Une
lutte de faction tendue au sein du régime clérical de l’Iran s’est poursuivie
alors que des dizaines de milliers de partisans du candidat à la présidence
défait, Mir Hossein Mousavi, ont manifesté dans les rues de Téhéran pour une
sixième journée consécutive, exigeant de nouvelles élections.
Mousavi
a appelé à la manifestation jeudi pour pleurer la mort d’au moins sept
manifestants tués dans des affrontements lundi. L’opposition tentant de se
départir de son image de formation basée principalement sur les couches
moyennes aisées, le rassemblement fut prévu au Imam Khomeini Square, un
quartier à majorité ouvrière situé au sud de la capitale où le président sortant
Mahmoud Ahmadinejad profite d’un fort appui. La couverture médiatique était
limitée étant donné les restrictions imposées aux journalistes étrangers par
les autorités iraniennes, y compris l’interdiction d’assister à des
manifestations « illégales ».
Jusqu’à
maintenant, le chef suprême de l’Iran Ayatollah Ali Khamenei, qui a soutenu
Ahmadinejad, semble avoir adopté une position conciliatrice envers Mousavi et
ses alliés. Il n’a pas sanctionné la totale répression des opposants
d’Ahmadinejad.
Des
restrictions ont été établies pour Internet et les médias et, selon Amnistie
internationale, au moins 170 personnes sont détenues, dont de nombreux
journalistes et « réformistes » en vue. Mais on a permis, jour après
jour, aux manifestations de l’opposition de se dérouler sans intimidation
notable.
Les
décès de lundi seraient survenus après que des manifestants aient lancé des
pierres contre un bâtiment Basiji, une milice volontaire étroitement liée à
Ahmadinejad, qui a répliqué en tirant dans la foule. Des étudiants de
l’Université de Téhéran ont aussi rapporté que cinq étudiants avaient été tués
dimanche soir lorsque leurs résidences furent attaquées par la milice Basiji.
Le speaker parlementaire Ali Larijani, un personnage d’influence qui serait
proche de Khamenei, a critiqué publiquement l’attaque, accusant le ministre de
l’Intérieur d’être responsable des attaques et de la violence perpétrée contre
les manifestants de l’opposition.
Par
le Conseil des gardiens de la constitution, Khamenei a aussi posé plusieurs autres
gestes de conciliation envers Mousavi. Ce conseil, un organe non élu qui
supervise l’élection présidentielle, a déjà accepté un recomptage partiel des
boîtes de scrutin. Il a annoncé hier qu’il avait reçu 646 plaintes
d’irrégularités électorales des trois aspirants à la présidence (Mousavi, Mahdi
Karroubi et Mohsen Rezaei) et qu’il allait rencontrer les quatre candidats
samedi.
Les
regards seront fixés demain sur Khamenei, qui a annoncé qu’il allait diriger
les prières de vendredi à Téhéran lors d’un appel télévisé à l’unité nationale.
Mousavi, qui est supposé être présent, a reporté la prochaine manifestation à
samedi. Toutes les factions de l’élite dirigeante craignent que la poursuite
des manifestations puisse déclencher de bien plus puissantes forces sociales,
provoquées par la colère envers le manque de droits démocratiques fondamentaux,
la hausse du chômage et la détérioration des conditions de vie.
Les
différends politiques entre les alliés d’Ahmadinejad et de Mousavi sont de
nature tactique. Les soi-disant conservateurs pragmatiques menés par l’ancien
président Ali Akbar Hashemi Rafsanjani se sont joints à divers
« réformateurs », dont l’ex-président Mohammad Khatami, pour soutenir
Mousavi afin de provoquer un changement dans les politiques étrangères et
économiques.
