquoi n'y
étaient-elles pas ? Friedman faisait remonter le problème à la mort de
Benjamin Strong, le gouverneur de la réserve fédérale de New York en 1928. Son
départ a perturbé l'équilibre de la Réserve fédérale et l'a laissé sans une
direction efficiente.
Cette explication ne passe pas même un examen
sommaire. Il n'y a aucune preuve que même avec la présence de Strong les
décisions de la Fed auraient été différentes. Après tout, la réponse de la Fed
à la crise des années 30 a été la même que celle qu'elle avait apportée à la
contraction sévère de 1920-21. Elle s'attendait à ce que l'économie reparte,
tout comme elle l'avait fait dans les « Roaring twenties ».
Malgré sa pauvreté intellectuelle, la thèse de
Friedman a guidé la Réserve fédérale américaine. Le président actuel de la Fed
a résumé ses conceptions lors d'un discours tenu en 2002, à l'occasion du 90e
anniversaire de Friedman. Décrivant l'analyse de Friedman et Schwartz
comme une théorie puissante, il conclut : « en ce qui concerne la Grande
Dépression. Vous [Friedman] avez raison, nous l'avons fait. Nous en sommes
désolés. Mais grâce à vous, nous ne le referons pas. »
Dans la foulée du krach du marché des actions
de 1987, les autorités financières américaines, d'abord sous la direction de
Greenspan à la Fed puis celle de Bernanke, ont suivi les recommandations de
Friedman. Chaque crise financière ou crise potentielle a été traitée par une
baisse des taux d'intérêt et une extension du crédit. Et ces méthodes ont
semblé marcher pendant près de 20 ans.
Des crises financières ont éclaté, mais elles
ont passé assez vite après l'injection de liquidités dans le système financier,
ce qui créait les conditions d'une nouvelle embellie.
Cependant, avec l'émergence de la crise des subprimes
comme on l'appelle, – elle-même le résultat de la bulle financière créée à la
suite de l'effondrement du marché des actions de 2000-2001 – ces méthodes ont
fini de fonctionner. L'expansion des liquidités n'a pas pu arrêter la crise,
qui n'a fait que s’aggraver, les banques et autres institutions financières
arrêtant de prêter les unes aux autres.
L'effondrement de tout l’ordre du « libre
marché » a donné un nouvel élan aux keynésiens. Ils maintiennent que cette
crise ne peut être résolue qu'avec un retour de l'intervention gouvernementale
et des plans de relance.
Lorsqu'on leur fait remarquer que les mesures
du New Deal n'ont pas pu mettre fin à la Grande Dépression, ils répondent que
le problème est qu'elles n'ont pas été poursuivies avec suffisamment de
vigueur. Devant l'argument selon lequel le déclin sur neuf mois de septembre
1937 à juin 1938 était, selon les termes d'un historien des événements, « sans
parallèle dans l'histoire économique américaine » et « le déclin le
plus fort de toutes les périodes pour lesquelles il existe des statistiques »
(Kenneth D. Rose "The recession of 1937-38", Journal of Political
Economy, juin 1948) ils insistent sur le fait que ce passage à vide suivant
l'amélioration de 1933-37 résultait de ce que Roosevelt avait suivi de mauvais
conseils en augmentant les impôts.
De plus, les keynésiens maintiennent que
l'amélioration de l'économie qui eut lieu à la suite des dépenses de guerre par
le gouvernement vient confirmer leur analyse. Les dépenses du gouvernement,
affirment-ils, sont efficaces si elles sont assez grandes. Le capitalisme peut
alors être régulé pour répondre aux besoins sociaux. La crise actuelle n'est
pas, comme le maintiennent les marxistes, le produit des contradictions
irréconciliables de l'ordre capitaliste, mais émane de l'abandon des sages
conseils du programme keynésien en faveur des poncifs de l'agenda du « libre
marché » au cours des trente dernières années.
Je traiterai de ces questions en examinant
d'abord théoriquement puis historiquement, en passant en revue les origines et
la résolution de la Grande Dépression.
