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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Rachida Dati : bilan d'une opportuniste

Par Olivier Laurent
26 mars 2009

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Ministre de la Justice la plus controversée de l'histoire de la Cinquième République, Rachida Dati quittera ses fonctions en juin. Le président Sarkozy ayant annoncé le 21 janvier qu'elle sera candidate en seconde position sur la liste UMP pour l'Île-de-France aux élections au Parlement européen prévues en juin, position qui lui garantira d'être élue.

Elle aura été le fer de lance de la politique de Sarkozy, adhérant complètement à sa volonté de mettre au pas la justice française. Sarkozy, élu en grande partie sur une campagne sécuritaire, traitant les jeunes de banlieue de « racaille » et rencontrant le leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen dès son élection trouva pourtant en Dati, issue d'une famille d'immigrés, une alliée parfaite.

Née en 1965 dans une famille modeste de 11 enfants, c'est la première personnalité politique d’origine maghrébine à avoir eu accès à une fonction régalienne dans gouvernement français. Elle fut classée parmi les « personnalités d'ouverture » de Sarkozy : des ministres et autres hauts responsables qui étaient censés représenter un embryon d'union nationale entre des forces « de gauche », et une droite prétendument rénovée (c'est-à-dire opposée au racisme et soucieuse du sort des classes populaires, en façade), dirigée par Sarkozy.

Ainsi des anciens socialistes Bernard Kouchner (actuel ministre des Relations internationales), Dominique Strauss-Kahn (ancien ministre de l'Économie, devenu directeur du FMI grâce à l'appui de Sarkozy), Jack Lang (ancien ministre de la Culture nommé par Sarkozy dans un comité de réflexion sur la réforme des institutions) ou encore de Martin Hirsch (ancien président de l'association caritative Emmaüs et actuel Haut commissaire à la lutte contre la pauvreté), Fadela Amara (fondatrice de l'association féministe Ni putes ni soumises et actuelle secrétaire d'Etat à la politique de la ville) et Rama Yade (secrétaire d'état aux droits de l'Homme, dont le père était un homme politique socialiste sénégalais, elle fut brièvement inscrite au PS avant de passer à l'UMP en raison de la politique de discrimination positive promue par Sarkozy).

Mais Dati, elle, n'a jamais été associée à aucun mouvement pouvant réclamer, au moins superficiellement, être « de gauche ».

Après une maîtrise d'économie, elle obtient rapidement un poste élevé à Matra en 1987, puis à la Berd au début des années 1990, banque créée par Jacques Attali pour financer le rétablissement du capitalisme dans les pays de l'Est. Attali est un économiste et polémiste opportuniste qui défendait les nationalisations de Mitterrand en 1981, le tournant de la rigueur en 1983 et qui a présenté un programme de libéralisations à tout va en 2007.

Dati est le cas, pas si rare en politique, d'une personne issue de la classe ouvrière (son père était maçon, elle a travaillé comme aide-soignante et vendeuse au porte-à-porte pour payer ses études) qui a choisi de s'en sortir seule le plus vite possible plutôt que pencher vers la solidarité. Cécilia Sarkozy, première femme du président, issue de la grande bourgeoisie, a dit d'elle, « C'est plus qu'une amie, c'est ma sœur. Je ne la lâcherai jamais. Je connais tout d'elle. Elle est de la race des seigneurs. » [notre italique.] Son insertion dans la haute société rappelle le mélange de culot et de calcul du personnage arriviste de Rastignac chez Balzac : en cherchant à gagner la confiance des gens de pouvoir et ciblant ceux qui pouvaient faire avancer ses ambitions.  Elle présentera les choses ainsi : « J’ai eu peur du déterminisme. Il fallait que j’accède à autre chose. »

Celle qui, en 1982, à 17 ans, écrivait au courrier des lecteurs du journal Jeune Afrique que « un article a particulièrement attiré mon attention, celui des travailleurs "clandestins". Le problème s’accentue sous toutes ses formes. Avec ces régularisations des "sans-papiers", avec ceux qui font la grève de la faim pour être enfin assimilés à leurs compatriotes étrangers en règle. Le résultat est hausse de tension, racisme et même xénophobie envers ces étrangers dont la plupart ne le méritent pas, quelle que soit leur situation », se retrouve maintenant associée au président le plus réactionnaire depuis Pétain.

