Le 34e congrès du Parti communiste français
(PCF) s’est tenu du 11 au 14 décembre dernier à la Défense (Hauts-de-Seine). La
principale tâche des 873 délégués était officiellement l’élection pour trois
ans d’une nouvelle direction et le vote d’un programme majoritaire. Dans
l’actuel contexte politique en France cependant, et étant donné la crise dans
laquelle se trouve ce parti, ce qui préoccupait clairement les délégués était
son avenir et son existence mêmes.
Le PCF est sur le point de scissionner. Lors
de l’élection présidentielle de 2007, la candidate de ce parti, Marie-George
Buffet avait obtenu, avec 1,93 pour cent des suffrages, le score le plus bas de
son histoire. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le PCF était le plus
grand parti politique français ; en 1969, le candidat stalinien Jacques
Duclos avait encore obtenu 21,3 pour cent des voix. Grâce aux listes communes établies
avec le Parti socialiste, le PCF put obtenir quelque 3 pour cent des voix lors
des dernières élections municipales.
Un autre signe évident de la crise du PCF est
l’état dans lequel se trouve son quotidien, l'Humanité. Ce journal qui
est confronté à la faillite financière interrompit sa publication pendant
plusieurs jours en août dernier, malgré le fait qu’il dépende fortement du
soutien financier capitaliste et de celui de l’Etat français.
Depuis la dernière élection législative, le
groupe parlementaire du PCF fonctionne en tant que Groupe de la Gauche démocratique
et républicaine, avec la participation de députés écologistes.
A la fin du congrès, Buffet a été réélue pour son
quatrième mandat en tant que secrétaire nationale. Une majorité de délégués a décidé
de reconduire l’actuelle direction, considérant que c’était le meilleur et
l’unique moyen de maintenir le parti en tant qu’organisation plus ou moins
unifiée. Buffet a obtenu 68,7 pour cent des voix des délégués, un vote en
baisse par rapport aux 91 pour cent qu’elle avait obtenus il y a deux ans. Sa
rivale la plus proche, Marie-Pierre Vieu, qui est soutenue par les « communistes
unitaires » a obtenu 16,4 pour cent. André Gérin recueillait 10,2 pour
cent des voix et Nicolas Marchand 5,6 pour cent, ces deux derniers étant
considérés comme des staliniens « orthodoxes ». Quelque 7 pour cent
des délégués se sont abstenus.
Buffet reste à la direction du parti en tant
que secrétaire nationale de transition après avoir exprimé son intention
d’abandonner ce poste dans deux ans. Une nouvelle direction « collégiale »
comportant six à huit membres sera nommée pour faciliter la transition. Ce
collège sera dirigé par le successeur présumé de Buffet, l’actuel directeur de
rédaction de l'Humanité, Pierre Laurent.
La motion présentée par Buffet et adoptée par
le congrès est un document destiné tout d’abord à garder toutes les tendances, si
possible, sous un même toit. Sous le vague titre « Vouloir un monde nouveau,
le construire au quotidien », la motion affirme le besoin de « changement »
et d’une organisation rajeunie et plus large mais, sous pression des défenseurs
de l’identité stalinienne du parti, elle laissa tomber l’appel à une « métamorphose »
du parti.
Parmi les formules mises en avant au congrès
il y avait : « ouvrir grandes les portes du PCF, rajeunir le PCF à
tous les niveaux » et « la priorité est d’ouvrir le PCF à tous ceux
qui veulent un parti combatif contre Sarkozy et un parti rassembleur à gauche pour
créer une majorité [parlementaire] ». Buffet proposa d’engager « de
profondes transformations » dans le parti, mais rejeta l’idée de constituer
« un autre parti aux contours incertains ».
Cette motion qui est un document typiquement
stalinien, contient une molle critique du capitalisme mais n’envisage même pas une
réorganisation socialiste de la société. L’introduction déclare : « Nous,
communistes, fondons plus que jamais notre engagement sur la nécessité de
dépassement de ce système capitaliste et de toutes les aliénations du monde
actuel, nous sommes à un moment charnière… Nous engageons donc avec ce congrès
un important travail de refondation de nos analyses, de notre projet, de
l’avenir de notre part. » Le soin de faire toute cette soi-disant refondation fut
laissé à une commission qui doit être établie afin d’initier un travail de réflexion.
