L'expulsion par des nervis de
la CGT ainsi que par des CRS de centaines de sans-papiers qui occupaient la Bourse
du travail de Paris est une illustration flagrante de la collaboration des
syndicats et de l'Etat contre la classe ouvrière.
Les travailleurs sans-papiers
avaient occupé la Bourse du travail le 2 mai de l'année dernière dans l'espoir
de forcer la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste
français stalinien) à négocier leur régularisation avec le gouvernement. Leur
action initiale, conduite par la Coordination des sans-papiers CSP 75 témoigne
de la méfiance et de l'hostilité grandissantes de
larges couches de la classe ouvrière envers la bureaucratie syndicale. Cette
dernière réaction de la CGT confirme la nécessité de clarifier politiquement
cette hostilité.
Le 24 juin, un commando envoyé
par la CGT a attaqué et expulsé les sans-papiers de la Bourse du travail.
L'attaque était une attaque coordonnée avec les CRS qui ont aidé à cette
expulsion forcée puis ont encerclé les quelque 600 ou plus sans-papiers qui ont
organisé un campement sur le trottoir devant le local.
Une déclaration publiée par la
Coordination nationale des sans-papiers suite à cette attaque dit, « Une
centaine de nervis du service de sécurité de la CGT portant des cagoules, armés
de barres de fer, de bâtons, de gaz lacrymogènes ont pénétré vers 11 h 30 au sein
de la Bourse… se sont jetés sur les présents, notamment des femmes et des
enfants pour les jeter dehors. » La CGT a profité de l'absence de la
plupart des occupants qui avaient quitté le local tôt le matin pour se rendre à
leur habituelle manifestation hebdomadaire devant la préfecture pour réclamer
des permis de séjour.
Les organisateurs de
l'occupation, membres de CSP 75, ont dit, « 23 blessés, gazés, matraqués,
parmi lesquels 5 femmes et un enfant. »
La résistance initiale des
occupants a dû faire face à l'attaque de la CGT qui utilisait du gaz
lacrymogène, puis à l'intervention de la police, avec l'aval de la mairie de
Paris, propriétaire de la Bourse du travail. Le millier, ou plus, de
sans-papiers qui se sont relayés par équipe dans la rue afin que ceux qui
devaient se rendre à leur travail puissent le faire, ont été encerclés par des
dizaines de véhicules de la police.
Après 17 jours sur le trottoir
devant la Bourse du travail, les membres du CSP 75 ont été finalement
contraints d'abandonner leur lutte de 14 mois visant à forcer les syndicats à
soutenir leur revendication du droit de vivre et de travailler en France. Le 12
juillet, ils ont accepté par un vote la proposition du gouvernement: s'ils
quittent le trottoir, ils recevront la garantie que l'Etat examinera 300 des 1
174 demandes de permis de séjour, d'ici deux mois.
La décision initiale
d'expulsion avait été prise par la Commission administrative de la Bourse du
travail, composée des sept syndicats dont les bureaux se trouvent dans le
bâtiment. Son secrétaire, Edgar Fisson avait, de son
côté été en contact avec les bureaux du maire de Paris Bertrand Delanoë (du
Parti socialiste) qui désiraient récupérer le bâtiment. Le porte-parole de CSP
75 Sissoko a dit, « Quand ils sont intervenus, tout à la fin, le
commissaire m'a annoncé que la ville donnait l'ordre à la préfecture de finir
l'évacuation. »
Pascale Boistard,
chargée de « l'intégration » à la mairie a expliqué,
« Politiquement, on ne soutenait pas cette occupation. Etant donné les
attaques répétées du gouvernement contre les droits des travailleurs, on
considère que cette occupation était très mal venue, car elle empêchait les
syndicats de travailler. »
Le secrétaire de la CGT Paris,
Patrick Picard a fait une déclaration justifiant cette attaque :
« Après avoir essayé en vain de négocier pendant des mois, nous avons
décidé de mettre un terme à une occupation qui était devenue un squat. »
Le jour de l'expulsion, Picard a dit à la presse, « Le mouvement syndical
parisien a décidé de sortir ces femmes et ces hommes de cette impasse, et ce,
sans faire appel aux forces de l’ordre. »
La suggestion de Picard selon
laquelle la CGT a agi indépendamment des autorités n'est absolument pas
crédible. Comme un sympathisant de CSP 75 l'a dit au journal Libération,
« La police qui laisse repartir tranquillement un groupe cagoulé et
masqué, avec des barres, c’est quand même exceptionnel aussi. »
La collaboration de la CGT
avec les CRS pour expulser les sans-papiers est un sérieux avertissement de
l'hostilité de la bureaucratie syndicale envers toute action indépendante de la
classe ouvrière.
