L'article qui suit est la première
partie du rapport d'ouverture de Nick Beams, secrétaire national du Parti de
l'égalité socialiste (Australie) et membre du Comité de rédaction du WSWS, lors
de l'université d'été organisée par le PES en janvier 2009 à Sydney.
Pour accéder aux autres parties : 2, 3, 4
Pour commencer ce rapport, je voudrais
que l'on se penche sur son titre : le krach de 2008 et ses implications
révolutionnaires.
L'usage du terme « révolutionnaire »
n'est pas une sorte d'ornement rhétorique que l'on pourrait aussi bien omettre.
Il vise à attirer l'attention sur les implications historiques de la crise
économique mondiale et sur les nouvelles tâches qu'elle impose à notre parti.
L'on a fait de nombreuses références à
la Grande Dépression des années 1930 dans les médias, et il ne fait aucun doute
que ce qui se prépare constitue la crise économique la plus sérieuse depuis
cette époque. Mais si l'on doit faire une comparaison historique, je pense que
la référence devrait être 1914 plutôt que 1929.
L'année 1914 a vu l'effondrement de
l'ordre capitaliste mondial. Il a pris la forme d'une guerre, mais derrière
l'éclatement du conflit militaire entre les puissances européennes, il y avait
l'effondrement des fondations économiques sur lesquelles était établie la
précédente période de relative stabilité.
Cet effondrement du capitalisme en 1914
devait ouvrir une époque de luttes révolutionnaires, bien que ce fut loin
d'être évident à ce moment-là. Le nom de Lénine n'était connu que d'une assez
petite poignée de gens lorsqu'en 1915 il examina les éléments objectifs d'une
situation révolutionnaire, insistant, à l’encontre des trahisons des
sociaux-démocrates qui s'étaient alignés sur leur « propre » classe
dirigeante et l’avaient soutenue, sur le fait que la guerre avait mis la
révolution socialiste à l'ordre du jour.
Un effondrement du capitalisme n'est pas
une simple crise économique. Cela signifie l'ouverture d'une nouvelle époque,
au cours de laquelle le sort de la société sera déterminé pour les décennies à
venir. Nous sommes entrés dans une période de ce genre. L'année 1914
marqua le premier grand effondrement de l'ordre capitaliste. L'année 2008
marque le second.
L'année 2009 s'est ouverte par une
démonstration parlante des conséquences de cet effondrement. L'assaut israélien
sur Gaza n'est pas qu'une poursuite de la guerre répressive contre le peuple
palestinien, qui dure depuis plus de 60 ans, c'est un présage de ce que sera la
nature des relations internationales et les décisions politiques au cours de la
période à venir.
L'Etat sioniste est mû en grande partie
par les contradictions internes à la société israélienne elle-même, lesquelles
ont pris une nouvelle ampleur en raison de la crise économique mondiale. Le
fait que furent évoqués, au fur et à mesure de l'assaut contre Gaza, les pires
crimes commis dans les années 1930 et 1940 – Guernica et la liquidation du
Ghetto de Varsovie – est le signe le plus flagrant de la nature de l'époque
historique dans laquelle nous sommes maintenant entrés.
Et la réaction de toutes les prétendues
démocraties devant cet assaut rappelle tout à fait leur attitude devant
l'attaque menée par l'Etat fasciste italien contre l'Abyssinie dans les années
1930.
Depuis que la crise financière mondiale
a éclaté dans toute son ampleur en août et septembre, il est devenu évident que
l'économie capitaliste mondiale ne doit pas simplement faire face à une série
de pertes massives et de récessions majeures, mais à l'effondrement d'un mode
d'accumulation du capital dans son ensemble.
Lors de l'entretien accordé au Financial
Times pour son départ, le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, a
déclaré que depuis août, il avait craint un effondrement du système financier
mondial à trois reprises. Ce risque n'est toujours pas écarté. Le 21 décembre,
le gouverneur de la banque centrale espagnole, Miguel Angel Fernandez Ordonez,
a prévenu dans un entretien avec la presse que le monde devait faire face à une
faillite financière « totale », dont on n'avait pas vu l'équivalent
depuis la Grande Dépression :
« Le marché [des prêts] interbancaires
ne fonctionne plus et cela entraîne un cercle vicieux : les consommateurs
ne consomment pas, les hommes d'affaires n'embauchent pas, les investisseurs
n'investissent pas et les banques ne prêtent pas. C'est une paralysie presque
totale à laquelle personne n'échappe. »
On apprend maintenant que la banque Bank
of America a besoin de plus de fonds du gouvernement pour pouvoir mener à bien
son rachat de Merrill Lynch, et l'on craint une nouvelle série de faillites
financières au cas où elle se retirerait de l'opération.
