Le trucage impudent d’une élection, la répression de l’opposition et le
recours à la violence et l’usage de balles réelles par la police contre des
manifestants ont été passés sous silence et ignorés par le gouvernement Obama et
les médias américains.
Ces événements se sont passés jeudi non pas en Iran mais dans l’Etat du
Kirghizistan, un pays enclavé d’Asie centrale.
Dans leur langage diplomatique habituel, les observateurs de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), présents aux élections
présidentielles, ont déclaré que le scrutin kirghize « a manqué à des
critères-clés » et était « une déception ».
Un examen plus attentif du rapport de l’OSCE dévoile cependant l’emploi de
méthodes véritablement criminelles pour garantir une majorité de près de 90 pour
cent au président sortant Kourmanbek Bakiev.
L’OSCE cite le « bourrage d’urnes » et « des votes multiples » le jour des
élections, tandis qu’il fut fait usage de la force physique, y compris de gaz
lacrymogène pour empêcher le parti de l’opposition d’entrer dans le bureau de
vote. « Le processus s’est encore détérioré pendant le décompte des résultats, »
a rapporté l’organisation.
Lorsque des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la
capitale kirghize pour protester contre la fraude électorale, la police les a
attaqués à l’aide de grenades détonantes et de gaz lacrymogène tout en tirant
des balles réelles en l’air.
Durant la période qui avait précédé les élections, l’OSCE avait déclaré, « La
distinction entre le parti dirigeant et l’Etat était floue. » Concrètement, ceci
signifie que les bureaux du parti de Bakiev, l’Ak-Zhol, étaient installés dans
les bâtiments gouvernementaux. Les employés du gouvernement et les étudiants
étaient contraints de participer aux rassemblements du parti sous peine d’être
congédiés ou renvoyés des écoles.
La campagne électorale de l’opposition fut entravée par la police et ses
dirigeants et ses partisans furent soumis à un règne de terreur. L’un des
dirigeants de l’opposition, Emilbek Kaptagaev, a rapporté avoir été enlevé par
un groupe d’hommes, l’un portant un uniforme de la police, emmené à la lisière
de la capitale et brutalement battu. Il avait reçu un appel téléphonique trois
semaines plus tard le prévenant que s’il ne cessait pas de faire campagne pour
le candidat tête de liste de l’opposition, l’ancien premier ministre Almazbek
Atambaev du Parti social démocrate, il en verrait d’autres pires encore.
L’opposition avait littéralement été boycottée par les médias de masse. Les
trois chaînes de télévision nationales avaient cessé fin juin de couvrir
l’actualité à l’approche des élections. Au cours de l’année passée, le
gouvernement avait systématiquement empêché la parution des journaux
d’opposition en les traînant devant les tribunaux pour répondre d’accusations de
diffamation envers la famille du président, et en leur imposant des amendes
massives et la saisie de leur équipement.
Au début du mois, le journaliste Almaz Tashiyev qui avait publié des articles
critiques sur le gouvernement, est décédé après avoir été violemment frappé par
huit policiers. C’était la sixième attaque violente contre des journalistes
cette année et la deuxième attaque mortelle perpétrée depuis octobre 2007 quand
le journaliste indépendant, Alisher Saipov, fut abattu, style exécution.
Personne ne fut interpellé pour cet assassinat.
La fraude électorale ne fut pas une surprise. Durant la période qui a précédé
les élections locales l’année dernière, la présidente de la commission
électorale centrale avait fui le pays après avoir dit que le fils du président
l’avait menacée de mort.
Les organisations de droits humains disent que la torture de détenus est une
pratique courante au Kirghizistan. Parmi les cas tristement célèbres figure
l’arrestation l’année dernière de 32 personnes dans la ville de Nookat. Alors
qu’elles étaient en attente de leur procès, la police les a frappé sur la plante
des pieds, leur a versé de l’eau bouillante et froide dessus et les a amenés au
bord de l’étouffement en leur couvrant la tête de sacs en plastique. Lorsqu’un
des prisonniers, une femme, leur a dit qu’elle était enceinte, ils l’agressèrent
physiquement en causant une fausse-couche.