Pour s'intégrer à ce milieu, elle adhérera à l'institut Montaigne (think tank libéral), au club Le siècle (qui rassemble de puis 1944 des personnalités politiques françaises de droite comme de gauche), et créera le sien, le club du XXIe siècle (pendant du Siècle orienté vers l'intégration des hommes d'affaires et hauts fonctionnaires issus de l'immigration). Devenue juge en 1999, elle deviendra conseillère de Sarkozy au ministère de l'Intérieur en 2002, soit moins de quatre ans après avoir été nommée magistrate, ce qui est interdit par les statuts de la magistrature (article 12).

Sa nomination à la justice causera rapidement des frictions avec la profession judiciaire. Peut-être en partie par esprit de corps et conservatisme, mais aussi parce qu'elle ne semblait pas qualifiée pour le poste, notamment en raison de son admission sur titre (au lieu de la voie classique par concours) à l'école de la magistrature et sa carrière très courte en tant que magistrate (1999-2002). Le titre en question, un MBA (Bac +5), ne lui ayant de plus pas été décerné puisqu'elle n'a jamais terminée sa cinquième année.

Son goût particulièrement affiché pour le luxe, tournant parfois à la provocation (elle est allée jusqu'à justifier l'achat de collants et de rouge à lèvres de luxe sur le budget du ministère), constituait un affront supplémentaire dans le contexte des réductions budgétaires qu'elle allait mettre en place.

Plus d'une douzaine de démissions de collaborateurs proches, dont d'éminents juristes comme l'ancien directeur de l'Ecole de la magistrature Michel Dobkine, ont émaillé son mandat au ministère de la Justice. Selon l'un de ses anciens collaborateurs cité dans une récente biographie intitulée Belle-amie : « On ne comprenait même pas ce qu'elle nous demandait. Elle ne porte aucun débat, aucune idée sur les questions centrales de Justice. » Il y a une raison fondamentale à cela : elle est en poste pour mener aveuglément la politique voulue par Sarkozy.

Devant tout à ses relations, elle se montrera un bon soldat de Sarkozy, appliquant les réformes à la lettre et sans états d'âme : elle a décrit son travail de ministre ainsi lors d'une interview : « j'avais un cahier. J'ai pris tous les engagements du président, et je cochais. » Ce faisant, elle a contribué à un mouvement du "tout sécuritaire" qui a débuté il y a une dizaine d'années. Depuis 2001, dix-sept lois ont renforcé les moyens de la police et de la justice pénale et quatre autres textes sont prévus. Son départ n'entraînera aucun infléchissement de la politique gouvernementale.

Sarkozy a besoin de réformer profondément la justice, autant pour répondre plus fermement aux mouvements de protestations que pour protéger son régime des investigations de la justice. D'autant  qu'il pourrait y avoir un intérêt personnel : un rapport de Jean-Claude Marin, procureur général de Paris, daté du 22 novembre 2007 mentionne son nom (tout en recommandant le non-lieu) dans l'affaire des frégates de Taïwan.

Ainsi, on peut mettre au compte de Dati, entre autres :

— La loi du 11 août 2007 instaurant des peines minimales pour les récidivistes qui constitue un retour en arrière, les peines minimales ayant été entièrement supprimées en 1994 pour laisser plus de liberté à l'appréciation des circonstances par les juges.

— La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté qui permet de prolonger la détention des auteurs de crimes graves qui « présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive » après qu'ils ont fini de purger leur peine. Ceci constitue une violation du principe de Légalité (qui impose que toute privation de liberté soit décidée par un juge, pour des faits précis, et une seule condamnation par fait). Au-delà des conséquences directes et extrêmement dures pour les condamnés, c'est un précédent inquiétant. Rien n'indiquant quelles sont les limites acceptables des exceptions au principe de Légalité, le gouvernement pourrait en créer à l'avenir pour des infractions de plus en plus faibles, y compris certaines contraventions comme il s'en produit régulièrement dans les luttes politiques et syndicales ; après tout, quelqu'un qui ne renonce pas à ses engagements politiques présente aussi « une probabilité très élevée de récidive ».