Chaque nouvelle information économique
indique une aggravation de la crise mondiale. Les pertes financières totales
aux États-Unis sont déjà estimées à 4000 milliards de dollars pour le marché
immobilier et 9000 milliards pour le marché des actions.
Le Washington Post a rapporté le
3 janvier que l'on prévoyait que la dette nationale américaine augmenterait de
2000 milliards de dollars pour cette seule année, ce qui soulève la question de
savoir combien de temps les investisseurs étrangers, qui détiennent des parts
importantes de cette dette, continueront à financer les États-Unis. Pour l'instant
il y a une forte demande de bons du Trésor américain – ce qui est en soi une
manifestation de la peur qui a saisi les marchés financiers mondiaux – mais
pour combien de temps, personne ne le sait. Selon l'un des analystes cités dans
l’article : « Il y a une bombe à retardement quelque part là-dedans,
mais nous ne savons pas exactement quand elle doit exploser. »
D'après les données les plus récentes,
les investisseurs étrangers détiennent environ 3000 milliards de dollars sur la
dette américaine totale qui se monte à 10 700 milliards. Si des parties
importantes de ce capital s'en vont, cela démarrera un effondrement financier.
La récession aux États-Unis, qui, selon
le Bureau national de recherche économique, a débuté en décembre 2007, dure
maintenant depuis 12 mois – plus longtemps que la moyenne des récessions
d'après-guerre. Si elle se poursuit jusqu'en avril 2009, elle aura été plus
longue que toutes les récessions de l'après-guerre. Le total des emplois perdus
cette année a atteint 2,6 millions en décembre, en faisant la plus mauvaise
année pour l'emploi depuis 1945. La plupart de ces pertes ont eu lieu dans les
quatre derniers : 403 000 en septembre, 320 000 en octobre,
533 000 en novembre et 524 000 en décembre.
Les données sur l'industrie manufacturière
aux États-Unis et de par le monde indiquent une accélération de la baisse
d'activité. Aux États-Unis l'Institut pour la gestion de l'offre a indiqué que
son indice était tombé à 32,4, proche de son plus bas niveau de 30,3 en 1980.
Les nouvelles commandes ont baissé pendant 13 mois consécutifs et sont
actuellement à leur niveau le plus bas depuis que leur recensement a commencé
en 1948.
L'un des indices dont l'évolution est la
plus suivie en Europe a atteint 33,9 en décembre, en baisse par rapport au 35,6
du mois précédent, sachant qu'il indique une contraction de l'économie quand il
est inférieur à 50. On observe la même chose en Asie, où le Japon et la Corée
ont enregistré des contractions violentes. Toyota, l'entreprise de référence
pour l'industrie automobile, devrait enregistrer un déficit sur une année
complète pour la première fois de son histoire au mois d'avril. La Chine, qui
était censée pouvoir empêcher une plongée dans la récession mondiale il y a
encore quelques mois, subit son déclin le plus sérieux depuis l'« ouverture
du marché » il y a 30 ans. Le secteur manufacturier s'est contracté pour
le troisième mois consécutif, et la croissance chinoise serait tombée à 5,5
pour cent, bien en deçà des 8 à 9 pour cent que le régime considère comme le minimum
nécessaire pour maintenir la stabilité sociale.
Le dernier rapport de JP Morgan Global
Research commence ainsi : « Nous sommes au milieu d'une profonde
contraction mondiale, il est probable qu'elle entraîne la plus forte baisse
annuelle du PIB mondial de toute l'après-guerre. » Il estime que la
croissance moyenne dans le G-3 [trois pays les plus développés : États-Unis,
Japon, Allemagne] baissera de 5 pour cent.
Comme pour se rassurer face à cette
situation angoissante, le Financial Times a commencé la nouvelle année
par un éditorial intitulé, « S'inspirer du riche héritage de 1989 » :
« Dans une décennie sombrement
dominée par le terrorisme islamiste, le réchauffement climatique et la crise
financière, il est difficile de se remémorer les jours heureux de 1989 lorsque
le Communisme s'effondra en Europe et que le monde semblait paré pour un avenir
radieux.
« "C'était une bénédiction de
vivre à l'aube de cette époque", écrivait Wordsworth à propos de la
Révolution française. Des millions de gens qui ont participé, il y a 20 ans, à
la destruction du mur de Berlin, au renversement du régime soviétique en Europe
de l'Est et à la désintégration de l'Union soviétique qui s’en suivit, se sont
fait l’écho de ses pensées. »
Bien sûr, comme cet éditorial est obligé
de le reconnaître, « la joie a vite cédé la place à la désillusion, la
restructuration économique dévastant la vie des gens ». Néanmoins, il y
avait tout de même quelque chose à fêter dans la destruction de l'Union
soviétique, qui, toujours selon l'éditorial, devrait fournir une source
d'inspiration pour les temps futurs.