Les fausses conceptions foncières du
keynésianisme s'appuient sur une mauvaise appréciation de la nature de
l'économie capitaliste. La force motrice du mode de production capitaliste
n'est pas la production de valeur d'usage ou la consommation, mais
l'accumulation de capital par l'extraction de la plus-value. La question clef
est donc : quel est l'effet des mesures keynésiennes – basées sur une
augmentation des dépenses gouvernementales – sur ce processus ? quel est
leur effet sur les profits ?
Pour les keynésiens, le problème fondamental
tient au manque d’une demande effective. S'il y a un manque de demande, les
denrées produites ne peuvent pas être vendues. Si les firmes qui les ont
produites ne peuvent pas les vendre, elles doivent réduire la production. Ce
qui entraînera une réduction de la demande pour les denrées que ces firmes
achètent elles-mêmes, entraînant une nouvelle baisse de la demande effective,
et ainsi de suite. La question centrale est alors de restaurer le niveau de la demande
effective pour que l'économie puisse recommencer à croître.
Regardons cela de plus près. Qu'est-ce que la
demande effective ? Elle est constituée de deux choses : la demande
des travailleurs pour des biens de consommation et la demande des entreprises
capitalistes pour des biens servant à la production. La demande des
travailleurs pour des biens de consommation – une demande s'appuyant sur leurs
salaires – ne peut jamais fournir un marché suffisant au capital pour réaliser
ses profits, parce que le prix des biens de consommation comprend les profits
qui vont au capital. En d'autres termes, la sous-consommation de la classe
ouvrière est permanente. Cela découle de la nature même de la production
capitaliste. La valeur de la force de travail – le salaire reçu par l'ouvrier –
est toujours inférieure à la valeur que l'ouvrier apporte dans le processus de
production. Cette différence est la source de la plus-value et du profit.
La source de la crise ne peut donc pas être la
sous-consommation par les travailleurs, puisque c'est une condition permanente
du mode de production capitaliste. Le niveau de la demande effective doit être
déterminé par les autres composants, la demande des entreprises capitalistes
pour les biens servant à la production. Et le niveau de cette demande sera
déterminé par le taux de profit. Si les profits augmentent, les dépenses
d'investissement augmenteront. Si l'investissement augmente, il y aura plus de
travailleurs employés dans les industries qui produisent ces biens. Si on
emploie plus de travailleurs, la consommation augmentera et l'économie dans son
ensemble se développera.
Keynes soulignait le rôle décisif de
l'investissement. Il voyait dans son déclin la conséquence de prévisions
pessimistes faites à partir de l'état du marché. Mais si la psychologie des
hommes d'affaires capitalistes et leur propension à investir est déterminée par
l'état du marché, on en revient à la même question : qu'est-ce qui
détermine l'état du marché ?
Il ne fait aucun doute qu'une crise ou une
dépression prend la forme, sur le marché, d'un manque de demande effective.
Mais ce manque n'est que la forme apparente d'un processus qui n'a pas ses
origines dans le marché, mais dans la sphère de la production.
Examinons cela de plus près. Chaque entreprise
capitaliste est confrontée aux diktats du marché. C'est par le marché que
chaque entreprise capitaliste réalise la plus-value – c'est-à-dire qu'elle la
transforme en argent – qu'elle a extraite de la classe ouvrière, ou, pour être
plus exact, qu’elle participe à l'appropriation de la plus-value totale qui a
été extraite de la classe ouvrière dans son ensemble.
Pour que la profitabilité d'une section
quelconque du capital puisse augmenter, le marché dans son ensemble doit
s'étendre. Cette extension se réalise par l'extraction de plus en plus forte de
plus-value par d'autres sections du capital.
Comme l’a dit Marx, la création de la
plus-value par le capital est « conditionnée à une expansion,
spécifiquement une expansion constante, de la sphère de la circulation. La
plus-value créée en un endroit requiert la création de plus-value en un autre
endroit, contre laquelle elle pourra être échangée. » (Marx, The
Grundrisse, p. 407).
Quel effet une augmentation des dépenses de
consommation – que ce soit directement par le gouvernement ou indirectement par
des réductions d'impôts – peut-elle avoir sur l'accumulation de la plus-value ?
