Les manifestations
survenant à Téhéran au cours du weekend ont montré à quel point la base sociale
des opposants politiques de la faction dominante du régime clérical iranien
était limitée. En plus de n’avoir pas réussi à attirer de plus larges
couches de travailleurs, le mouvement d’opposition s’est
significativement affaibli.
Dès le début, la campagne
colorée pour remplacer le président sortant Mahmoud Ahmadinejad par Mir Hossein
Mousavi a été une opération politique hautement orchestrée, appuyée par les
Etats-Unis et dirigée par les éléments dissidents de l’élite dirigeante
(et particulièrement par l’ancien président et homme d’affaires
milliardaire Ali Akbar Hashemi Rafsanjani) à leurs propres fins.
Leurs objectifs n’ont
rien de progressiste. Dans la mesure où ils entretiennent des différends avec
leurs anciens associés, Mousavi et ses partisans tentent d’orienter la
politique encore plus à droite par un arrangement plus rapide avec les
Etats-Unis et une accélération drastique du programme de libre marché. Ils ne
lancent aucun appel aux travailleurs, pour qui un tel programme ne peut que
signifier la dévastation économique, et se basent sur des sections de la
bourgeoisie et des couches plus privilégiées, et franchement égoïstes, des
classes moyennes urbaines.
Ayant perdu
l’élection, Mousavi n’exige rien de moins que l’annulation
des résultats et de nouvelles élections. Le camp de l’opposition
n’a fourni aucune preuve d’une falsification de l’élection et
tente de tirer profit de son appui international dans les médias et parmi les
gouvernements occidentaux afin de réaliser ce qui équivaut à une révolution de
palais. Ils pourraient même chercher la confrontation avec l’appareil
d’Etat qui pourrait être utilisée dans sa lutte fratricide avec leurs
opposants factionnels.
Indubitablement, de
nombreux étudiants, jeunes et autres soutiennent Mousavi en croyant naïvement
qu’il va apporter une réforme démocratique. Ils ignorent cependant le
fait que Mousavi est un membre de longue date du régime et que ses mains sont
tachées de sang. Le vingtième siècle est rempli d’exemples, et certainement
en Iran, de mouvements qui ont été subordonnés à l’une ou l’autre
des factions « progressistes » de la classe capitaliste et ensuite
trahis. Toute l’histoire de l’Iran démontre qu’aucune section
de la bourgeoisie n’est organiquement capable de défendre les droits
démocratiques fondamentaux, et encore moins de garantir des conditions de vie
adéquates pour les travailleurs.
La montée du mouvement
islamiste en Iran était un produit direct de décennies de trahisons par le
parti stalinien Tudeh, qui s’est opposé à une mobilisation indépendante
de la classe ouvrière contre le Shah et a plutôt canalisé l’opposition de
la classe ouvrière derrière les factions dissidentes de la bourgeoisie
iranienne. En faisant cela, le parti Tudeh a cédé l’influence dans le mouvement
grandissant contre le Shah à l’ayatollah Khomeini et à ses successeurs,
pavant la voie à sa propre destruction. Les staliniens ont été balayés par les
bouleversements politiques qui ont suivi la chute du Shah en 1979. Le nouveau
régime clérical a vite réprimé le parti Tudeh et d’autres organisations
de gauche. En tant que premier ministre pendant une bonne partie des années
1980, Mousavi a été directement responsable du meurtre de milliers de
gauchistes et de l’emprisonnement de plusieurs autres.
Les leçons politiques
doivent être tirées. L’établissement de véritables droits démocratiques
est impossible en dehors de la lutte pour le socialisme contre toutes les
factions de la bourgeoisie. La classe ouvrière est la seule force sociale
capable de mener une telle lutte révolutionnaire pour le remodelage de la
société dans son ensemble dans le but de répondre aux besoins de la vaste
majorité, plutôt que les profits d’une poignée de riches. Toute tentative
d’éviter la tâche difficile de construire le leadership révolutionnaire
nécessaire dans la classe ouvrière mène à un aventurisme dangereux et au
désastre politique.