« Ces vingt ans représentent plus
qu’un anniversaire opportun. Avec cette crise économique mondiale qui frappe
durement les ex-pays communistes, cela marque la fin d'une époque. L'avancée
vers l'Est de l'Alliance occidentale a atteint, pour le moment, ses limites. La
Russie va résister, par la force si nécessaire, à toutes les tentatives
d'avancées supplémentaires. Mais les troubles économiques préoccuperont les
gouvernements. Tout en luttant pour établir leur avenir, ils devront chercher à
préserver l'héritage de la période de 1989 à 2009. Oui, les temps ont souvent
été durs. Mais la plupart des régions étaient irriguées par un sens du progrès.
J'espère que ce sens ne sera pas perdu dans les difficiles années à venir. »
Le fait que « l'héritage de 1989 »
soit tout ce que le Financial Times ait à offrir à ses lecteurs pour les
temps troublés qui s'annoncent est un signe du manque de confiance et de
perspective, pour ne pas dire de la considérable nervosité, avec laquelle la
bourgeoisie aborde cette crise mondiale. Et c'est avec raison, car la crise
économique mondiale n'a pas fait qu'endommager les grandes structures
économiques bâties au cours des vingt dernières années, elle a discrédité le
dogme du libre marché qui constituait la fondation idéologique de tous les
gouvernements du monde.
Le véritable héritage de 1989 n'est pas
là où le Financial Times le cherche. Il se trouve plutôt dans la crise
financière elle-même. La fin de l'ordre établi durant la Guerre froide, tout en
apportant un peu d'air frais au capitalisme à court terme, a servi, à long
terme, à déchaîner toutes ses contradictions internes.
Le chroniqueur économique de ce même Financial
Times, Martin Wolf, adoptait un ton quelque peu différent dans son premier
article de l'année le 7 janvier :
« Bienvenue en 2009. C'est l'année
où sera déterminé le sort de l'économie mondiale, peut-être pour des
générations. Certains entretiennent l’espoir qu'on puisse retrouver la
croissance économique globalement déséquilibrée du milieu de cette décennie.
Ils ont tort. Notre choix concerne ce qui va la remplacer. Il se fera entre une
économie mondiale plus équilibrée et la désintégration. Ce choix ne peut pas
être repoussé. Il doit se faire cette année.
« Nous sommes aux prises avec la
crise financière mondiale la plus importante depuis 70 ans. En conséquence, le
monde est à court d'investisseurs privés dignes de confiance, disposant de
fonds importants et volontaires. La solution de rechange qui consiste à
s'appuyer sur les vastes déficits fiscaux américains et à l'expansion du crédit
de la Banque centrale est un expédient temporaire – bien que nécessaire. Mais
cela n'amènera pas un retour durable à la croissance. Des changements
fondamentaux sont nécessaires. »
En d'autres termes, le problème qui se
pose au capitalisme mondial ne tient pas à ce que des pertes vertigineuses
aient été subies, mais à ce que tout un régime d'accumulation ait cessé de
fonctionner. Personne cependant ne peut répondre à l'appel de Wolf en faveur d’« une
économie mieux équilibrée ». Le véritable déséquilibre n'est pas entre les
pays dits en déficit et les pays qui produisent un excédent comme la Chine. Il
est plus fondamental que cela. Ce déséquilibre plonge au cœur du système
économique lui-même : il se fait entre l'accumulation massive de capital
fictif dans toute l'économie capitaliste mondiale et la plus-value nécessaire
pour le garantir. Ce déséquilibre ne peut être résorbé qu'en détruisant de
grands pans de capital, apportant la dévastation économique à la classe
ouvrière sur toute la planète – des États-Unis et de l'Europe jusqu'à la Chine,
l'Inde et aux autres économies dites « émergentes ».
Lors d'un récent entretien avec le Financial
Times, le directeur général de JP Morgan Chase, Jamie Dimon, ne s'est pas
contenté de prévenir des troubles à venir, il a aussi indiqué les implications
plus générales de cet effondrement. « Quand on regarde les excès de
secteurs comme les prêts à fort effet de levier et la sécurisation, il est
clair que certains de ces marchés ne referont jamais surface », a-t-il
déclaré. Mais ce sont précisément ces marchés qui ont joué un rôle tellement
incontournable dans l'expansion de l'économie américaine et mondiale des vingt
dernières années.
Pendant que les rédacteurs du Financial
Times, face à cette situation, s'accrochent à leur héritage mal-en-point de
1989, les événements des deux dernières décennies constituent une confirmation
puissante de l'analyse faite par le Comité international de la quatrième
internationale. C'est notre mouvement, et lui seul, qui expliquait que, loin
d'ouvrir de nouvelles opportunités au développement du capitalisme,
l'effondrement des régimes staliniens n'était que la première manifestation
d'une crise historique de l'ensemble de l'ordre capitaliste mondial.
