Une
journée après le début de l’enquête publique sur la mort du jeune Fredy
Villanueva à Montréal, dans le quartier Montréal-Nord, le 9 août 2008 sous les
balles d’un policier, le coroner Robert Sansfaçon a décidé de suspendre
l’enquête pour une durée indéterminée. Lors de cette même intervention
policière, deux autres jeunes avaient été blessés.
L’enquête
a été boycottée dès son commencement par les familles des victimes et les
organismes communautaires qui devaient y participer. Ceux-ci ont toujours été
méfiant quant à la volonté du corps policier et des institutions publiques
chargées du processus judiciaire qui a suivi la mort du jeune homme. À propos
de l’enquête publique, la mère de Fredy Villanueva a dit : « Je n’ai
pas confiance, absolument pas confiance. »
Le
coroner a reconnu que la crédibilité de l’enquête était « en péril ».
La journée avant que Sansfaçon prenne sa décision, il avait été révélé que la
Sûreté du Québec (SQ), le corps de police de juridiction provinciale qui avait
été chargée de l’enquête sur la mort du jeune Villanueva, n’avait même pas
interrogé les deux policiers impliqués dans l’intervention qui avait mené à la
mort du jeune homme et s’était servie principalement des rapports des deux
policiers, rédigés plus d’une semaine après l’évènement. La SQ avait décidé de
ne pas porter d’accusation contre le policier Jean-Loup Lapointe, celui qui
avait tiré sur Villanueva ainsi que sur deux autres jeunes hommes qui étaient
présents lors de l’intervention.
Cette
révélation confirme que la méfiance et l’opposition populaire qui se sont
manifestées dès le lendemain de la mort du jeune homme étaient tout à fait
justifiées. Au lendemain du drame, une manifestation spontanée se tenait dans
le quartier Montréal-Nord, un des quartiers les plus défavorisés de Montréal,
afin de dénoncer la brutalité policière. Cette manifestation populaire avait,
par la suite, dégénéré en émeute.
La
suspension de l’enquête a provoqué une crise politique à l’Assemblée nationale
à Québec, l’opposition accusant le ministre libéral de la Sécurité publique,
Jacques Dupuis, d’avoir contribué à miner la crédibilité de l’enquête. Pauline
Marois, la chef du Parti québécois, le parti nationaliste de droite qui
constitue l’opposition officielle, a déclaré : « Si M. Dupuis avait
été à l'écoute des gens de ce quartier, de la famille concernée, il ne se
retrouverait pas avec entre les mains un risque d'avortement de cette
commission d'enquête, qui, à mon point de vue, doit avoir lieu. »
Ce
qui inquiète l’opposition, ce n’est pas le sort des gens de Montréal-Nord dont
tous les partis, par leurs politiques de droite, sont responsables des
conditions détériorées qui y règnent. Ce qui les inquiète vraiment, c’est
plutôt que l’intransigeance du ministre Dupuis et du parti libéral est en train
de contribuer à envenimer le climat social déjà tendu et à faire échouer la
tentative de l’establishment de blanchir la police. Quant à l’intransigeance du
Parti libéral, elle vient du fait que ce parti cherche à accéder aux demandes de
la police, qui ne veut en aucun cas que ses membres soient incriminés ou que
ses activités soient restreintes par un cadre légal plus contraignant.
L’enquête
publique était la réponse de l’élite dirigeante aux évènements survenus dans le
quartier Montréal-Nord les 9 et 10 août 2008. Le 9 août, Fredy Villanueva, un
jeune hondurien de 18 ans, jouait aux dés avec des amis dans un parc du
quartier. Deux policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) se
sont approchés d’eux et ont procédé à l’arrestation du frère de Fredy, Dany,
sans raison apparente. Lorsque Fredy protesta contre l’arrestation arbitraire
de son frère, un des deux policiers dégaina, tuant Fredy et deux de ses amis.
Tout de suite après l’évènement, plusieurs témoignages des personnes présentes
lors de l’intervention policière ont émergé. Ces témoignages étaient en
flagrante contradiction avec la version circulée par la police, qui affirmait
que les policiers s’étaient défendus après avoir été agressé par des jeunes
(voir « Les médias
canadiens cherchent à couvrir les causes sociales de l’émeute de Montréal-Nord »).