Elle ne l'augmente pas. En fait, dans la mesure où les dépenses supplémentaires
du gouvernement doivent être financées par la création de dettes, elles peuvent
aggraver le problème à long terme en augmentant les exigences des détenteurs de
bons du Trésor en matière d'intérêts.
L'augmentation des dépenses de gouvernement
peut entraîner une expansion économique, c'est-à-dire une augmentation du
revenu national, pour un temps. Mais elle n'apportera pas par elle-même une
augmentation de l'accumulation de plus-value et du taux de profit.
Faisons une analogie avec la médecine. Si une
jeune personne reçoit un choc électrique qui arrête son cœur, une piqûre d'adrénaline
va redémarrer le cœur et lui sauver la vie. L'adrénaline fonctionne parce que
c'est le cœur d'une jeune personne en bonne santé. Mais si le cœur est en
mauvais état, aucune quantité d'adrénaline aussi élevée soit-elle ne résoudra le
problème sous-jacent.
Dans l'économie capitaliste, si le régime de
production est en bonne santé – s'il continue à produire suffisamment de
plus-value – alors une piqûre d'adrénaline économique sous la forme de dépenses
gouvernementales augmentées peut faire des miracles. Mais pas si le mécanisme
d'extraction est défectueux ou usé, pas si les artères par lesquelles la
plus-value s'écoule sont sclérosées.
En nous appuyant sur ces considérations
théoriques, nous pouvons nous tourner à nouveau vers le développement
historique de la Grande Dépression.
En 1933, l'économiste britannique Lionel
Robbins écrivait : « Nous ne vivons pas la quatrième mais la
dix-neuvième année de la crise mondiale. » Il voulait dire que la crise
n'avait pas commencée en 1929, mais en 1914. Adopter cette approche nous permet
d'avoir une compréhension correcte des causes de la Grande Dépression.
L'éclatement de la crise mondiale sous la
forme de la Première Guerre mondiale a eu lieu, comme nous l'avons déjà
remarqué, à un point d'infléchissement de la courbe du développement
capitaliste. Après une période de croissance à toute vapeur à partir du milieu
des années 1890, les taux de profit ont recommencé à baisser. Ce n'était pas
une simple fluctuation du cycle des affaires mais, comme le démontre
l'incapacité ultérieure de l'économie européenne à effectuer une reprise dans
la période d'après-guerre, une nouvelle phase du développement économique.
Dans les années 1920, de nombreux observateurs
ont pu envisager comment le capitalisme pouvait avancer : l'économie
européenne devait être reconstruite à la manière américaine, en utilisant les
méthodes de production américaines largement plus productives pour se
développer. Mais c'était impossible. La guerre elle-même avait éclaté en raison
du conflit entre l'expansion des forces productives et les restrictions
imposées par le système des États nations. Loin de calmer ce conflit, la fin de
la guerre – le traité de Versailles – n'a fait que l'aggraver.
L'expansion de l'industrie européenne, l'introduction
de méthodes de production à grande échelle, était bloquée par les barrières
douanières, les cartels, les accords pour limiter la production, et les
frontières nationales.
Au même moment, les États-Unis vivaient une
croissance rapide. Mais elle ne se suffisait plus à elle-même. Pour que
l'expansion économique américaine se poursuive, il fallait une expansion de
l'économie européenne. L'extraction de la plus-value de la classe ouvrière par
la méthode bien plus productive du capitalisme américain exigeait une extraction
accrue de plus-value en Europe. Cela ne put se produire, et le résultat fut l’effondrement
de l'économie américaine en 1929. En d'autres termes, même si la Dépression
prit la forme d'un effondrement de la demande effective, sa cause ne résidait
pas dans la sous-consommation, mais dans la sous-production de plus-value, en
particulier en Europe.
La Grande Dépression n'était pas une crise
débutant dans un pays donné puis se diffusant au reste du monde. C'était une
crise globale, qui trouva son expression la plus dramatique dans les deux
économies les plus productives du monde, les États-Unis et l'Allemagne.