Le mois dernier, le président Barack Obama avait envoyé une lettre au
président Bakiev pour faire l’éloge de son régime dans ses « efforts pour
stabiliser la situation en Afghanistan et pour la lutte contre le terrorisme
international ».
Cette position de Washington persiste. Pourquoi Obama et Hillary Clinton
n’ont-ils pas déclaré être « consternés » par la situation au Kirghizistan ou
salué le « courage » des manifestants comme ils l’ont fait dans le cas de
l’Iran ?
La lettre d’Obama avait fait partie du processus de négociations entre
Washington et le Kirghizistan sur la base aérienne de Manas qui sert à
l’approvisionnement des forces américaines combattant en Afghanistan. Le régime
de Bakiev avait annoncé en février qu’il allait fermer la base puis a négocié un
accord dévoilé ce mois-ci et selon lequel l’armée américaine pourra rester en
échange d’une augmentation au quadruple du loyer.
Le jour des élections, le New York Times publiait un article cynique
intitulé « Les questions stratégiques et non les insultes sont la ligne de mire
américaine au Kirghizistan ». Tout en faisant allusion à une « vague de
violence » contre l’opposition, le Times remarquait d’un air approbateur
que le gouvernement Obama « a mis l’accent sur les préoccupations pragmatiques
face aux droits de l’homme ».
Il a insisté que le régime Bakiev n’était pas vraiment si mauvais, en vantant
un « système politique bien plus ouvert » que certains de ses voisins d’Asie
centrale. « Ce n’est pas un Etat policier », ainsi réconforte le Times
ses lecteurs, « et, en général, seuls ceux qui défient ouvertement le
gouvernement sont poursuivis par les forces de sécurité ».
Si ceci est le critère d’un régime acceptable, Benito Mussolini l’aurait
probablement été, alors quel problème le journal a-t-il avec l’Iran où depuis la
date des élections il a mené une campagne continue en qualifiant le décompte des
votes de « coup d’Etat » et ses conséquences d’« opération totalitaire »
(« Operation Jackboot ») ?
Il est à noter que Bakiev doit son mandat à la soi-disant « Révolution des
tulipes », après la Révolution des Roses en Géorgie et la Révolution orange en
Ukraine, qui avait été provoquée en 2005 sur la base d’allégations de fraudes
électorales avancées par l’opposition soutenue par les Etats-Unis. Des
manifestations et des émeutes avaient réussi à renverser le président Askar
Akayev. Les manifestants s’étaient rassemblés au nom de la dénonciation de la
fraude électorale, de la corruption et de la pauvreté grandissante causée par
l’application d’une série de programmes d’ajustement dictés par le FMI.
Comme l’opposition elle-même le reconnut par la suite, son accession au
pouvoir avait été financée et organisée en grande partie par Washington, par le
biais d’une série d’Organisations non gouvernementales (organisations de façade
de la CIA). Les Etats-Unis voulaient la chute d’Akayev parce ses tentatives de
s’insinuer dans les bonnes grâces de Moscou contrecarraient les objectifs
stratégiques de Washington d’établir une hégémonie américaine en Asie centrale.
Il se trouva que Bakiev fut également obligé en raison des réalités
géopolitiques d’évoluer entre Moscou et Washington avec tout autant ou davantage
de corruption, de répression et de fraude électorale.
En Iran, la « Révolution de couleur », cette fois verte, une fois de plus
conduite par une opposition appuyée par les Etats-Unis et dénonçant une élection
truquée, doit encore réussir, l’équilibre du pouvoir au sein du régime de
l’élite cléricale n’étant pas encore certain.
Bref, si le régime en question, comme celui de Bakiev, facilite les objectifs
belliqueux et les intérêts stratégiques des Etats-Unis, alors des élections
truquées, la répression et la torture sont tout à fait acceptables aux
dirigeants « pragmatiques » à Washington et à leurs propagandistes au Times.
Toutefois, lorsque Washington considère le renversement d’un régime, comme en
Iran, ou du moins un changement au sommet, comme promouvant ces mêmes intérêts,
alors des accusations de magouilles électorales et de répression et la défense
de la « démocratie » sont transformées en une véritable croisade.