Le lendemain, une manifestation spontanée avait dégénéré en émeute.
Par
la suite, un long processus judiciaire, servant à masquer ce qui s’est
véritablement passé et à blanchir les policiers, a débuté.
Avant
même que l’enquête bidon de la SQ ne soit terminée et qu’elle n’annonce
qu’aucune accusation ne serait portée contre le policier Lapointe, il était
déjà convenu qu’une enquête publique serait lancée tout de suite après
l’annonce de cette décision, le gouvernement Charest jugeant la situation
« explosive ».
En
annonçant la tenue d’une enquête publique, le ministre de la Sécurité publique,
Jacques Dupuis, avait offert à la famille Villanueva, « par
compassion », que le gouvernement paye les frais d’un avocat
accompagnateur pendant quatre jours lors de l’enquête publique. Quant aux deux
autres victimes blessées lors de l’intervention policière, le ministre a
constamment réitéré que le gouvernement ne leur paierait pas les frais
d’avocats. Le ministre Dupuis est revenu sur sa décision seulement après que le
coroner Sansfaçon ait suspendu l’enquête. Le corps policier, quant à lui, peut
bénéficier de six avocats payés par les fonds publics.
Devant
toute cette mascarade, l’opposition de la population a été soutenue. En plus de
la manifestation spontanée tenue le lendemain de la tragédie afin de dénoncer
la brutalité policière, d’autres manifestations se sont tenues depuis août 2008
jusqu’à aujourd’hui, réunissant plusieurs centaines de personnes. Les gens ont
dénoncé la brutalité policière et le profilage racial et réclament maintenant
une commission d’enquête plus large.
Will Prosper, le porte-parole de Montréal-Nord
Républik, un organisme fondé en réaction aux évènements des 9 et 10 août 2008,
a récemment déclaré : « Si on veut prévenir d'autres événements
tragiques, il faut mettre en lumière les tensions sociales et la condition
socioéconomique à Montréal-Nord, mais également les relations entre les
citoyens et les policiers… Si un autre jeune meurt dans des conditions
nébuleuses, c'est sûr qu'il y aura encore des émeutes. Et le responsable, ce
sera le gouvernement. »
Le contexte socioéconomique a effectivement joué un
rôle dans la mort du jeune Villanueva. Il en est même à la base. Cependant, il
serait dangereux de croire que la solution réside dans la réforme des
techniques d’interventions policières, dans les vagues promesses d’aide
économique, notamment celles de la Ville de Montréal, ou encore dans la tenue
d’une commission d’enquête publique plus large qui se pencherait entre autres
sur le profilage racial et les conditions socioéconomiques.
Québec Solidaire, un parti qui se dit de gauche, et
qui met de l’avant un programme de réformes très limitées, a d’ailleurs repris
la demande pour une « commission d’enquête publique au mandat
élargi » et a appelé pour que le dossier Villanueva soit confié à la
ministre de la Justice, Kathleen Weil, plutôt qu’au ministre de la Sécurité
publique.
Par ces appels, Québec Solidaire, comme à son
habitude, fait la promotion de l’idée que les institutions officielles de plus
en plus discréditées comme la police ou l’Assemblée nationale pourraient être
réformées pour exprimer les intérêts et les aspirations de la population. En
adoptant cette position, Québec solidaire tente de masquer et d’atténuer les
conflits de classe entre l’élite dirigeante et les travailleurs, plutôt que de
les exposer comme étant la source objective des conditions socioéconomiques
dégradées et de la brutalité policière.
Tous les partis à tous les niveaux de gouvernements
sont responsables des conditions sociales qui sévissent dans les quartiers
défavorisés de Montréal et, de manière plus générale, sont responsables de la
pire crise économique qui frappe le système capitaliste depuis 1929 et de la
dégradation générale des conditions sociales.
Le fait qu’un jeune sans défense ait été tué par la
police et que la tentative, par le gouvernement, de blanchir celle-ci est en
train d’échouer due à la colère populaire est le reflet de profonds changement
objectifs et de la montée croissante des tensions entre les travailleurs et
l’élite dirigeante.