Elle conserve la rhétorique nationaliste du
stalinisme français. Elle accuse ainsi la politique du président français,
Nicolas Sarkozy, de « [faire] mal à notre peuple, [elle] abîme notre pays
et ses atouts, dégrade son rayonnement. L’avenir de la France est en jeu ».
La participation du parti au gouvernement dirigé par le Parti socialiste
jusqu’en 2002 et sa propre complicité dans la situation actuelle n’est nulle
part considérée.
Voilà des décennies que le parti stalinien
français, déchiré par des conflits de courants et de tendances, est en déclin. De
nouveaux signes d’éclatement apparurent à la veille de ce dernier congrès. Robert
Hue, le secrétaire national du PCF jusqu’en 2002 et candidat à l’élection présidentielle
de la même année, a décidé de quitter le Conseil national du parti parce que
celui-ci n’était « plus réformable ».
Lors du vote des motions par les membres du
PCF avant le congrès, la motion de Buffet « Vouloir un monde nouveau, le construire
au quotidien » n’obtint que 55,3 pour cent des votes des adhérents (68,7
pour cent de la part des délégués au congrès). Seule la moitié des 79 000
membres à jour de leur cotisation ont voté pour les trois documents en lice,
9,2 pour cent ayant voté blanc ou nul.
Quelque 24 pour cent votèrent pour le texte
d’André Gérin: « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre
temps ». Gérin, qui est député de Vénissieux, une banlieue industrielle de
Lyon, défend un mélange de stalinisme orthodoxe et de chauvinisme français de
droite. Sa tendance a poussé directement sur le terreau nationaliste du
stalinisme français.
En 2006, Gérin a appelé à une unité avec l’UMP
(Union pour un Mouvement populaire), le parti droitier du président Sarkozy, pour
combattre le manque de civisme chez les jeunes qui sifflent l’hymne national
français pendant des matchs de football. Dans une lettre adressée au club de
football Paris-Saint-Germain, il écrit que « ces questions fondamentales
d’insécurité et de mise en cause des fondements de la République » exigent
une « résistance républicaine pour montrer à notre peuple que les forces
politiques de gauche et de droite sont décidées à partager le même
diagnostic. Il ne devrait pas y avoir de place à la polémique politicienne
et électoraliste. »
Quinze pour cent des membres votèrent pour la
résolution « Renforcer le PCF, renouer avec le marxisme » présentée
par le groupe « La Riposte » (qui a ses origines dans le groupe opportuniste
de Ted Grant en Angleterre), qui s’affirme vaguement et faussement trotskyste. « La
Riposte » nie avec véhémence vouloir le départ de Buffet en tant que
secrétaire nationale. Ce groupe appelle à une reconstruction du PCF sous prétexte
qu’il s’y trouve encore un certain potentiel « marxiste ». Cette loyauté
opportuniste ne fut pas récompensée par la direction Buffet par l’attribution
de sièges au nouveau Conseil national. On accorda à toutes les autres factions quelques
sièges en proportion du soutien qu’elles obtinrent au congrès.
La tendance des « refondateurs »,
connue sous l’appellation « Communistes unitaires » dont un des chefs
de file est Pierre Zarka, ancien directeur de la rédaction de l’Humanité, et
qui préconise une union (peut-être hors du PCF actuel) avec le nouveau Parti de
la Gauche du social-démocrate Jean-Luc Mélenchon, ne présenta aucun texte lors
du vote précédant le congrès. Au lieu de cela, cette tendance organisa un
meeting séparé le 13 décembre, sous le slogan « qui se ressemble se
rassemble ». Zarka, dont le groupe comporte d’anciens ministres du gouvernement
Jospin comme Jean-Claude Gayssot, accusa le document majoritaire (Buffet) d’être
un « gage » aux « conservateurs dans le parti. »
La crise de l’organisation stalinienne française
a une importance particulière pour l’élite dirigeante. A chaque moment critique,
depuis la Deuxième Guerre mondiale, ce parti a joué un rôle vital dans le maintien
de l’ordre bourgeois. Immédiatement après la guerre, il
a désarmé la classe ouvrière, étranglé une vague de grèves et participé au
premier gouvernement De Gaulle. Durant la décennie suivante,
il a soutenu l’impérialisme français contre les soulèvements anti-coloniaux
tout en aidant à réprimer la grève générale de 1953. En Mai-Juin 1968, il a à
nouveau sauvé De Gaulle et, au long des années 1970, 1980 et 1990, les
staliniens ont formé avec le Parti socialiste de François Mitterrand une des
principales coalitions de gouvernement du capitalisme français.