Rafsanjani
et Kahtami sont tous deux critiques de la démagogie antiaméricaine
d’Ahmadinejad qui a entraîné un isolement économique accru pour l’Iran. Avec
l’élection d’Obama, des couches de l’élite iranienne entrevoient la possibilité
de réduire les tensions avec les Etats-Unis, imposer un programme de libre
marché et ouvrir les frontières du pays aux investissements étrangers. Malgré
qu’ils soient tactiques, ces désaccords demeurent néanmoins acerbes et se sont
intensifiés alors que l’Iran est frappé par la chute des prix du pétrole et la
récession économique mondiale.
Les partisans de Mousavi, bénéficiant
d’une campagne partiale extraordinaire dans les médias internationaux, ont
dénoncé le résultat de l’élection qui a donné 62 pour cent des voix à
Ahmadinejad pour être « truqué ». Mais peu d’observateurs ont nié
qu’Ahmadinejad ait une base considérable au sein des pauvres des villes et de
la campagne, qui forment la grande majorité de la population de l’Iran.
Les dénonciations par Mousavi de la
politique d’Ahmadinejad en faveur des pauvres, sa défense d’une réforme pro-marché
et le soutien que lui a donné le milliardaire Rafsanjani, largement considéré
comme corrompu, étaient destinés aux classes moyennes urbaines bien nanties,
pas à la majorité du peuple.
Dans son long reportage, le
correspondant du Times sur les lieux, Joe Klein, a noté que malgré le
fait qu’il y ait pu y avoir fraude lors de l’élection, « il est
entièrement possible qu’Ahmadinejad l’aurait gagné quand même, mais par une
marge plus serrée, avec moins de 50 pour cent des voix, ce qui aurait nécessité
un deuxième tour ». Comme d’autres journalistes, Klein a noté la division
de classe à Téhéran. Le jour de l’élection, il s’est rendu dans le quartier où
Ahmadinejad a grandi et commenté : « Les files d’attente à la mosquée
centrale étaient tout aussi longues que celles du Téhéran sophistiqué au nord
de la ville. Il y avait des partisans de Mousavi, mais le culte envers
Ahmadinejad était palpable. »
Klein a aussi conclu qu’Ahmadinejad
avait gagné de façon écrasante le débat avec ses opposants politiques qui a été
diffusé à la télévision un peu avant le jour du scrutin. Il a écrit que les
réformateurs Mousasvi et Karroubi avaient été « mis en déroute ». Il
a continué « Ils semblaient paralysés par ce qu’ils considéraient comme de
l’impertinence grossière de la part d’Ahmadinejad. Pour établir une analogie,
nous aurions un tel débat aux États-Unis si nous avions d’un côté Georges Bush
père et, de l’autre, Newt Gringrich, un gentleman avec des racines profondes
dans l’establishment qui rencontre un chat de ruelle populiste. »
Au cours du débat, Ahmadinejad a
ouvertement attaqué deux partisans de Mousavi, Rafsanjani et Khatami, pour être
corrompus. Rafsanjani a répondu au moyen d’une lettre ouverte, un fait sans
précédent, demandant que Khamenei rappelle Ahmadinejad à l’ordre, le menaçant
dans le cas contraire d’avoir à faire face à des « volcans » de
colère.
L’incident a dévoilé au grand jour la
véritable nature des forces qui se sont ralliées derrière Mousavi sous la forme
d’une lutte factionnelle au sein du régime pour le contrôle du levier du
pouvoir. Alors que les soi-disant réformateurs comme Khatami ont joué leur rôle
en présentant comme un libéral Mousavi, anciennement connu pour ses vues
conservatrices dures, celui qui détient la balance du pouvoir est Rafsanjani.
Comme le correspondant du Guardian Simon Tisdall l’a noté, celui que
l’on surnomme « le requin » et le « faiseur de rois » n’a
pas « ménagé ses efforts pour aider le financement et pour diriger la
campagne de Mir Hossein Mousavi pour qu’il batte Ahmadinejad ».