— Elle a surtout dirigé la modification de la carte judiciaire, qui supprime des tribunaux dans les zones peu peuplées en transférant leur personnel dans les tribunaux restants mais sans leur apporter de moyens supplémentaires. Ce n'est qu'une mesure d'économie contribuant à rendre la justice à la fois plus lente et moins accessible aux citoyens. Elle a supprimé sept cours d'appel sur 22, ainsi que 321 juridictions de première instance de diverses catégories, soit plus du quart du total des juridictions de ces catégories. L'opposition à ce projet était très forte, autant dans les tribunaux que chez les élus de tous bords et les avocats. Plus de 200 recours contre son décret d'application avaient été déposés, s'appuyant en particulier sur le fait que le comité consultatif créé pour l'occasion n'a jamais été consulté. Un nouveau décret a donc dû être pris en octobre 2008, ne changeant que quelques détails du projet.

— Le projet de loi sur la délinquance des mineurs se place également dans cette logique du « tout répressif ». Dati a certes annoncé qu'il ne comportera pas les éléments les plus critiqués comme la possibilité de détenir des enfants de 12 ans, mais le projet maintient la responsabilité pénale à partir de 13 ans alors qu'actuellement, la maturité des mineurs est appréciée au cas par cas par le juge après avis d'un psychologue.

De plus, cette dernière mesure intervient dans le contexte d'une réduction de 40 pour cent du budget de la protection judiciaire de la jeunesse et d'une séparation comptable entre les missions de prévention-protection d'une part et d'accompagnement des mesures de justice visant les mineurs d'autre part. Le premier volet va se retrouver à la charge des collectivités locales sans aucun transfert de fonds correspondants. Il y a là une volonté délibérée de faire des jeunes les principales victimes de la crise économique qui se développe.

Elle est allée au-delà du simple devoir de solidarité d'un ministre avec son gouvernement, devenant un vecteur privilégié des messages autoritaires que l'élite dirigeante veut faire passer à l'opinion. Ainsi, dans l'affaire du journaliste de Libération emmené brutalement en garde-à-vue pour une banale affaire de diffamation, déclarant que les policiers n'avaient rien à se reprocher, y compris pour avoir menotté le journaliste devant sa famille. Ce qui constitue un avertissement clair aux médias.

Et encore plus lorsqu'elle reprendra le travail seulement cinq jours après avoir accouché. Une décision aux implications politiques évidentes, qui cherche à « donner l'exemple » à la classe ouvrière et qui mine le droit au congé de maternité, dans la droite ligne du slogan cynique, « travailler plus pour gagner plus ».

La candidature de Dati aux Européennes est présentée dans toute la presse comme une chute en disgrâce.Ce départ correspond à la situation de plus en plus délicate de l'UMP au pouvoir, les tensions internes en sont exacerbées alors que le pouvoir a de plus en plus besoin de donner une image de fermeté.

L'opposition parmi les juges et les fonctionnaires de la justice a atteint un niveau élevé, ce qui ne peut qu'inquiéter un pouvoir qui s'appuie de plus en plus sur la répression. En novembre 2008, plus de 500 magistrats avaient signé une pétition demandant la fin des pressions personnelles exercées par le ministre contre eux ainsi que des excuses pour les critiques qu'elle avait publiquement faites contre des magistrats. Le 23 octobre, lors d'une journée d'action largement suivie, les magistrats, rejoints par les autres professions judiciaires, déclaraient leur opposition à son « action catastrophique », sa « politique menée sans aucun moyen [et] qui met en danger la démocratie ».

Le taux d'approbation de Sarkozy est tombé aux alentours de 40 pour cent, dans les grandes manifestations, de nombreux manifestants le prennent directement à partie dans leurs pancartes. Il cherche donc à la remplacer par quelqu'un de moins controversé qui pourrait peut-être inciter les personnels de justice dont il a tant besoin à rester à leur place, tout en veillant à ne pas donner de signes d'encouragement aux mouvements de protestation : un départ précipité aurait pu laisser entendre que des concessions peuvent être obtenues par la mobilisation.

Le fait qu'il ait lui-même annoncé la candidature de Dati suit la même logique : il cherche coûte que coûte à présenter un pouvoir ferme, jamais pris au dépourvu. Plus la population se détachera de lui, et plus il se montrera autoritaire avec ses collaborateurs et l'opposition officielle. Et ceux-ci ne pourront qu'accepter ce traitement, de peur d'encourager des résistances populaires qui leur échapperaient.


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