La capacité du PCF à contrôler la classe
ouvrière a été essentielle pour l’élite dirigeante française pendant plus de 50
ans. A travers son influence dans le principal syndicat français, la CGT
(Confédération générale du Travail), elle a joué un rôle décisif, en étranglant
l’opposition au gouvernement et permettre ainsi la poursuite des attaques de
Sarkozy.
Dans des conditions de tensions sociales et
politiques explosives, il règne une inquiétude au sein de l’élite dirigeante
quant au sort du PCF qui, après tout, était pour elle un adversaire idéal. Son
congrès a eu lieu au milieu d’une réorganisation frénétique de toutes les
forces qui constituent le flanc gauche de l’establishment politique.
La LCR (Ligue communiste révolutionnaire)
d’Alain Krivine et d’Olivier Besancenot met en place un Nouveau Parti anticapitaliste
(NPA), abandonnant son adhésion, toute verbale, au trotskysme. Mélenchon, qui
est membre du Sénat, a quitté le Parti socialiste et fondé avec un millier de partisans
son propre Parti de la Gauche, imitant le parti La Gauche en Allemagne. Et le
PT (Parti des travailleurs) de feu Pierre Lambert s’est transformé en POI
(Parti ouvrier indépendant) dans une tentative d’attirer des fonctionnaires municipaux
sociaux-démocrates.
Le PCF a l’intention de jouer un rôle de
premier plan dans cette réorganisation de la « gauche ». De là ses
tentatives de former de nouvelles alliances, tout en préservant sa propre
organisation. Sur le plan politique, toutes les factions staliniennes restent
orientées vers une alliance avec le Parti socialiste qui, à son tour, a créé un
modus vivendi avec la présidence droitière de Sarkozy.
Des représentants de l’ensemble la « gauche »
étaient invités au congrès du PCF. Parmi ceux qui étaient présents, il y avait
Cécile Dufflot, la dirigeante des Verts, Georges Sarre du bourgeois Mouvement
républicain et citoyen, Claude Bartelone du Parti socialiste et un proche allié
de l’ancien premier ministre Laurent Fabius; Alain Krivine et Jean-Philippe Divès
de la LCR, Clémentine Autain, une conseillère municipale apparentée PCF qui
rejoint le NPA de Besancenot et la porte-parole de Lutte ouvrière, Arlette
Laguiller.
Etaient également présents un nombre d’adhérents
du mouvement anti-mondialisation Attac ainsi que des partisans du leader paysan
et activiste anti-mondialisation José Bové. Certains comme Mélenchon, Autain et
Divès prirent directement la parole au congrès.
La présence « fraternelle » de
toutes ces tendances au congrès stalinien montre qu’il n’existe pas de différences
politiques fondamentales entre elles. Ils participent tous à l’établissement de
nouveaux mécanismes politiques à gauche et dont la bourgeoisie française a
absolument besoin pour contrôler la radicalisation en marche de la classe
ouvrière.
A la fin de la conférence, Buffet lança un
appel à ses anciens partenaires gouvernementaux du le Parti socialiste et
d’autres partis « à gauche » pour former un « front progressiste
pour la défense des libertés et de la démocratie ». Il y avait le « besoin
de nous retrouver sur des fronts de lutte » dit-elle. Buffet a déjà passé
un accord avec le Parti de Gauche de Mélenchon en vue d’une campagne commune
aux élections européennes de 2009. Ce nouveau parti a de toute évidence eut un
écho favorable dans une partie du PCF qui lui réserva généralement un bon
accueil.