Je me pencherai là-dessus de manière
plus détaillée un peu plus avant dans cette présentation, mais permettez-moi de
souligner le fait que les événements de l'année passée démontrent la puissance
de la méthode marxiste.
Il y a un an, lors de notre réunion ici
à Sydney en janvier 2008, nous avons discuté d'un document écrit par David
North, « Notes sur la crise politique et économique du système capitaliste
mondial et les perspectives et les tâches du Parti de l'égalité socialiste »,
publié sur le World Socialist Web Site le 11 janvier 2008.
Ce document commence ainsi : « 2008
sera caractérisée par une intensification significative de la crise économique
et politique du système capitaliste mondial. Les turbulences dans le marché
mondial ne sont pas les manifestations d'un passage à vide conjoncturel, mais
plutôt un désordre systémique qui déstabilise déjà la politique internationale.
[…] Seize ans après la dissolution de l'Union soviétique, un événement qui aurait
dû marquer le triomphe définitif et irréversible du capitalisme, l'économie
mondiale est dans le marasme. L'éclatement de la bulle du marché immobilier aux
États-Unis, qui a été alimentée par des investissements spéculatifs incontrôlés
dans les prêts hypothécaires à risques, a entraîné des pertes globales de
centaines de milliards de dollars pour les banques internationales et les
autres institutions financières. […] Le résultat en est une crise financière
internationale qui, selon les mots d'un analyste, a remis en question la
viabilité et la légitimité du système capitaliste anglo-américain. »
Dans le rapport que j'ai présenté à
cette réunion de 2008, je notais que la crise financière aux États-Unis et
l'expansion économique de la Chine et d'autres pays moins développés, n'étaient
pas des événements distincts mais différents aspects d'un même processus :
« Pour résumer : la croissance
prolongée de la Chine (ainsi que d'autres pays) n'aurait pas été possible sans
la croissance massive de la dette aux États-Unis. Mais la croissance de cette
dette, qui a soutenu l'économie américaine aussi bien que la demande mondiale,
a maintenant entraîné une crise. »
Bien sûr, on pourrait m'opposer qu'à ce
moment de l'année dernière, la crise financière avait déjà émergé et qu'il
n'était pas si difficile de tirer de telles conclusions. Alors remontons plus
en arrière.
Dans un rapport à l'occasion d'une
réunion le 5 juin 2000 j'ai fait la remarque suivante sur les implications de
la croissance du capital fictif.
« Dans la religion chrétienne,
selon les prêtres, l'âme quitte le corps et monte au ciel. Les grands prêtres
du marché prêchent une doctrine similaire, affirmant que la monnaie peut se
détacher du processus de production et entrer dans un paradis financier où
l'argent crée de l'argent sans fin.
« Est-il possible pour le capital
de réaliser ses rêves de transformer l'argent en encore plus d'argent
infiniment ? Ou bien y a-t-il des limites intrinsèques à ce processus ? La
valeur des actions peut continuer à augmenter tant que du capital nouveau se
déverse sur le marché. En d'autres mots, les revenus et les profits peuvent
être accumulés à la manière d'une arnaque pyramidale, ou d'une chaîne postale.
« Alors qu'il s'élève toujours plus
au-dessus du capital productif au point de le faire paraître minuscule, le
capital fictif ne peut cependant, pas échapper à ses origines. À un certain
point, il est confronté au fait qu'il constitue un dû sur la plus-value, et
cette plus-value doit être extraite de la classe ouvrière. […] La structure du
capitalisme mondial prend de plus en plus la forme d'une pyramide inversée, la
masse de capital fictif réclamant une portion de la plus-value augmentant bien
plus vite que le capital productif qui doit en fin de compte répondre à cette
exigence. »
Ce rapport poursuivait en indiquant la
crise financière qui devait éclater au grand jour huit ans plus tard : « cette
structure en pyramide inversée du capital mondial est la source de son
instabilité extrême. Des centaines de millions de dollars de capital, cherchant
à maintenir leur taux de rentabilité, se ruent sur les marchés mondiaux à la
recherche du profit.
« Quand les prix des titres de
propriété – actions, bons du Trésor, valeurs immobilières, etc. – augmentent,
le capital coule à flots, cherchant à faire du profit en achetant à bas prix et
en revendant cher. Tout le monde fait son blé tant que le soleil brille. Mais
lorsque le marché fait défaut, et qu'il devient évident que les valeurs des
capitaux ont été grandement exagérées, la ruée vers la sortie prend la forme
d'une bousculade et d'un jour à l'autre le capital est détruit – non seulement
le capital fictif, mais aussi le capital productif. »