Ça vaut la peine de
rappeler, 20 ans plus tard, le résultat de l’effondrement des régimes
staliniens d’Europe de l’Est et en Union soviétique. En
l’absence d’une alternative socialiste enracinée dans les leçons de
la lutte du mouvement trotskyste internationale contre le stalinisme, les
éléments les plus cupides des élites bureaucratiques, appuyés par les
Etats-Unis et les puissances occidentales, ont été en mesure de s’imposer
politiquement. Leurs promesses sur les droits démocratiques et le grand
potentiel du marché capitaliste se sont rapidement évaporées au moment où de
nouveaux régimes bourgeois ont cherché à intégrer leurs économies dans le capitalisme
mondial aussi vite que possible, avec comme résultat une régression sans
précédent du niveau de vie des gens ordinaires.
La dissolution formelle de
l’Union soviétique en 1991 a inauguré une série de « révolutions de
couleur » qui n’ont aucun lien avec un véritable mouvement populaire
pour les droits démocratiques. La « révolution du Bulldozer » en 2000
qui a renversé le leader serbe Slobodan Milosevic était le prélude à la
« révolution des roses » en Géorgie en 2003 qui a poussé Mikhail
Saakashvili au pouvoir, à la « révolution orange » en Ukraine en 2004
et à la « révolution des tulipes », de couleur rose et jaune, au
Kirghizstan en 2005.
Les caractéristiques de ces
« révolutions » étaient les mêmes. Des sections dissidentes
pro-occidentales des élites dirigeantes montent une campagne bien gérée et bien
financée pour renverser leurs rivaux en faisant appel aux sections frustrées
des classes moyennes et de la jeunesse. Diverses organisations non gouvernementales,
certaines d’entre elles ayant des liens directs avec des think tanks
et des fondations américains, préparent le terrain, établissent des liens avec
des groupes étudiants, des syndicats, les médias locaux et d’autres
groupes et fournissent le plan de marketing. Dans tous les cas, les partis
d’opposition ont perdu une élection, ce qui devient le prétexte pour une
tentative de prendre le pouvoir sur la base d’un prétendu trucage du
vote, tout ceci avec le soutien des médias internationaux.
C’est ainsi que sont nés les régimes
pro-américains en Europe de l’Est et dans l’ancienne Union
soviétique, qui ne sont pas plus démocratiques que ceux qu’ils
remplacent. Le principe guidant ces « révolutions » n’est pas
les besoins et les aspirations des travailleurs, mais les objectifs de
l’impérialisme américain pour étendre sa domination, particulièrement
dans les anciennes républiques soviétiques dans la région riche en énergie du
Caucase et de l’Asie centrale. Retrouver une importante influence en Iran,
à l’intersection de ces régions du Moyen-Orient, est une ambition de
longue date des Etats-Unis.
Les buts de l’administration Obama ne
sont pas moins prédateurs que ceux de ses prédécesseurs. En fait, un important
facteur pour la grande section de l’establishment politique américain qui
a donné son appui à la campagne électorale d’Obama était que les guerres
téméraires en Irak et Afghanistan qu’avait lancées l’administration
Bush engendraient un profond et large sentiment anti-américain de par le globe,
minant la puissance diplomatique et politique de Washington. Au cours des trois
dernières années, les révolutions de couleurs ont connu plus d’échecs (en
Azerbaïdjan et au Belarus par exemple) que de succès. Il fallait un nouveau
visage pour cacher les objectifs réactionnaires.
Ceux qui affirment que l’actuelle
« révolution verte » en Iran ne serait pas comme les autres
révolutions colorées s’auto-illusionnent ou ont leurs propres objectifs.
La tâche politique fondamentale est la lutte pour un mouvement politique indépendant
pour un gouvernement des travailleurs et des paysans et pour un Iran socialiste
comme partie de la lutte pour établir les Etats unis socialistes du
Moyen-Orient et internationalement. Cela demande la construction d’un
parti révolutionnaire de la classe ouvrière armée d’un programme
socialiste scientifique basé sur toutes les expériences stratégiques du
vingtième siècle.