Les relations de la CGT avec
l'Etat ne sont pas une nouveauté. Notamment durant l'actuel gouvernement du
président conservateur Nicolas Sarkozy, l'organisation par la CGT d'actions de
protestation inefficaces d'une journée a joué un rôle clé, permettant au
gouvernement de faire voter des attaques massives sur les retraites et le
renflouement des banques malgré une opposition populaire massive, en échange de
l'accord de « Position commune » accordant à la CGT l'accès à
davantage de postes syndicaux financés par l'Etat. Avec la crise économique qui
exacerbe les tensions sociales, la collaboration de la CGT avec l'Etat prend
des formes de plus en plus répressives et autoritaires.
La situation difficile des
sans-papiers témoigne avant tout du climat politique extrêmement défavorable
crée par l'orientation opportuniste et chauvine des organisations existantes.
Malgré leur détermination, les sans-papiers ne pouvaient pas, à eux seuls, venir
à bout des institutions puissantes déployées contre eux, à savoir l'Etat et,
comme on le voit à présent clairement, la CGT. (voir
Des gros bras de la CGT menacent des immigrés à La Fête de l’Humanité)
Lorsque CSP 75 avait décidé
d'occuper la Bourse du travail l'année dernière, la CGT organisait une série de
grèves dans la région parisienne, notamment dans les grands restaurants pour la
régularisation des sans-papiers. Cela concernait essentiellement les métiers de
la restauration et du bâtiment, pour lesquels la CGT dit avoir réglé 2000
régularisations en région parisienne depuis février 2008. Le ministre de
l'Immigration et de l'identité nationale de l'époque Brice Hortefeux
avait désigné la CGT comme l'intermédiaire de choix pour négocier la régularisation
de certains travailleurs des secteurs prioritaires.
Les grèves de la CGT étaient
de nature cynique et cosmétique. Il s'agit de 2000 régularisations sur un total
de quelque 400 000 sans-papiers dans toute la France. De plus, un grand
nombre de ces régularisations obtenues l'ont été pour des permis de séjour à
court terme, dont certains pour trois mois seulement, et ne sont valables que
si les patrons de ces sans-papiers ont besoin de leurs services.
Dans la mesure où les
sans-papiers se tournaient vers la CGT pour des négociations avec l'Etat, ils
ne pouvaient qu'aller à la défaite. Hortefeux et
Sarkozy n'avaient aucune intention de céder, car cela aurait eu des
conséquences politiques profondes. En premier lieu, pour le gouvernement, cela
aurait encouragé d'autres sans-papiers à lutter pour leurs droits, avec des
conséquences économiques et sociales imprévisibles.
De plus, une telle concession
faite aux immigrés aurait potentiellement représenté un désastre pour la base
électorale de Sarkozy, qui se fonde sur des appels codés anti-immigrés à
l'électorat du Front national néofasciste.
La faillite des perspectives
nationalistes existantes est soulignée par la traîtrise des organisations des
droits de l'homme et des partis de « l'extrême-gauche » qui ont avalisé
la répression des sans-papiers.
Libération rapportait le 13
juillet : « Après des discussions en son sein, la Ligue des droits de
l’homme n’a pas pris position sur l’expulsion, et elle a même refusé de se
rendre à deux réunions de “médiation” organisées par RESF [Réseau éducation
sans frontière.] Attac, le PCF et Lutte ouvrière se sont aussi retirés de ces discussions, le 1er juillet, parce que
les membres de la CSP 75 ne voulaient pas “se réconcilier" avec la
CGT-Paris. »
Des dirigeants de CSP 75 déplorent
que depuis l'évacuation, « aucune association ne se soit présentée au
camp » installé dans la rue.
Un de ces partis
« d'extrême-gauche », le Nouveau Parti anticapitaliste a publié une
déclaration pour le moins extraordinaire de soutien à la répression :
« Dans l’ensemble, les militants du NPA considérant qu’une telle
occupation, qui entravait le fonctionnement du mouvement syndical, ne pouvait
pas leur permettre de construire un rapport de force avec le gouvernement et la
préfecture afin d’obtenir leur régularisation. »
Une telle déclaration en dit
long sur l'orientation de ces organisations qui sont largement décrites, du
simple fait de l'inertie politique, comme étant de « gauche ». En
fait, dans la lutte pour le pouvoir entre, d'un côté, les travailleurs et de
l'autre l'Etat avec ses syndicats et sa police, ils ont fait le choix de se
mettre du côté de ces derniers.
(Article original anglais paru
le 16 juillet 2009)