Si l'effondrement a été tellement marqué aux
États-Unis, c'était parce que les économies européennes n'ont jamais réellement
émergées de l'état de dépression où elles étaient entrées après la guerre. Et
s'il a été si fort en Allemagne, c'est parce qu'aucune autre économie n'était
aussi comprimée par le système des Etats nations européens – une restriction
que la bourgeoisie allemande chercha à dépasser lorsqu'elle apporta son soutien
à Hitler, dans l'espoir qu'il se montrerait capable d'établir un Lebensraum
[espace vital] par ses conquêtes militaires à l'Est.
Au lieu de fournir une voie vers le progrès au
capitalisme américain, le New Deal de Roosevelt a convaincu, par son échec, les
cercles dirigeants américains que seule une réorganisation complète de l'ordre
mondial dans son ensemble pouvait résoudre l'impasse historique qui avait
entraîné la Grande Dépression. La voie devait être déblayée pour les méthodes
plus productives de l'industrie américaine. Comme l'expliquait Trotsky en
novembre 1933 : « Tôt ou tard, le capitalisme américain devra se frayer
une voie, dans toutes les directions, sur toute la planète. » Cette tâche
serait menée à bien, écrivait-il, par tous les moyens disponibles, y compris la
guerre.
Frayer un chemin au capitalisme américain
signifiait que les plans allemands pour un empire sur le continent européen
devaient être contrés. Il en allait de même pour les plans japonais d'un empire
à l'Est, la prétendue sphère de co-prospérité. Cela signifiait également, comme
le découvrit Churchill lors de sa rencontre avec Roosevelt en 1941 pour
discuter du Traité de l'Atlantique, que les plans américains pour le monde d'après-guerre
n’incluaient pas l'Empire britannique, avec ses frontières closes et ses accords
de préférence impériale en matière de commerce et de finance.
La réorganisation d'après-guerre, telle
qu’elle se manifeste dans les accords de Bretton Woods de 1944 et le plan
Marshall de 1947, apporta les fondements économiques d'une nouvelle période
d'expansion capitaliste. Ces mesures ont ouvert la voie à l'extension des
méthodes industrielles américaines au reste du monde, avec leur productivité du
travail plus élevée et une plus grande extraction de la plus-value, et à
l'expansion de l'investissement américain.
En moins de trente ans pourtant, toutes les
contradictions fondamentales du mode de production capitaliste allaient
réapparaître. L'histoire de l'effondrement du système monétaire de Bretton
Woods en 1971-73 peut être racontée du point de vue des excédents de dollars
circulant dans le monde comparés à l'or stocké aux États-Unis qui était supposé
leur servir de garantie. Mais ce n'était que l'expression d'un processus plus fondamental :
la contradiction entre la croissance de l'économie mondiale, que le système
monétaire lui-même avait rendu possible, et l'ancrage de ce système monétaire
sur la monnaie d'un seul Etat-nation – fut-il le plus puissant – les États-Unis.
En d'autres termes, la contradiction entre l'économie mondiale et le système
des États nations avait refait surface. Dans la foulée de l'effondrement de
Bretton Woods, chaque proposition visant à mettre au point une unité de compte
internationale stable échoua à cause des intérêts nationaux opposés des grandes
puissances capitalistes, tout comme avait échoué auparavant la proposition de
Keynes d'une monnaie internationale.
L'autre contradiction à laquelle nous avons
fait référence est également réapparue. La récession mondiale de 1974-75 ne
résultait pas seulement d'une augmentation des prix du pétrole, ce n'était que
le facteur déclenchant. Elle émanait d'une baisse du taux de profit qui
commença à la fin des années 1960. La courbe du développement capitaliste avait
entamé une baisse.
J'ai décrit les développements que cela a
entraîné dans ma présentation The World Economic Crisis : A Marxist Analysis
en décembre, je ne répéterai donc pas les points que j'y ai soulevés, sauf pour
en souligner la question centrale. L'effondrement dans lequel le capitalisme
mondial est entré en 2008 n'était pas la conséquence de mauvais choix
politiques, ou d'une compréhension erronée de la part des politiciens bourgeois
et qui pourraient être corrigés à présent. Il était dû à des processus qui ont
été mis en branle par la crise du début des années 1970 et qui étaient inscrits
dans la logique économique et historique du mode de production capitaliste
lui-même.