Rafsanjani a uni les conservateurs et
les réformateurs dans une alliance derrière Mousavi, mais pourrait aussi avoir
joué un rôle dans la nomination de Karroubi et Rezaei pour diviser le vote qui
serait autrement allé à Ahmadinejad, dans le but de forcer un second tour de
scrutin. Il a ouvert ses multiples universités privées aux partisans de Mousavi
pour qu’ils en fassent des bases pour la campagne électorale. Son fils Mehdi
Hashemi Rafsanjani, qui était à la tête de l’opération sophistiquée de gestion
de campagne à l’Université de Azad, s’est vanté au New York Times que
c’était « comparable au ministère de l’Intérieur. Mais c’est notre
secret. »
Après le scrutin de vendredi dernier,
Rafsanjani a gardé le silence, mais se serait prétendument rendu à Qom, un
centre d’universitaires islamiques, pour établir une base de soutien dans
l’establishment du clergé. Rafsanjani est à la tête de la puissante Assemblée
des experts, qui a seule, selon la constitution iranienne, le pouvoir de
rappeler à l’ordre le dirigeant suprême Khameni et même de le révoquer de son
poste. Si ce comité devait en arriver à cette extrémité, un geste sans
précédent, cela provoquerait inévitablement une lutte politique ouverte pour le
pouvoir avec des conséquences imprévisibles. Le Guardian a aussi
rapporté que des slogans de l’opposition commencent à prendre Khamenei lui-même
comme cible, le comparant au dictateur chilien, le général Pinochet.
Plusieurs signes indiquent l’ampleur de
la lutte acerbe qui a lieu dans les coulisses. Plusieurs dirigeants religieux
dissidents ont ouvertement critiqué le résultat de l’élection. L’Association
pour des clercs militants, un groupe influent d’importants ayatollahs, a aussi
émis une déclaration qui décrivait l’élection de vendredi dernier comme n’étant
pas valide. Selon Press TV, qui appartient à l’Etat, l’organisation avait
demandé l’autorisation de manifester dans les rues de Téhéran dès samedi.
Au même moment, Ahmadinejad et ses
partisans faisaient leur propre travail. Environ 220 parlementaires parmi les
290 que compte le parlement ont écrit à Ahmadinejad pour endosser sa victoire.
Ce nombre élevé est significatif, car Ahmadinejad a confronté une grande
opposition au parlement, particulièrement sur la question de ses budgets et sa
politique économique. Juste avant les élections, le parlement avait rejeté la
proposition d’Ahmadinejad de couper les subventions de l’Etat sur le prix de
l’essence, de l’électricité et de l’eau, principalement parce qu’elle n’offrait
pas de limites globales sur les dépenses de l’Etat.
Et avec cette intense lutte de factions,
les deux côtés exploitant à leur avantage les préoccupations des travailleurs
et de la jeunesse pour les questions de droits démocratiques et pour de
meilleures conditions de vie. Malgré sa vague promesse de plus de liberté,
Mousavi n’est pas plus dévoué à la cause de la « démocratie » que ses
adversaires. L’implémentation de son programme en faveur du libre marché, qui
va signifier inévitablement un plus grand fardeau sur les épaules de la majorité
des travailleurs, ne pourra pas être imposée sans provoquer une immense
opposition. Comme il l’avait fait lors de son premier mandat en tant que
premier ministre en 1980, Mousavi n’hésitera pas à faire usage de toute la
puissance de l’Etat pour faire respecter sa politique.
La seule force sociale pouvant mener une
lutte cohérente pour les droits démocratiques fondamentaux et pour mettre un
terme à la pauvreté et au chômage est la classe ouvrière. L’objectif
fondamental est de construire d’un parti révolutionnaire qui mobilisera les
travailleurs ainsi que les pauvres des villes et des campagnes, de façon
indépendante de toutes les factions de la bourgeoisie iranienne. Un tel
mouvement doit lutter pour un gouvernement des ouvriers et des fermiers et pour
un Iran international.