Le président conservateur Nicolas Sarkozy et
la gauche bourgeoise française sont en train de monter ensemble une campagne
antidémocratique visant à rendre illégale la minorité de femmes musulmanes en
France qui portent la burqa ou le niqab, vêtement qui recouvre entièrement le
corps. En plus de créer un dangereux précédent consistant à interdire une
conduite religieuse personnelle, cette mesure a pour but d'attiser le racisme
anti-musulman en divisant la classe ouvrière et en promouvant un climat
politique fascisant dans le pays.
Dans son discours du 22 juin devant les
parlementaires assemblés au Château de Versailles, le président Sarkozy avait
déclaré, « La burqa n’est pas la bienvenue en France. »
Sarkozy reprenait une initiative d'André
Gerin, député et maire PC (Parti communiste stalinien) de la banlieue
défavorisée de Vénissieux, près de Lyon. La pétition de Gérin pour une loi
interdisant le port de la burqa ou niqab sur la voie publique a le soutien de
députés de tous les partis représentés à l'Assemblée nationale.
Juste après le discours de Sarkozy, une
mission parlementaire a été mise en place pour étudier la question. Elle a
commencé ses délibérations le 8 juillet et rendra son rapport à la fin du mois
de décembre.
Comme l'indique clairement la composition de
la mission parlementaire, c'est dans l'ensemble de l'establishment
politique français,que l'on trouve les partisansdela
victimisation des musulmans en France. La commission comprend 32 députés: 1 du
PCF, un Vert, 11 du Parti socialiste (PS), 17 de l'UMP (Union pour un mouvement
populaire, le parti conservateur au pouvoir) et 3 divers. Le rapporteur de la
commission sera le député UMP Eric Raoult. La commission sera conduite par
Gérin.
Jean-François Copé, dirigeant du groupe
parlementaire UMP à l'Assemblée nationale a donné le ton. Il a dit à la presse
le 8 juillet que ce qu'il fallait c'était « une loi d'interdiction
précédée d'une phase de six mois à un an de dialogue, d'explication et
d'avertissement. »
Il a suggéré que le port de la burqa ou du
niqab par les femmes musulmanes était le signe d'une vaste conspiration :
« Les extrémistes tentent une nouvelle fois de tester la République. »
Il a dit avec insistance que la burqa pose « un problème de sécurité et
d'ordre public. » et a promis que « de toute façon, la réponse
sera forte ». Il a suggéré de façon absurde que criminaliser une conduite
personnelle fondée sur l'opinion religieuse n'avait rien à voir avec la
discrimination religieuse. « La burqa est un débat politique, pas
religieux. »
Les commentaires des médias plus larges
démentent l'affirmation de Copé selon laquelle l'objectif n'était pas l'ingérence
dans la liberté de religion. Rapportant les dépositions de la première session
de la mission qui a commencé ses travaux le 8 juillet, l'Agence France-Presse a
cité l'anthropologue Dounia Bouzar: « Mme Bouzar a expliqué que le voile
intégral était le fait de salafistes qui disent se référer à l'islam des
origines et se tiennent à l'écart du monde extérieur considéré comme impur.
Elle a parlé du "comportement sectaire". »
Un autre facteur significatif dans la
campagne anti-burqa est la haine anti-musulmane croissante au sein de la classe
dirigeante française au moment où elle étend ses interventions impérialistes
dans le monde musulman. La France a envoyé des soldats en Afghanistan pour
consolider l'occupation néocolonialiste américaine sur place, présentant avec
hypocrisie son intervention comme une défense des droits des femmes. Elle a
aussi récemment obtenu le droit d'installer une base militaire dans le golfe
Persique.
Ainsi le député UMP Pierre Lellouche,
spécialiste des questions militaires et représentant spécial de la France en
Afghanistan et au Pakistan a dit, « Si je me bats au quotidien pour le
droit des femmes en Afghanistan, vous comprendrez bien que je souhaiterais que
toutes les femmes en France aient droit à leur corps et à leur personne. »
Le stalinien Gérin a argué dans la même
veine dans une interview au magazine conservateur L'Express le 18 juin
dernier. Il a dit que la vision de femmes portant la burqa ou le niqab
« nous est déjà intolérable lorsqu'elle nous vient d'Iran, d'Afghanistan, d'Arabie
Saoudite... Elle est totalement inacceptable sur le sol de la République
française. »
Ce n'est pas un hasard si les médias et les
politiciens font constamment référence à la « burqa » que l'on voit
très rarement en France, et non au niqab qui bien que très rare aussi est plus
répandu. La burqa, vêtement d'une pièce recouvrant le corps entier de la femme,
avec un grillage pour les yeux, est portée en Afghanistan et évoque des images
associées auterrorisme dans un pays ravagé par la guerre. Le niqab qui
recouvre aussi le corps tout entier comprend un tissu qui couvre le visage
laissant une fente pour les yeux. Il est principalement lié aux pays arabes
tels l'Arabie saoudite et les Etats du Golfe.
Bien que déguisée sous le manteau hypocrite
de la laïcité et de la défense des droits des femmes, cette campagne anti-burqa
est une attaque raciste contre les libertés individuelles fondamentales. Elle
est aussi particulièrement dangereuse du fait qu'elle crée un précédent par
lequel l'Etat peut déclarer illégale toute croyance religieuse ou politique
qu'il juge contraire à ses intérêts.
On ne peut accorder aucune confiance aux
prétentions selon lesquelles les droits des femmes musulmanes peuvent être
défendus en créant un climat anti-musulman et en forçant les femmes à modifier
leurs croyances et leur conduite sous la menace de sanction de l'Etat.
