De plus en plus de luttes de travailleurs
contre les licenciements et les fermetures d'usines en France révèlent au grand
jour le schisme politique entre les travailleurs et les groupes de
protestations petits-bourgeois, tels Lutte ouvrière (LO) et le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) qui prétendent représenter l'« extrême gauche »
de la vie politique en France.
A un moment où l'augmentation de telles
luttes pose, de façon chaque jour plus pressante, la nécessité d'une
coordination et d'une perspective politique indépendante pour les travailleurs,
ces groupes émergent comme l'obstacle principal à de tels développements.
Orientées vers la bureaucratie syndicale et les partis de l'establishment
tels le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PC), ils sont les
partisans enthousiastes des indemnités de licenciement et du chômage technique
organisés par les syndicats. Tandis que les patrons et les autorités de l'Etat
mettent en application des suppressions de postes massives en pleine crise
économique qui va s'aggravant, cette réaction est une trahison fondamentale des
intérêts de la classe ouvrière.
Après un bond record en France de 1,1 pour
cent au premier trimestre de cette année, le chômage devrait atteindre 9,8 pour
cent de la population active d'ici la fin de 2009 et 10,7 pour cent à la fin de
2010.
L'industrie des pneumatiques, qui repose
entièrement sur l'industrie automobile durement touchée, est emblématique de
ces évolutions. Le 17 juin, Michelin annonçait la suppression de 1096 emplois
en France. Ceci fait suite à la fermeture de l'usine Continental de Clairoix
comptant 1120 travailleurs et le licenciement de 820 travailleurs sur les 1400
de l'usine Goodyear d'Amiens.
En 2007, sous la pression des syndicats, les
travailleurs de Continental à Clairoix avaient accepté que la durée
hebdomadaire de travail passe de 35 à 40 heures, sans compensation, avec en
contrepartie la promesse de la garantie de leurs emplois jusqu'en 2012. Mais la
direction a annoncé le 11 mars de cette année qu'elle supprimerait 1900 emplois
en fermant l'usine de pneus pour voitures de tourisme de Clairoix et celle de
pneus pour véhicules utilitaires de Hanovre.
Les travailleurs de Clairoix ont entrepris
une série d'actions de protestation dans les mois qui ont suivi l'annonce de la
fermeture de leur usine. Ces actions ont été conduites par Xavier Mathieu,
délégué CGT (Confédération générale du travail, dirigée par les staliniens) et
sympathisant de LO. Le 23 avril, ils ont participé à une manifestation commune
à Hanovre avec leurs collègues allemands dont l'usine sera aussi fermée et ont
aussi brièvement occupé, le 6 mai, le site de Sarreguemines dans l'est de la
France, où se situe le siège social de Continental.
Rejetant toute lutte, fondée sur des
principes, visant à sauver l'usine et ses 1120 emplois, les syndicats de
Clairoix ont signé, le 5 juin, avec la direction et l'Etat un accord sur les
indemnités de licenciement. Les travailleurs de Clairoix recevront une prime
exceptionnelle de 50 000 euros qui vient s'ajouter aux indemnités de
licenciement légales de trois cinquièmes du salaire mensuel pour chaque année
travaillée dans l'entreprise. Les travailleurs recevront leur salaire jusqu'en
décembre 2011. Les travailleurs ayant atteint l'âge de 52 ans d'ici décembre
2009, recevront 80 pour cent de leur traitement jusqu'à la retraite.
L'accord comprend aussi une clause obligeant
les syndicats de Clairoix à ne pas engager d'action de solidarité avec les
travailleurs des autres sites de Continental. Le Courrier Picard
explique que cet accord signifie que « Continental promet d’abandonner les
poursuites contre les auteurs du saccage du poste d’entrée de l’usine le 21
avril moyennant un engagement de l’intersyndicale à ne pas détruire ou bloquer
les sites Continental en France et à l’étranger. »
Cet accord qui doit être ratifié par le
gouvernement, laisse complètement tomber les travailleurs des usines de
fournisseurs et détruit les perspectives d'emplois des jeunes de cette région
déjà économiquement sinistrée.
Xavier Mathieu a dit à la presse, « On
est très fier de ces négociations… » Et il a ajouté « Les gens
sont ravis, ils auraient préféré que l’usine ne ferme pas, mais ils sont
vraiment satisfaits de cet accord. »
Il ne fait aucun doute que l'accord de
Continental a été trouvé avec le soutien et la collaboration du groupe Lutte
ouvrière et que cette dernière était pour beaucoup dans l'implication de l'Etat
dans cet accord. Mathieu travaille étroitement avec Roland Szpirco, dirigeant
LO et conseiller municipal dans la région. Szpirco était sur la liste LO de la
circonscription électorale du nord-ouest aux élections européennes.
L'Express du 27
mai écrit, « Xavier Mathieu, lui, ne nie pas l'influence exercée par ce
penseur ultraorthodoxe de LO sur le comité de lutte des "Contis". 'Il
est mon conseiller', dit-il tranquillement... 'Dès le début, Roland a insisté
pour qu'on aille chercher l'Etat par le colback afin d'engager des négociations
tripartites', souligne Mathieu. »
L'hebdomadaire de LO a salué l'accord le 5
juin dans un article intitulé « Continental-Clairoix : la lutte
arrache de nouveaux reculs, peut-être décisifs. » Il déclare que la lutte
des travailleurs « Et cela a fini par payer. » Malgré la promesse du
titre, l'article reconnaît que « Même si chacun avait conscience que rien
ne pourrait indemniser le désastre social de la fermeture, l'assemblée approuva
massivement, avec quatre voix contre et plus de 700 pour, cette base de
compromis. » Il est peu probable que la plupart des travailleurs de
Clairoix puissent trouver un autre emploi dans un avenir proche.
Les syndicats de Continental et LO ont
immédiatement adopté le rôle d'exécuteurs de l'accord qu'ils avaient contracté
avec leurs patrons et l'Etat. Le Courrier Picard du 7 juin rapporte,
« Les Contis ont strictement encadré la visite de l’usine de Clairoix par
les 500 salariés de Goodyear. Le matin même, le mot d’ordre de l’intersyndicale
avait été très clair : ‘les gars, on va visiter l’usine mais pas de
dégradations. Rien ne sortira de cette usine. Ce serait quand même dommage que
tout soit réfusé [l’accord] par l’Etat parce qu’on a fait les cons. On n’a pas
envie de tout perdre aujourd’hui. »
Le 26 mai, Goodyear a annoncé son intention
de supprimer 800 emplois sur les 1400 de son usine de pneus d'Amiens. L'annonce
a été faite au moment où les délégués syndicaux de l'usine de pneus Continental
de Clairoix, non loin d'Amiens, finalisaient leur accord de licenciement.
Les syndicats à l'usine Goodyear d'Amiens
traitent la trahison de Clairoix comme un exemple à suivre. Le délégué CGT de
l'usine, Mickaël Wamen a rendu hommage à l'accord « très honorable »,
« le combat digne des Contis, un combat de tous. » Wamen a dit que le
but était de faire retirer les suppressions de postes mais que s'ils n'y
parvenaient pas, « 50 000 euros, ça sera le minimum. Il y a du fric
chez Goodyear. Le groupe devra ouvrir le porte-monnaie, sans quoi ça va
chier. »
Wamen a le soutien tout entier du NPA. Un
article affiché sur le site du parti le 1er juin déclare exemplaire « les
conditions de départ arrachées par les syndicats de Continental. »
Le NPA est ouvertement contre toute action
de grève et de ce fait toute lutte sérieuse contre les licenciements, soutenant
les syndicats de Goodyear. Il écrit, « Se pose maintenant la question des
perspectives. Certains, parmi les salariés, ont légitimement envie d’en
découdre tout de suite. Très vite, les responsables syndicaux ont indiqué que,
les licenciements devant intervenir effectivement en 2010, il s’agissait d’une
lutte de longue haleine. Une grève immédiate risquerait, selon eux, de mettre
tout le monde à genoux en une semaine ou deux, sans assurance de succès. De
plus, il semble nécessaire d’ajuster au mieux les revendications : se
battre ou partir dans les meilleures conditions possibles. »
La direction de la CGT chez Goodyear avait
clairement révélé son approche chauvine et de collaboration de classe dans une
déclaration sur les licenciements faite le 16 juin de l'année dernière :
« Nous continuons à demander la tenue d’une table ronde, l’Etat doit
intervenir dans ce dossier, où une société américaine bafoue le droit de
centaines de salariés français… Nous sommes ouverts au dialogue… or il n’y a
aucun responsable qui veuille avec nous travailler dans l’intérêt
collectif. »
La collaboration des syndicats dans
l'élaboration et la mise en place des attaques contre les acquis sociaux ne
date pas d'hier. Mais elle a atteint un nouveau palier avec l'élection du
président conservateur Nicolas Sarkozy qui, depuis son élection de 2007, met au
point sa politique en collaboration avec les syndicats.
Au printemps 2008, les deux principales
confédérations syndicales françaises, la CGT et la CFDT avaient signé la
« Position commune » avec Sarkozy et le MEDEF, l'association des
patrons. En contrepartie pour le rehaussement de la position financière et
légale de ces deux syndicats, l'Etat obtenait le passage d'une loi extrêmement
régressive, dérèglementant les protections du temps de travail, réduisant de
façon drastique les retraites et mettant fin à la semaine de 35 heures. Le rôle
des partis « d'extrême-gauche » tels LO et le NPA était de mettre en
avant des « journées nationales d'action » fondamentalement
trompeuses par les travailleurs du secteur public, organisées par ces syndicats
même qui formulaient ces attaques contre les acquis sociaux.
L'avènement de la crise économique mondiale
a étendu les grèves et les actions de protestations à des couches plus larges
de la classe ouvrière, par des grèves, des occupations d'usines et des
séquestrations de patrons, notamment concentrées dans l'industrie automobile et
de l'acier. Ceci pose directement la nécessité d'un parti politique de la
classe ouvrière, indépendant, afin de lutter pour le pouvoir politique et la
réorganisation socialiste de l'économie en vue de garantir l'emploi et un
niveau de vie sûr pour tous les travailleurs.