Chercher à justifier cette mesure par des
appels à la laïcité est erroné et réactionnaire à la fois. D'un point de vue
légal, la laïcité est un principe du rôle de l'Etat, stipulant que celui-ci va
adopter une position de neutralité envers la religion. Pointer du doigt et
persécuter une minorité opprimée tels les musulmans de France pour leur
conduite personnelle est une violation directe de ce principe.
La campagne anti-burqa falsifie aussi la
principale expérience politique qui a conduit au vote de la loi sur la laïcité
de 1905: l'Affaire Dreyfus. A cette époque, une coalition de socialistes et
d'intellectuels gagnèrent un soutien massif pour avoir fait annuler la victimisation
par l'Eglise catholique, l'armée et l'Etat d'un membre d'une minorité
religieuse persécutée, le capitaine Alfred Dreyfus, officier juif faussement
accusé d'espionnage au profit de l'Allemagne. Aujourd'hui, les personnalités
les plus puissantes de l'Etat exercent des représailles sur des membres d'une
minorité opprimée tout en cherchant à dissimuler leur racisme sous le couvert
de la laïcité.
Une campagne aussi droitière n'est rendue
possible que du fait de la collaboration du PC stalinien, parti de gouvernement
de la bourgeoisie française depuis longtemps, ainsi que de la soi-disant
« extrême-gauche. » Leur soutien à cette mesure contredit l'opinion
acceptée qu'ils représentent en quelque sorte la gauche. En fait, après une
dégénérescence politique et un changement de leurs orientation et composition
sociale sur plusieurs décennies, ces partis se retrouvent à présent dans le
camp de la droite politique.
Le rôle de Gérin est particulièrement
significatif pour souligner le chauvinisme qui règne au sein du PC stalinien.
Admirateur de Fidel Castro, il avait adhéré au PC en 1964 comme militant
syndical et avait été élu au comité central du PC en 1979. Elu conseiller
municipal du PC en 1977, il devint maire de Vénissieux en 1985 et est député à
l'Assemblée nationale depuis 1993.
Ayant attiré l'attention à l'échelle
nationale pour son soutien enthousiaste à la répression par Sarkozy des émeutes
urbaines des jeunes des banlieues en 2005, ses déclarations racistes
symbolisent l'alignement de sections du PC sur la politique néofasciste du
Front national. Dans son livre publié en 2005 Les Ghettos de la République,
préfacé par Eric Raoult, il écrit, « Pour ma part, je prends peu à peu
conscience de l'étendue du problème. Il s'agit de différences de modes de vie,
de différences culturelles entre le monde judéo-chrétien et le monde
islamique. »
Le 5 octobre 2007, dans une interview
accordée à Riposte laïque, il attaquait les « familles qui posent
problème » et pointait du doigt les familles immigrées. Il avait dit,
« Voilà des années que je pose cette question au préfet et au procureur :
faites partir ces familles pour le bien de tous, et si elles sont étrangères,
n'hésitez pas à les expulser. Je suis en effet pour des méthodes radicales,
fortes qui donnent l'exemple. » Dans une autre interview le 7 décembre
2007, Gérin se plaignait du « danger mortel que représente le racisme
anti-blanc, anti-France ».
La réponse de la soi-disant
« extrême-gauche » en France a une fois de plus démontré sa tendance
inhérente à s'adapter aux initiatives les plus méprisables de l'establishment
politique français. Lutte ouvrière (LO) a publié une dénonciation des
femmes qui portent la burqa au motif ridicule qu'elles forcent d'autres femmes
à en faire autant : « Reconnaître la "liberté" de porter la
burqa, ce serait aider à nier la liberté des milliers d'autres de refuser les
pressions qui les poussent à la porter. »
LO ajoute, « La liberté religieuse,
elle aussi invoquée, ne peut être prise pour argument. » En d'autres
termes, du point de vue de LO la liberté de religion ne s'applique qu'à
certains, et elle ne s'applique pas aux couches les plus opprimées de la classe
ouvrière en France, parmi lesquelles on compte la plupart des musulmanes qui
portent la burqa.
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
d'Olivier Besancenot a gardé un silence assourdissant sur cette question. Le
site Internet du parti ne comporte aucun commentaire au sujet de la burqa.
C'est un fait particulièrement significatif du fait qu'ils préparent une
alliance électorale avec le PC pour les élections régionales de l'année
prochaine.
Aucun de ces partis n'a soulevé cette
question évidente: l'implication d'une mesure aussi dangereuse pour les
libertés politiques plus larges en France. Si des croyances religieuses ou
opinions politiques peuvent être déclarées illégales parce qu'elles sont jugées
néfastes aux fondements idéologiques de la République française, l'Etat fait
une avancée majeure sur la voie conduisant à interdire la politique
prolétarienne révolutionnaire et à préparer la répression de classe.
De telles inquiétudes, automatiques pour
tout parti sérieusement préoccupé par la menace de la répression de l'Etat, ne
viennent cependant pas à l'esprit du PC et de « l'extrême-gauche »,
car ces partis sont entièrement intégrés à l'establishment bourgeois et
à l'Etat.
Cette campagne anti-burqa est un
avertissement sérieux à la classe ouvrière quant à la dégénérescence de l'establishment
bourgeois français et de ses satellites petits-bourgeois. Cette campagne
fournira une couverture médiatique soutenue visant à diviser les travailleurs
sur des lignes ethno-racistes et à empoisonner le climat contre les musulmans,
précisément au moment où les économistes prédisent l'aggravation des tensions
du fait de la crise économique, avec l'augmentation du chômage et l'arrivée
d'une nouvelle vague de jeunes diplômés sur le marché du travail. Les
travailleurs ayant une conscience de classe doivent s'opposer à cette campagne
anti-burqa et rompre avec tous les partis qui la promeuvent ou l'acceptent.
(Article original anglais paru le 14 juillet
2009)